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pays par leur emploi ou des alliances de famille, occupent leurs loisirs à peindre les sites familiers qui les sollicitent.

L'été venu, les artistes de Paris font leurs malles et partent pour les régions à la mode. Il en est qui les dédaignent pourtant et qui s'en vont, à l'aventure, découvrir la contrée méconnue qui leur livrera les secrets de sa beauté inviolée. Et c'est ainsi que nombre d'entre eux se rendent en Limousin. Depuis vingt ans, leur contingent n'a fait que s'accroître. Nous avons vu ceux de Crozant et de Fresselines. Notons à présent ceux qui ont fait ou font encore de bonnes œuvres aux quatre coins de la province.

Le site enchanteur de Beaulieu, aux confins du Bas-Limousin et du Haut-Quercy, sur les bords de la Dordogne, que dominent les collines d'Altillac et d'Astaillac, couvertes de vignes et couronnées de châtaigneraies: les vallées toutes proches de la Cère, devaient faire de cette petite ville, toute pleine de souvenirs historiques, le rendez-vous des artistes. Depuis une vingtaine d'années ils n'y ont pas manqué. Parmi eux, il en est de glorieux :

Mme Martonneau, née Le Sage, Grandin, Gautrie (marquis de Saint-Pollet), Trouillebert, Camille Monnier, R. Gaspéri, Serrier, Lucien Robert, Peter Sound (dont on connait les très curieuses estampes en couleurs), Delierre (le graveur), Henri Martin, Pierre de Montholon, Duval-Gozlan, Julien Le Blant, Frits Thaulow, etc.

Le talent de M. Duval-Gozlan s'apparente aux néo-impressionnistes; il suit le sillon lumineux tracé par les Claude Monet, les Renoir et les Sisley. Il a vu Beaulieu enveloppé d'une lumière douce, parfois, et aussi s'assoupissant dans la chaleur lourde des soirs d'été. On a remarqué de lui, aux Indépendants ou à la Nationale: Beaulieu (1901), La Chapelle des Pénitents, Fin de jour à Beaulieu, Canal à Beaulieu, Bords de la Dordogne (1905 et 1907).

Un jour, M. Julien Le Blant, lassé de dessiner des marins

T. XXX.

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et de vieux grognards, de camper de fiers chouans pour le roman de Balzac, et de représenter les scènes tracées par Alfred de Vigny dans Grandeur et Servitude militaires, alla demander au coteau de Rholan, qui domine la magnifique route, tout ombragée, conduisant à la gare de BretenouxBiars, entre Limousin et Quercy, le calme et le repos des champs. Là, il vit des choses différentes de celles qu'il avait traitées jusqu'alors et en changeant de sujets d'inspiration, il modifia sa manière. Dans une note, que les impressionnistes ne désavoueraient pas, il nota le grouillement des foires et des marchés, le déballage des marchands ambulants, le tournoiement des chevaux de bois chers à Verlaine, le va et vient bruyant d'une fête votive, le rythme d'un groupe de laveuses penchées sur l'eau du Ménoire ou de la Cère, les canaux de la Dordogne, les vieilles rues de Beaulieu et de Bretenoux, des coins exquis de rivière, les foires de SainteCatherine et de Saint-Eutrope, les cours d'auberges encombrées de charrettes, les marchés de la Chapelle et des Pénitents, la boucherie Audinet, la place Marbot, la rue de l'Église, etc. Dans une exposition, à Paris (1905), on apprécia vivement toute cette activité campagnarde, tout ce pittoresque vivant, que rendait à merveille le prestigieux pinceau de l'artiste.

M. Pierre de Montholon a éclairé d'une lumière douce, à peine voilée, de jolis aspects bellocois, dont la perspective merveilleuse de la Chapelle des Pénitents, sur les bords de la Dordogne, qu'il vit dans le « Clair matin d'une belle journée d'été » (1).

Trouillebert, l'émule de Corot, qui peignait dans sa manière, avec une grande virtuosité et un sentiment très personnel, a interprété des « Coins » de Dordogne du plus séduisant effet.

C'est en 1903 que Thaulow se rendit dans le Bas-Limousin. Il vit Uzerche, travailla quelque temps à Collonges, la

(1) Ce même sujet a été traité par M. Henri Polart, pour l'affiche du Syndicat d'initiative des Gorges de la Dordogne, section de Beaulieu (1907).

« ville rouge », et séjourna à Beaulieu tout l'été de cette année-là. Le pays l'intéressa au plus haut point. Peintre favori des jours finissants, de l'heure trouble, crépusculaire; interprète vigoureux, original, des vieilles pierres, des murailles lépreuses, des ponts anciens, des ruelles courtes, solitaires, aux coins de maisons ravagées et ruinées par le temps, des toits aux tuiles moussues ou lavées de pluie, ce maitre est avant tout un incomparable et puissant évocateur

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F. THAULOW LA DORDOGNE, A BEAULIEU

de l'eau, des eaux mouvantes, tumultueuses, dont il sait rendre merveilleusement le moutonnement et le frisselis, de la neige, aux nappes maculées par le dégel; de la pluie. tombée; des chemins jonchés de feuilles mortes, de l'automne enfin, dont il sut noter l'indéfinissable mélancolie.

De Beaulieu, Thaulow rapporta: La Dordogne (au PortBas), Les Platanes, sur la route de Beaulieu à Brete

noux (1904); Le Soir (1904), Soir en Corrèze (1905) (1), où sur un ciel mauve, une étoile piquait son point lumineux, le tout exposé au salon de la Nationale. Puis ce furent encore : Petite Rivière de Beaulieu (le Ménoire), Rue de village, Toits rouges, La Nuit (exposés à la galerie Georges Petit, en 1904); Été à Beaulieu, Bords de la Dordogne (vente de son atelier, après sa mort), etc.

Une des dernières œuvres du maître est une estampe en couleurs, La Diligence, qui note, à la nuit tombante, l'arrivée d'un courrier, aux formes massives et désuètes, sur la place de la Barbecane. Sur la gauche, baignée d'ombre, s'allonge la façade de l'hôtel du Bessol; sur la droite, Marbot s'érige sur son socle blanc; au milieu, la diligence glisse, fantômatique, dans la brume, alors que dans le fond s'estompent des formes de vieux logis. L'heure est indécise, troublante, et l'impression qui se dégage de l'œuvre est profondément saisissante.

Brive et ses environs (Malemort, Varetz, Obazine, Meyssac, Collonges, etc.), ont été peints par quelques artistes, fixés dans le pays, et par quelques autres de passage: Noël Boudy; M. Castex (Brive sous la neige, Église de Malemort, Varetz à l'automne, Cascade de la Bouvie, Bords de la Corrèze, La Grotte des Anglais, près de Bassaler, Cimetière limousin, Confluent de la Corrèze et de la Vézère, Porche de l'église de Saint-Pantaleon-de-Larche, Collines couvertes de genêts, etc.); M. Ernest Rupin, un des meilleurs produits de l'École de Toulouse, conservateur du Musée

(1) Collection Duverger Taboureau. A ce propos, M. Marcelle Tinayre écrivait dans la Revue de Paris : « M. Thaulow nous montre une maison qui s'endort parmi les arbres rouillés, au bord de la Dordogne; le ciel est mauve; une étoile se lève..... Ailleurs, une route boueuse fuit entre les platanes; le ciel est gris; des vols de corbeaux se mêlent au vol des feuilles. Paysages mouillés, frissonnants, d'une beauté grave et douce »>.

de Brive et historiographe de L'ŒŒuvre de Limoges, sachant manier avec autant d'habileté que de compétence la plume et le pinceau; M. Raphaël Gaspéri, né en Quercy d'un père italien dont il fut l'élève, fusainiste et peintre (vieilles rues de Brive, bords de la Corrèze, paysages de la banlieue : Étoile du Soir, sapins de Migoul, En Hiver, neige sur le chemin de la Bouvie, La Nuit vient, étang de Glanges (au Musée de Brive), Matinée d'Automne, Femme se rendant à l'église de Malemort, Derniers rayons (route de Meyssac), Un soir d'Hiver (1908), etc.); M. Etienne Bonnand, un des rénovateurs des dessins de dentelle, qui n'ignore point, tant s'en faut, comment se fait un paysage; M. Léon Galand (Vieille rue de Malemort, Effet du Soir, Enfants jouant sur les bords de la Corrèze, etc.). Citons encore: MM. Jaudin, Alexandre Bertin (Meyssac), Delsart, Jules Vialle, Robert (Turenne), Mme Marguerite Bernard, etc.

Nous retrouvons presque tous ces artistes à Obazine, un des sites les plus intéressants du Bas-Limousin, avec Gimel, Beaulieu, Uzerche, etc. Noël Boudy (Le Saut de la Bergère, 1892; Je crois en Dieu, au Musée de Brive); Delierre (Gorges de Coiroux, au Musée de Brive); le graveur Prunaire (Tombeau de saint Etienne); Ernest Rupin (Vieux Porche d'Obazine); l'aquarelliste David; Raphaël Gaspéri (Champ de Blé noir, 1903; Le Soir, Sarrazin en fleurs, 1905; Lever de Lune, 1906, etc.); A. Fleuri; enfin, M. Didier-Pouget, qui, après avoir fixé les sites de la Creuse, à Gargillesse et à Crozant, se rendit à Obazine sur les indications de M. Gaspéri, qu'il avait rencontré dans le Midi.

M. Didier-Pouget s'est fait une grande réputation de peintre de bruyères en fleurs, dont il a fort heureusement rendu l'intense poésie. Il en a été blàmé par les uns, loué par les autres, ce qui n'empêche pas les imitateurs, et même les contrefacteurs, plus ou moins adroits, de se produire en tous temps et en tous lieux. « Lointains ambrés, eaux limpides, chênes robustes à demi-dépouillés de leurs feuilles roussies, fin de saison, déclin du jour, beaux comme la vieillesse du sage, M. Didier-Pouget reste fidèle à la Corrèze et si les

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