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Mais Crozant et Fresselines ont surtout inspiré les maîtres de l'art impressionniste: Claude Monet et Armand Guillaumin, en premier lieu. Puis, en second, leurs principaux disciples MM. Paul Madeline, les frères Delahogue, Allan Osterlind, Otton Friestz, Eugène Alluaud, etc.

En février et mars 1889, Claude Monet se rendit à Fresselines chez Rollinat, dont il fut l'hôte. Les « tragiques paysages de la Creuse, voilés d'un si poignant et presque biblique mystère », comme disait M. Octave Mirbeau, l'intéressèrent, et il en rapporta de son séjour une trentaine de toiles qui furent exposées à la galerie Georges Petit, à Paris, la même année. Elles y obtinrent un succès retentissant avec d'autres œuvres du maître. Jamais, peut-être, la « mise en caractère d'un terrain », qui est le propre de l'art si probe et si original de Claude Monet, n'avait été observée comme dans les œuvres suivantes :

Étude d'eau; Ravin de la Creuse, effet du soir; Pont de Vervit (Creuse); Vieil arbre au bord de la Creuse; Village de la Rocheblond (Creuse); Vervit (Creuse); Gelée blanche, soleil levant; Avant le lever du soleil, gelée blanche; Les eaux semblantes (Creuse), effet de soleil; Le barrage de Vervit (Creuse); Les eaux semblantes, temps sombre; Ravin de la Petite-Creuse; Coucher de soleil aux eaux semblantes; La Creuse, temps sombre; La Creuse; Le vieil arbre (Creuse); Rocher de la Creuse (appartient à M. Clémenceau), etc.

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Quel que soit le coin de nature qui l'intéresse, dit M. Georges Lecomte dans L'Art Impressionniste, M. Claude Monet en restitue l'ampleur. Les combes abruptes et mystérieuses de la Creuse l'ont tenté il a rendu la solitude des cirques, le chaos géant des rochers que les déluges entassèrent, les fayes profondes dont le jour perce à peine l'ombre. Des végétations sombres vêtent les parois des gouffres. Des taillis maigrelets ornent le bord des ravins et les brusques escarpements. Une teinte violàtre attriste ces âpres sites. dont l'effroi est accru par la nuit lugubre des gorges.

« Cette nature tourmentée n'est jamais mélodramatique. Le peintre ne corrompt pas sa simplicité austère par un vain romantisme. La grandeur farouche du paysage suffit pour émouvoir et l'imagination n'a point besoin d'installer là des personnages d'allégorie, des fabulations mythologiques ou des bandits perpétrant un attentat. Ces convulsions de la terre, interprétée par cet art généralisateur, ont une solennité grandiose. >>

Il semble bien que c'est dans le cadre de la nature marchoise que M. Guillaumin a pu donner toute sa mesure, dit M. Georges Lacombe dans une notice qu'il consacra à cet artiste, et il ajoute :

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Chaque peintre a ainsi sa terre d'élection, ses paysages préférés où il travaille avec le plus de bonheur et qui lui inspirent ses œuvres les plus belles, soit parce que ce pays correspond le mieux avec sa vraie nature, soit qu'un atavisme lointain le lui fasse mieux comprendre.

«La Creuse fut pour Guillaumin cette terre d'élection, parce que son âpre caractère, plein de délicatesses éparses et de joie intime, s'accorde à merveille avec le tempérament fort mais délicieux de secrètes douceurs, qui est celui de notre peintre, et aussi parce que son hérédité montagnarde se retrouve à l'aise dans ce rude pays. Il n'y a qu'à voir Guillaumin pour reconnaître en lui un homme du Massif central. Sa tête puissante, renflée, volumineuse, qui tout de suite donne le sentiment de l'énergie et de l'obstination, fait penser aux crêtes basaltiques de là bas. Le bleu clair de son regard fin, doux et franc, rappelle les eaux transparentes qui dévalent des cimes en caressant les rochers moussus dont le lit des ruisseaux s'encombre et les vieux arbres des rives. Enfin, malgré cinquante ans de séjour à Paris, sa démarche reste celle d'un montagnard gravissant une côte.

« Aussi dés qu'il put reprendre possession de ce pays d'où sa famille est originaire, comme il en saisit vite la solide

structure, la beauté tour à tour sévère et charmante, la poésie tantôt pleine de grandeur, tantôt exquise de grâce! C'est là surtout qu'il put tout à la fois montrer ses dons de force et de délicatesse. C'est dans ce pays mouvementé, aux lointaines perspectives de cimes et de plateaux enchevêtrés, qu'il se révéla le robuste, le puissant constructeur de terrains qu'il est.

« Entre tous les mérites personnels qui le distinguent, c'est peut être son originalité la plus caractéristique. Guillaumin aime la majestueuse beauté des grands espaces de montagnes et de plaines se développant à l'infini, aperçus à travers une gorge du premier plan, au delà du ravin dont il représente le mystère feuillu. Il aime les vastes plateaux étalés en pleine lumière, qui, couronnant d'étroites vallées toutes sonores du fracas des torrents, donnent des fonds d'une variété et d'une profondeur admirables. C'est, dans un grand charme de lumière, dans une gamme très riche de couleurs, une succession de plans d'un sûr équilibre et magnifiquement raccordés. Il faut être d'un tel pays par ses origines ou par les longues années qu'on y passa, pour en rendre avec tant de force la structure si complexe.

« Encore cette solide ossature n'est-elle que le support des radieuses et délicates harmonies que Guillaumin réalise sans cesse d'après les aspects si divers de cette région. Que ces crêtes, ces plateaux et ces combes se recouvrent de neige ou scintillent sous la gelée blanche illuminée de soleil, il en évoque la candeur radieuse, les subtiles ombres bleues. et toute la rayonnante féerie. S'il traduit avec la plus fraîche délicatesse le charme des jeunes verdures du printemps, la merveille des panaches blancs et roses des arbres en fleurs se détachant sur les rouges labours et le vert tendre des prairies, c'est surtout le grave enchantement de l'automne, avec sa gamme si magnifiquement nuancée d'ors, de roux, de verts pâles, qui lui permit de rendre la plus émouvante beauté de ce pays sévère, mais plein de grâces intimes.

« C'est dans cette région rocheuse, couverte de bois, feutrée de mousses et de lichens, parsemée de ruines altières

en silhouette sur le ciel où passent les plus changeantes tapisseries de nuages, que la personnalité de Guillaumin, tout ensemble puissante et délicate, se révéla le mieux en

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A. GUILLAUMIN LE PONT DE LA FOLIE, A CROZANT

:

(Musée du Luxembourg).

œuvres vigoureuses, exquisement nuancées, d'un faste lumineux et rayonnant. Belles pages de notre art moderne que nous enviera l'avenir (1) ».

(1) Un grand peintre de l'Impressionisme (Revue Bleue, 1906).

D'Armand Guillaumin, on peut citer Neiges et gelées blanches; Les Ruines de Crozant; Le pont de la Folie (Musée du Luxembourg); Chemin des Gouttes; Moulin Bouchardon, bords de la Sédelle; Matin à Génétin: Châtaigniers en fleurs, au matin; Temps de brouillard, à Crozant; Moulin de Jonon, Les Brousses; L'écluse du pont Charreau; Le pont Brigand sur la Sédelle; Moulin de la Folie; Bords de la Creuse, etc., etc. (1).

C'st aussi à Crozant que se révéla le talent souple et nuancé de M. Paul Madeline, le peintre des mariages harmonieux, des tons de cuivre et d'améthyste, dénoncés par M. Arsène Alexandre. « Nul mieux que lui, a écrit M. Octave Uzanne, n'exprima les magistrales et sévères beautés du pays de Crozant, les eaux torrentueuses de la Sédelle, l'or fauve des tapis de feuilles sous les châtaigneraies en novembre, les vieux moulins pittoresques au fond des vallées, les collines couvertes de bruyères ou bien encore les pâles soleils du matin se jouant sur le givre des prairies décolorées par le gel.

<< Madeline avait acquis, auprès de ceux qui aiment la sincérité du rendu et qui ont le sentiment de la nature. décorativement interprétée et joyeusement chantée dans la symphonie des tons, une suffisante notoriété pour poursuivre, avec un succès croissant, ses investigations sur cette terre creusoise qu'illustra le poète de la nature Rollinat. >>

« M. Madeline, dit encore Mme Marcelle Tinayre, est un peu impressionniste, pas trop. Il peint une entrée de parc, une grille, deux pavillons au toit pointu, des feuilles rousses. partout, un enfant et une vieille qui passent; il peint le Pont de la Folie, un moulin, des arbres cuivrés, un ciel de turquoise pâle, délicat, délicieux, le reflet de ce ciel

(1) Sur Claude Monet et A. Guillaumin, cf. Duret Les maitres peintres impressionnistes (Paris, H. Floury, 1907).

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