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Au contraire, l'enfant encore mineur, lors de la mise en vigueur de la loi du 26 juin 1889, sera réputé Français, aux termes de l'article 8, 4o, si à sa naissance sur notre territoire, vient se joindre, avant la majorité, l'établissement de son domicile en France. Il ne saurait, pour se soustraire à la nationalité française, se prévaloir d'un droit acquis, et prétendre que le texte nouveau ne peut rétroagir à son détriment (C. civ., art. 2). « Les qualités constitutives de l'état des personnes, disent excellemment MM. Aubry et Rau, qu'elles soient de nature à s'établir par un fait pur et simple, ou qu'elles exigent un acte juridique accompagné de certaines conditions, forment des droits acquis dès le moment de la réalisation de ce fait ou de l'accomplissement de cet acte avec toutes les conditions requises par la législation existante. L'accomplissement partiel de l'une ou de l'autre de ces conditions ne conférerait qu'une simple expectative qui pourrait être enlevée par une loi postérieure'. » Le fils d'étranger, né en France et mineur en 1889, n'ayant pu avant cette époque faire valablement et définitivement choix d'une patrie, n'a pas consolidé sur sa tête la nationalité que ses parents lui ont transmise; la faculté de la conserver se réduit donc pour lui à une expectative, dont la loi récente a pu le priver, sans porter aucune atteinte au principe de la non-rétroactivité. Encore cette privation est-elle toute relative et momentanée, puisque la qualité de Français ne lui est pas imposée et qu'une option rétroactive pourra lui rendre, au lendemain même du jour où il l'aura acquise, son ancienne patrie. Ses intérêts se trouvent donc pleinement garantis.

Admettre que les individus dont la naissance est antérieure à 1889 demeurent placés, au point de vue qui nous occupe, sous le régime institué par le Code civil de 1804, ce serait retarder, de plus de vingt ans, la mise à exécu

1 Aubry et Rau, t. I, § 30, p. 67.

tion des règles qui l'ont remplacé, et aller ainsi contre l'intention certaine du législateur. D'ailleurs la même interprétation avait prévalu, lors de la promulgation des lois de 1851 et de 1874, dont l'article 8, 4°, procède si visiblement1.

Mais la solution devrait être différente, pensons-nous, dans le cas où l'étranger né et domicilié en France, quoiqu'étant encore dans les délais d'option au 26 juin 1889, aurait atteint, avant cette date, l'âge de la majorité. Alors, en effet, toutes les conditions requises par l'article 8, 4°, pour l'attribution de droit de la nationalité française (naissance en France, domicile en France lors de la vingtdeuxième année) ayant été remplies avant sa mise en vigueur, la loi nouvelle toucherait à des faits accomplis, à des situations acquises, si elle déclarait cet individu Français ipso jure, et si elle le dépouillait ainsi du droit d'option qui s'est régulièrement ouvert à son profit sous l'empire de l'ancien article 9 du Code civil. Ce droit d'option a donc pu être exercé par lui jusqu'à l'expiration du délai que ce texte lui accordait. « Il résulte d'ailleurs des expressions mêmes employées par le législateur, dit en ce sens le Tribunal civil de Lille, dans son importante décision du 6 mars 1890, qu'il n'a eu en vue que les individus non encore arrivés à leur majorité lors de la promulgation de la loi. En effet, l'article 8, 4° de la loi du 26 juin 1889 réserve à l'individu né en France d'un étranger et domicilié en France lors de sa majorité le droit de décliner, dans l'année qui suivra sa majorité, la qualité de Français; c'est donc un délai d'une année entière qui lui est accordé pour prendre parti et déterminer sa nationalité. Faire application de la loi du 26 juin 1889 aux individus parve

1 Douai, 18 décembre 1854 (Sir., 1855. 2. 263); Cass., 7 décembre 1883 (sol. implic.) (Sir., 1885. 1. 89) et Rouen, 22 février 1884 (Journal du dr. int. pr., 1884, p. 634); Douai, 3 juillet 1889. Voy. aussi les judicieuses observations insérées dans le Journal du dr. int. pr., 1890, p. 105 et s.; Questions et solutions pratiques, no 61.

W. - I.

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nus à leur majorité avant la promulgation, serait abréger d'une façon arbitraire, contrairement à l'intention du législateur et au texte de la loi, le délai pendant lequel ils peuvent souscrire une déclaration d'extranéité; en effet, leur déclaration ne pouvant être admise que postérieurement à la promulgation de la loi et antérieurement à l'expiration de l'année qui suit leur majorité, soit de leur vingt-deuxième année, la période durant laquelle cette déclaration est recevable, au lieu d'être pour tous uniformément de douze mois, serait différente pour chacun suivant la date de la naissance1. »

SECTION III. L'enfant est né en France d'un étranger qui lui-même y est né.

Sous l'empire du Code civil de 1804, la condition de l'enfant né en France d'un étranger qui lui-même y est né était entièrement semblable à celle de l'individu né sur notre territoire d'un étranger né à l'étranger. Français sous condition suspensive, il ne pouvait acquérir cette

1 Trib. civ. Lille, 6 mars 1890 (Gazette du Palais des 9-10 avril 1890, Journal du dr. int. pr., 1890, p. 490, Revue prat. de dr. int. pr., 18901891. 1, p. 23); Trib. civ. Alger, 22 février 1890 (Revue alg. et tunis. de législ. et de jurispr., 1890. 2. 322 et la note, Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891. 1, p. 27); Trib. civ. Cambrai, 29 mars 1890 (Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891. 1, p. 24); Lyon, 2 avril et 22 mai 1890 (Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891. 1, p. 28); Trib. civ. Lille, 11 juillet 1890 (ibid., p. 37); — Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 169; R. Vincent, op. cit., no 33; 0. Stemler, dans le Journal du dr. int. pr., 1890, p. 569; Guillot, p. 210. La jurisprudence s'était déjà prononcée en ce sens, à l'occasion de la mise en vigueur de la loi du 7 février 1851; il avait été jugé que cette loi n'était pas applicable à un individu qui, né en mars 1829, se trouvait par conséquent encore dans sa vingt-deuxième année au jour de la promulgation, parce qu'il n'avait pu jouir pendant l'année de sa majorité de tout le délai accordé par l'article 9. Trib. Seine, 20 février 1858 (Gazette des tribunaux du 2 avril 1858). Voy. Vincent et Pénaud, Dict. de dr. int. pr., vo Nationalité, no 47. Cf. cep. Douai, 6 décembre 1890 (Gazette du Palais du 20 février 1891), et les observations de M. Chausse dans la Revue critique, 1891, p. 209.

qualité d'une manière définitive qu'en se soumettant aux formalités prescrites par l'article 9.

Qu'arrivait-il alors? c'est que les fils d'étrangers négligeaient le plus souvent d'effectuer la déclaration exigée par cet article et demeuraient en France, où ils jouissaient de la protection de nos lois; puis, lorsque leur intérêt le demandait, lorsqu'on menaçait de les astreindre aux charges publiques, au service militaire, ils s'empressaient de revendiquer, pour s'y soustraire, la qualité d'étrangers. Il s'était ainsi formé, surtout dans les départements frontières, toute une classe d'individus qui, bien qu'appartenant à des familles fixées depuis plusieurs générations sur le sol français, avaient conservé, au regard de notre législation, la nationalité étrangère et qui, dans leur pays, étaient réputés avoir, en perdant l'esprit de retour, renoncé à leur patrie d'origine. Étrangers en France, étrangers partout, ils invoquaient en France les droits de l'étranger, et à l'étranger la qualité de Français : ils avaient les avantages d'une et même de deux patries, sans avoir la charge d'aucune.

Cet état de choses anormal, dont nous avons déjà étudié les inconvénients sous le nom d'heimathlosat 1, avait de bonne heure attiré l'attention des jurisconsultes. C'est pour !porter remède dans une certaine mesure que Proudhon avait imaginé, par sa célèbre théorie de l'incolat2, d'attribuer de droit la nationalité française à tout individu né sur notre territoire d'un étranger qui s'y serait fixé à perpétuelle demeure, et d'écarter ainsi pour lui l'application de l'article 9. Mais l'opinion du doyen de Dijon était demeurée isolée, et ce n'est qu'en 1851, après des essais infructueux tentés en 18313 et en 1849, que le législateur

Voy. ci-dessus, p. 20.

Proudhon, Traité de l'état des personnes, t. I, p. 190 et s.; Voy. aussi notre Traité élém. de dr. int. pr., p. 138 et s., et ci-après, tome deuxième. Voy. ci-dessus, p. 160, note 1.

En 1849, lors de la discussion de la loi des 3-11 décembre 1849 sur

s'était déterminé à donner satisfaction aux justes critiques dont le Code civil de 1804 avait été l'objet.

La loi du 7 février 1851, modifiée par celle du 16 décembre 1874, s'exprimait ainsi dans son article 1or : « Est Français tout individu né en France d'un étranger qui luimême y est né, à moins que dans l'année qui suivra l'époque de sa majorité, telle qu'elle est fixée par la loi française, il ne réclame la qualité d'étranger par une déclaration faite, soit devant l'autorité municipale du lieu de sa résidence, soit devant les agents diplomatiques et consulaires de la France à l'étranger', et qu'il ne justifie avoir conservé sa nationalité d'origine, par une attestation en due forme de son Gouvernement, laquelle demeurera annexée à la déclaration. Cette déclaration pourra être faite par procuration spéciale et authentique.

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La situation faite par cette loi à l'enfant né en France d'un étranger qui lui-même y était né différait ainsi sensiblement de celle que l'article 9 du Code civil de 1804 avait créée au profit de l'enfant né en France d'un étranger originaire d'un territoire étranger; celui-ci étant réputé étran

la naturalisation et le séjour des étrangers en France, plusieurs systèmes furent soutenus devant la commission que l'Assemblée avait chargée de son examen. On proposa de rendre plus difficiles les conditions de la naturalisation pour ceux qui, nés en France de parents étrangers, auraient laissé passer le délai de l'article 9 sans réclamer la qualité de Français, et de les soumettre dans tous les cas au service militaire dans la Légion étrangère. D'autres voulaient attribuer de plano la nationalité française à ceux qui n'auraient pas opté pour la qualité d'étranger, dans le délai fixé par l'article 9. D'autres encore, tout en leur conservant la nationalité étrangère, imposaient à leurs enfants nés en France la qualité de Français. La plupart de ces amendements n'eurent même pas l'honneur d'une discussion publique; on les écarta tous, par ce motif que la loi projetée se bornant à fixer les conditions de la naturalisation, il n'y avait pas lieu de toucher à l'article 9, qui visait une hypothèse toute différente. Annexes au rapport de M. Batbie, pp. 144 et 145.

1 La loi de 1851 donnait compétence, pour recevoir la déclaration, aux agents diplomatiques ou consulaires accrédités en France par le Gouvernement étranger; mais on leur a substitué, en 1874, les agents diplomatiques et consulaires français à l'étranger. Voy. sur les motifs de cette substitution, ci-dessus, p. 176, note 3.

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