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L'option formulée par l'enfant majeur, se trouvant encore dans le délai d'un an à compter de la naturalisation de son père, était donc régulière et devait être accueillie, même après la promulgation de la loi de 1889. Cette loi n'avait pu le priver des facilités qu'il avait trouvées dans la législation de 1851, du droit à la nationalité française que la naturalisation paternelle lui avait ouvert1.

En ce qui concerne les enfants mineurs, la même question se pose et elle doit être résolue de la même manière. Mais la non-rétroactivité présente ici un intérêt pratique beaucoup plus considérable, puisque ses effets ne se limitent pas, comme pour les enfants majeurs, à la seule année qui a suivi la mise à exécution de la loi nouvelle. L'article 12, § 3, ne s'applique pas aux enfants mineurs dont le père a été naturalisé avant le 26 juin 1889; ils ne deviennent pas Français sous condition résolutoire; ils restent ce qu'ils étaient antérieurement, Français sous la condition suspensive d'une option qu'ils seront libres de faire connaître une fois majeurs; jusque-là ils devront être considérés comme étrangers.

APPENDICE. De la naturalisation des descendants

de Français émigrés pour cause de religion.

Une loi de l'époque intermédiaire, celle des 9-15 décembre 1790, confirmée par la Constitution du 3 septembre 1791, avait cru devoir, dans une vue de réparation, accorder aux descendants, à quelque degré que ce fut, des Français expatriés pour cause de religion, c'est-à-dire aux victimes de la révocation de l'Édit de Nantes, le moyen d'obtenir la qualité de Français, sans se soumettre aux formalités de la naturalisation ordinaire.

Article 22: « Toutes personnes qui, nées en pays étranger,

1 Voy. cep. Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 90.

2 Cf. Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 91. Voy. cep. Nancy, 25 mars 1890 (Revue pratique de dr. int. pr., 1890-1891. 1. p. 30).

descendent, à quelque degré que ce soit, d'un Français ou d'une Française expatriés pour cause de religion, sont déclarées naturels Français et jouiront des droits attachés à cette qualité, si elles reviennent en France, y fixent leur domicile et prêtent le serment civique. Les fils de famille ne pourront user de ce droit, sans le consentement de leur père, mère, aïeul et aïeule, qu'autant qu'ils seront majeurs et maîtres de leurs droits. >>

Ce texte qui, quoi que l'on en ait dit, est demeuré en vigueur jusqu'à la promulgation de la loi du 26 juin 18891, n'était pas sans soulever des difficultés d'interprétation assez sérieuses.

La faculté qu'il avait consacrée était-elle propre aux individus déjà nés en 1790 ou devait-elle être étendue même à ceux dont la naissance avait suivi? La jurisprudence s'était prononcée en faveur de cette dernière opinion, qui s'autorisait d'ailleurs, et des motifs qui avaient inspiré le législateur, et des termes mêmes de la loi de 1790, étrangers à toute distinction 2.

Les descendants de religionnaires nés en France devaient

1 Demante (t. I, p. 72, no 20 bis-IV), l'avait contesté, en s'appuyant sur les termes de l'article 10 du Code civil de 1804, qui, disait-il, est général, lorsqu'il prévoit le cas où le fils d'un ci-devant Français voudrait se rattacher à l'ancienne patrie de son père, et semble dès lors avoir abrogé la législation spéciale de 1790 (arg. loi du 30 ventôse an XII, art. 7); mais cette opinion est demeurée isolée. En effet, la promulgation du Code civil n'avait abrogé les lois antérieures qu'autant qu'il y avait incompatibilité entre leurs dispositions respectives. Or, aucune incompatibilité n'apparaissait ici, puisque la loi de 1790, visant une hypothèse particulière, s'appliquait à tous les descendants des religionnaires fugitifs, sans distinction de degré, tandis que l'article 10, § 2, du Code civil se limitait expressément aux enfants nés du ci-devant Français. Ces deux dispositions étaient donc parfaitement conciliables, et rien ne faisait obstacle à ce qu'elles fussent appliquées simultanément. Paris, 29 septembre 1847 (D. P. 1848. 2. 501); Aix, 15 mars 1866 (Sir. 1866. 2. 171). Serrigny, Droit public des Français, t. I, p. 150; Demolombe, t. I, p. 200; Aubry et Rau, t. I, § 70, texte et note 32; Alauzet, op. cit., p. 31.

2 Voy. l'arrêt déjà cité de la Cour de Paris du 29 septembre 1847; Cogordan, op. cit., p. 74. En sens contraire, circulaire ministérielle du 22 décembre 1842 (D. P. 1847. 2. 212, note 1).

ils, comme ceux qui étaient nés à l'étranger, être admis au bénéfice de la loi de 1790? La lettre de l'article 22 leur paraissait contraire, et M. Charles Brocher en avait conclu que,« pour eux l'article 9 était le seul moyen de récupérer l'ancienne nationalité 1. » Toutefois il est permis de douter qu'une solution aussi rigoureuse ait été bien conforme aux vues du législateur. A l'époque où fut portée la loi de 1790, le jus soli régnait exclusivement en France. Tout enfant né en France était Français, quelle que fût l'origine de ses parents; il était donc inutile de consacrer une disposition spéciale aux descendants de religionnaires émigrés; le droit commun leur suffisait et explique à merveille le silence de la loi. Mais, depuis le triomphe du jus sanguinis, en 1804, il existait un argument à fortiori en faveur des enfants nés en France d'une famille expatriée pour cause de religion.

Enfin on s'était demandé si les personnes visées par la loi devaient encore être reçues à s'en prévaloir, dans le cas où, à compter de sa promulgation, elles auraient accompli un des actes auxquels le Code civil attache la perte de la nationalité française. Non, sans doute, avait-on dit; la loi de 1790 a conféré ipso jure à tous ceux dont elle a pour objet de régler la condition, la nationalité française; elle les a hic et nunc assimilés aux Français de naissance, les soumettant par cela même à l'influence de toutes les causes qui agissent sur cette nationalité et la modifient. Mais l'exactitude de cette thèse était des plus contestables. Il n'était pas vrai de dire en effet que le législateur de 1790 eût entendu attribuer de droit la qualité de Français aux descendants de religionnaires expatriés. Ce qu'il avait voulu, c'était leur faciliter l'acquisition de cette qualité par une sorte de naturalisation privilégiée. Ils n'étaient pas Français, mais avaient seulement le moyen de le devenir, en se

1 Ch. Brocher, Cours élém. de dr. int. pr., t. I, p. 239.

2 Cass., 13 juin 1811 (Sir. 1811. 1. 290).

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conformant aux conditions fixées par la loi, c'est-à-dire en revenant établir leur domicile en France et en y prêtant le serment civique. Dès lors la naturalisation obtenue en pays étranger, ou toute autre cause de dénationalisation prévue par la loi française, ne pouvait les dépouiller d'un titre qu'ils n'avaient pas encore et que le retour en France devait seul leur conférer 1.

La proposition de loi sur la nationalité, d'abord votée par le Sénat, portait abrogation de la loi des 9-15 décembre 1790. Mais M. de Pressensé défendit éloquemment, dans la séance du 15 novembre 1886, les droits menacés de ses coreligionnaires : « Nous ne pouvons pas, dit-il, laisser protester un acte si noble et si grand, et j'ajoute, si juste, de la Révolution française, qui a rendu cette patrie qu'ils n'avaient jamais cessé d'aimer, aux fils des héroïques proscrits de la révocation de l'Édit de Nantes. » Ces paroles rencontrèrent sur tous les bancs l'adhésion la plus sympathique, et l'on vit les partis les plus opposés manifester un égal attachement aux idées de tolérance et de pacification religieuse, en votant le maintien de la loi de 1790.

L'article 4 de la loi du 26 juin 1889 s'exprime ainsi : « Les descendants des familles proscrites lors de la révocation de l'Édit de Nantes continueront à bénéficier des dispositions de la loi du 14 décembre 1790, mais à la condition d'un décret spécial pour chaque demandeur; le décret ne produira d'effet que pour l'avenir... »

Les personnes que ce texte a en vue ne peuvent donc plus, comme avant 1889, devenir naturels français par un seul acte de leur volonté. Un décret individuel, que rien n'oblige le Gouvernement à rendre, est toujours nécessaire pour leur conférer la nationalité française, et les effets de ce décret se limitent à l'avenir.

1 Trib. Pontoise, 11 juillet 1843 (Gazette des tribunaux du 3 septembre 1843); Aix, 15 mars 1866 (Sir. 1866. 2. 171); Cogordan, op. cit., p. 74, Despagnet, op. cit., 2e éd., p. 207, no 196.

2 J. Off. du 16 novembre 1886.

Il suit de là que c'est par l'effet d'une naturalisation que le descendant de protestants émigrés devient aujourd'hui Français; en ce sens, d'une part, que le Chef de l'État est maître absolu de refuser d'accueillir sa demande, et ne doit y faire droit qu'après s'être renseigné sur les antécédents et les moyens d'existence du postulant aussi bien que sur son origine1; de l'autre, que la qualité de Français une fois accordée ne rétroagit pas.

Ce n'est pas à dire toutefois que la naturalisation dont il bénéficie se confonde entièrement avec la naturalisation de droit commun dont il a été question ci-dessus. Si la procédure est la même, les conditions et les effets diffèrent quelque peu.

1° Conditions. La seule condition imposée à ceux qui veulent avoir part à la naturalisation privilégiée dont par le l'article 4 de la loi de 1889, c'est de se trouver dans la situation prévue par la loi de 1790, à laquelle ce texte se réfère. Il est donc nécessaire :

a) Qu'ils descendent à un degré quelconque d'un Français ou d'une Française expatriés pour cause de religion". Et peu importe qu'ils soient nés en France ou à l'étranger; peu importe que leurs ascendants ou eux-mêmes aient accompli l'un des actes qui, de droit commun, font perdre la nationalité française3; le pouvoir discrétion

1 M. Batbie au Sénat, séance du 7 février 1887 (J. Off. du 8 février). 2 La loi de 1889, moins large que celle de 1790, ne mentionne que les descendants des familles proscrites lors de la révocation de l'Edit de Nantes; elle semble avoir ainsi exclu de son bénéfice ceux dont les ancêtres protestants avaient quitté la France avant 1685, notamment à l'époque de la Saint-Barthélemy et des guerres de religion. Voy. cep. Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 229.

3 Cf. ci-dessus, p. 369. Voy. en ce sens Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 228. Toutefois M. Vincent (op. cit., no 87) estime, à tort selon nous, que l'individu qui, né en France, aurait été mis en demeure de se prononcer définitivement sur le choix de sa patrie (C. civ., art. 9, participation aux opérations du recrutement), et qui aurait réclamé la qualité d'étranger, ne pourrait plus se prévaloir ultérieurement de la loi de 1790, et

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