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Deux Chouans

LE CHEVALIER DE MONTMAUR ET LE BARON DE COMMARQUE

A la limite du canton de Vayrac, en bordure de la route de Martel à Saint-Denis, non loin de la station des Quatre-Routes, se dresse le petit château de la Tulle. C'est une construction rectangulaire que flanque une tour ronde, véritable tour de guetteur, d'une forme très élancée. De loin, on dirait une personne vivante qui, au-dessus de la route et derrière le rideau des peupliers, fixe attentivement la ruine de Cazillac.

Là vivait, en 1789, un ancien garde du corps du roi, M. Jean de Montmaur, qualifié seigneur de la Tulle, avocat en parlement, notable de la ville de Martel, âgé d'environ soixante-cinq ans, époux de dame Anne de Marquessac de Croze. De leur union étaient nés plusieurs enfants: trois fils et des filles.

L'aîné des fils, Tiburce, à l'âge de 18 ans, était entré comme garde du corps à la compagnie écossaise (1), sur la présentation de M. de Lagrange, gentilhomme du Quercy, sous-lieutenant à cette compagnie, dont le capitaine était M. le duc d'Ayen. On retrouve Tiburce de Montmaur mentionné aux pièces du procès de Louis XVI comme figurant encore parmi les gardes du corps, aux appointements de 610 livres,

(1) La compagnie écossaise, dont l'origine remontait à Louis XI, avait le pas sur les trois autres compagnies de gardes.

lors du licenciement, opéré en 1791. Emigré en septembre 1791, il fit à l'armée de Condé toutes les campagnes jusqu'en 1800. Il se distingua notamment à l'affaire de Kramlach. Lors du licenciement en mai 1801, il servait encore au régiment d'Angoulême. Cavalerie, lequel avait pour colonel un Périgourdin, M. de Mellet, et pour lieutenant-colonel un Limousin, le maréchal-de-camp vicomte de Brachet. Une première fois, le 22 septembre 1788, il avait épousé Madeleine-Marie Vidal de Lapize, d'une famille distinguée du Quercy. Après divorce prononcé le 25 pluviose an II, il l'épousa une seconde fois le 2 novembre 1812. En 1815, le roi Louis XVIII le nomma chef d'escadron de cavalerie et l'admit à la retraite.

Un autre fils fut l'abbé Jean-Jacques-PhilippeSuzanne de Montmaur, chevalier de Malte et du Phénix de Hohenlohe, dont il sera question un peu plus loin.

Un troisième fils, le chevalier Joseph-FrançoisEtienne de Montmaur, dit Montmaur Lagilardie, joua un rôle des plus actifs dans les mouvements royalistes qui suivirent la réaction thermidorienne.

Entré aux gardes du corps, compagnie écossaise, le 30 mars 1787, à l'âge de 18 ans, comme son frère et sur la présentation de ce dernier, il était parti pour l'émigration en septembre 1791.

En 1792, il sert dans la cavalerie de l'armée des Princes, et prend part au siège de Thionville.

Après la retraite des émigrés sur les pays-bas autrichiens, en avril 1793, il rejoint le corps de Condé et prend part à toutes les campagnes, jusqu'en 1797.

En 1798 il rentre en France, malgré la loi qui

punissait de mort les émigrés; il y revient avec des pouvoirs spéciaux; il accompagne le marquis de Surville, chargé par Louis XVIII « d'organiser le Midi ».

C'est une figure bien curieuse que celle de ce marquis de Surville et, à son sujet, on peut ouvrir ici une parenthèse.

La Terreur était alors terminée. Mais, suivant un mot bien connu, les morts parlaient. Un vent de représailles, de vengeances parfois atroces et de rébellion, soufflait sur le Midi. Sous un gouvernement méprisé et sans autorité, le Directoire, les anciennes provinces du Languedoc et de la Provence, la région du Vivarais, du Velay et du Forez, voyaient passer avec leurs masques sombres, leurs cadenettes et leurs triques redoutables, ces bandes qu'on appelait les Compagnons du Soleil, les Ganses Noires, les Chouans du Gard, les Vengeurs de la Nature outragée, les Compagnons de Jéhu.

On s'attaquait aux caisses publiques, aux acquéreurs de biens nationaux. Des rives de la Méditerranée au Plateau central régnait une grave effervescence. Quelques royalistes s'offrirent au prétendant pour aller chouanner sur les escarpements des Cévennes. Parmi eux il ne s'en trouva pas de plus séduisant, ni de plus audacieux que Jean-Louis-Armand Tallard, marquis de Surville ce fut un vrai personnage de

roman.

Né à l'Ile-de-France vers 1760, d'une famille originaire du diocèse de Viviers, il avait été capitaine au régiment de Pondichéry. Une première fois, au lendemain du 9 thermidor, il était rentré en France, et, par Lyon, avait gagné son pays d'origine, le Viva

rais. Créole comme saint Georges, il en avait la souplesse et, comme lui, c'était une épée dangereuse. A ses heures perdues, il rimait sans en faire la confidence à personne. C'était aussi une tête folle, dont se défiaient les hauts conseillers de l'émigration, tels que Précy qui, de Vérone, devait le diriger. Louis XVIII et le prince de Condé se renvoyaient ses offres de services, qu'ils encourageaient sans les accepter nette

ment.

Dans son étude remarquablement documentée, Le Prologue du 18 fructidor, à laquelle nous empruntons les détails concernant Surville, M. Ernest Daudet exprime l'avis que ce dernier n'aurait jamais reçu, comme il l'a prétendu, le brevet de commandant suprême dans la Haute-Auvergne, le Vivarais et le Velay. Le contraire paraît ressortir du dossier militaire du chevalier de Montmaur qui fut l'un des lieutenants de Surville et dont les déclarations sont certifiées par plusieurs émigrés, le vicomte de Montchal, le marquis du Boscage, le vicomte de Lafaye et le comte Louis de Clermont-Tonnerre.

C'est à la fin de 1797 ou au commencement de 1798 que le marquis de Surville et le chevalier de Montmaur revinrent en France, sans qu'il soit possible de mieux préciser.

Montmaur avait commission pour commander une région déterminée du Forez et du Vivarais, mais il était sous les ordres de Surville qui se qualifiait, d'après ses papiers, « colonel légionnaire et commis. saire départi par Sa Majesté très chrétienne dans l'intérieur du royaume, près des Français amis du trône et de l'autel ».

La situation des royalistes dans les montagnes de la Haute-Loire était alors bien mauvaise. Ils avaient éprouvé plusieurs échecs. La gendarmerie et les corps d'infanterie légère les traquaient de toutes parts. Un de leurs meilleurs officiers, le chevalier de Lamothe, après s'être emparé de Pont-Saint-Esprit, avait été arrêté, écroué à la prison du Puy, où on l'avait trouvé égorgé le 6 octobre 1797.

Surville et Montmaur, dans les gorges et les forêts de cette région, menèrent pendant quelques mois une existence mystérieuse, et vraisemblablement des plus misérables.

Ce fut une femme, Marie Thiouleyre, veuve de JeanPierre Brun, une « Messaline », a-t-on dit, qui livra le premier.

re

Voici le récit de son arrestation d'après le rapport du général de brigade Colomb, commandant la 1r subdivision de la 19me division militaire :

« Le 15 fructidor, à 8 heures du soir, la gendarmerie de Craponne s'est mise en marche pour se rendre dans la commune de Saint-Pol, avec quarante chasseurs de la 16me demi-brigade d'infanterie légère, en cantonnement à Craponne, commandée par le lieutenant Meusnier, se dirigeant sur une maison. située dans des gorges indiquées comme repaire de prêtres insermentés. A 4 heures du matin, la troupe investit la maison en silence. Au moment où la porte s'ouvre au jour, comme à l'ordinaire, par une femme de l'intérieur qui ne se doutait de rien, la troupe entre et trouve tout le monde au lit. Elle entend du bruit sur sa tête et un mouvement précipité. L'offi

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