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conseil d'Etat et dans l'Exposé des motifs (1). L'associé n'étant pas propriétaire des immeubles qui appartiennent à la société, on ne peut pas dire que son droit a pour objet un immeuble et que par suite il est immobilier. Tant que dure la société, cela est évident. Mais l'associé a encore un droit dans le fonds social, droit qui se réalise lorsque la société est dissoute. Ce droit est-il aussi mobilier? D'après les principes généraux, on devrait décider qu'à partir de la dissolution de la société, le droit de l'associé portant sur les objets indivis qui composent l'actif social, sou droit est tout ensemble mobilier et immobilier, et que le partage décidera définitivement quelle est la nature du droit; le partage étant declaratif de propriété, il déclarera quel a été le droit de l'associé dans le fonds social, à partir du moment où il en est devenu copropriétaire. L'application des principes conduirait à cette conséquence que le droit de l'associé peut changer de nature. Pendant la durée de la société, il sera toujours mobilier; tandis qu'il sera immobilier depuis la dissolution, si des immeubles tombent dans son lot. Mais les principes ainsi entendus conduiraient à une absurdité : c'est qu'un seul et même droit serait tout ensemble mobilier et immobilier. En effet, l'associé n'a pas deux droits, il n'en a qu'un, c'est son action ou son intérêt. Il est vrai que ce droit peut aboutir à donner un immeuble à l'associé; mais ce n'est pas là le but de l'associé au moment où il entre dans la société; son but est de prendre part aux bénéfices de la société. Les bénéfices étant le véritable objet de son droit, il en résulte que le droit est mobilier. Il est vrai que des immeubles dépendent de la société; mais ce n'est pas pour obtenir une part dans ces immeubles que l'associé s'est fait membre de la société; les immeubles ne sont pas le but, ils sont un moyen de réaliser des bénéfices; donc ils ne peuvent pas déterminer la nature du droit l'objet essentiel de l'associé étant de participer aux bénéfices, son droit est mobilier de son

(1) Séances du conseil d'Etat du 4 brumaire an XII, n° 5 (Locré, t. IV, p. 25) et du 22 vendémiaire an XII, no 22 (Locré, t. IV, p. 22). Treilhard, Exposé des motifs, no 13 (Locré, ibid., p. 3). Rapport fait au Tribunat par Goupil-Préfeln, no 6 (Locré, ibid., p. 34).

essence. Quant aux immeubles, ils sont des accessoires de la société et, en quelque sorte, des instruments de l'entreprise. Ce sont les expressions de Treilhard (1); et la qualité d'une chose, ajoute-t-il dans l'Exposé des motifs, ne peut être déterminée que par la considération de son objet principal (2).

Au premier abord, cette interprétation paraît en contradiction avec l'article 529 qui porte : « Ces actions ou intérêts sont réputés meubles à l'égard de chaque associé seulement, tant que dure la société. » Ne faut-il pas conclure de là qu'à partir de la dissolution de la société, le droit de l'associé prend la nature des objets auxquels il a droit et qui tombent dans son lot? Ce qui nous ramènerait aux principes généraux que nous avons écartés, comme conduisant à une conséquence inacceptable; un seul et même droit serait scinde; mobilier pendant la durée de la société, il deviendrait immeuble après la dissolution. Cette interprétation serait contraire à la pensée du législateur. Treilhard vient de nous le dire. Bien que la société possède des immeubles, les actions sont mobilières; il va nous dire aussi en quel sens la loi ajoute que les actions sont meubles tant que dure la société. « On pouvait abuser du principe, dit-il, pour prétendre que les immeubles auxquels les actions donnent droit doivent, même après la dissolution de la société, être réputés de la même nature que les actions; et pour prévenir cette fausse conséquence, on a dû exprimer que la fiction ne durait qu'autant que la société (3). » Qu'est-ce que cette fiction? L'associé a deux droits un droit au dividende et un droit dans le fonds social. Quant au droit dans le dividende, il n'y a aucune fiction, il consiste dans une somme d'argent, il est donc essentiellement mobilier. C'est le droit dans le fonds social qui est réputé meuble par une fiction, bien que l'associé ait un droit éventuel dans les immeubles qui dépendent

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(1) Séance du conseil d'Etat du 4 brumaire an xã, no 3 (Locré, t. IV, p. 25). (2) Treilhard, Exposé des motifs, no 13 (Locré, t. IV, p. 30). Demolombe, t. IX, p. 269, no 413.

(3) Séance du conseil d'Etat du 4 brumaire an XII, no 3 (Locré, t. IV. p. 25).

de l'entreprise. Cette fiction cesse quand le fonds social est partagé; il est certain que les immeubles tombés au lot. d'un associé ne peuvent plus être réputés meubles; ils n'en sont pas moins le produit d'un droit mobilier. En ce sens, le droit que donne une société est toujours mobilier, jusqu'à ce qu'il se réalise par le partage, mais alors il n'y a plus de droit, puisqu'il n'y a plus de société. Nous arrivons à cette conclusion que l'action, tant qu'elle subsiste, est mobilière.

Jusqu'à quel moment l'action subsiste-t-elle ? L'article 529 semble décider la question, en portant que les actions sont réputées meubles tant que dure la société. Donc, pourraiton dire, du moment que la société est dissoute, la fiction cesse, l'on rentre dans la réalité des choses; le droit de chaque associé est déterminé par la nature des objets qui composent l'actif social. La cour de cassation donne une autre interprétation à la loi; elle a jugé que l'article 529 est applicable jusqu'à la fin de la liquidation de la société (1). La société, dit l'arrêt, cesse à la vérité d'exister pour l'avenir, du moment qu'elle est dissoute, en ce sens qu'elle ne peut plus continuer les opérations en vue desquelles elle avait été constituée. Mais elle continue d'exister pour régler ses affaires accomplies, c'est-à-dire pour se liquider; elle subsiste pour sa liquidation : c'est la formule employée dans le langage commercial. A cet égard, elle conserve tous ses droits et tous ses biens. C'est donc toujours elle qui est propriétaire, et partant les associés n'ont que leurs actions qui, par voie de conséquence, restent mobilières. On peut objecter que la théorie de la liquidation est une fiction nouvelle que la pratique a introduite, mais que le législateur a seul le droit d'établir, lui seul pouvant créer des fictions. La cour de cassation répond que la force des choses veut qu'il en soit ainsi, à cause des nécessités de la liquidation. En effet, la liquidation deviendrait impossible. si l'on admettait que, par la dissolution, la communauté prend la place de la société dissoute. Il en résulterait que

(1) Arrêts de rejet du 29 mai 1865 (Dalloz, 1865, 1, 380) et du 27 juillet 1863 (Dalloz, 1863, 1, 460).

les associés deviennent copropriétaires par indivis du fonds social; par suite, la liquidation devrait se faire par eux et en leur nom; si parmi les associés il y avait des mineurs, l'on serait obligé de suivre les longues et coûteuses formalités qui doivent être observées pour garantir les intérêts des incapables. On pourrait objecter que ce sont là des difficultés et des embarras, mais qu'il n'y a pas d'impossibilité; que l'on ne peut donc pas invoquer la force des choses contre le texte de l'article 529. Avouons-le, la jurisprudence a étendu la fiction; or, l'étendre, c'est la créer. Il est donc admis que la société subsiste tant qu'elle n'est pas liquidée; que les liquidateurs disposent librement des biens de la société, alors même qu'il y a des mineurs au nombre des associés. Une fois cette nouvelle fiction admise, la conséquence est évidente: l'article 529 continue à régir les droits des associés.

504. Quels sont ces droits? et en quel sens faut-il entendre ces termes de l'article 529, que les actions sont réputées meubles à l'égard de chaque associé seulement? On a soutenu que la fiction était étrangère aux tiers, qu'on ne pouvait donc pas la leur opposer. Cela n'est pas admissible. Conçoit-on qu'un seul et même droit soit mobilier à l'égard des associés, et immobilier à l'égard des tiers? Quand un droit est mobilier, il l'est à l'égard de tous, de même que les biens corporels sont meubles ou immeubles à l'égard de tous (1). Quel est donc le sens de ces mots de l'article 529, à l'égard de chaque associé seulement? La loi n'oppose pas les associés aux tiers, elle les oppose à la société. D'après la fiction sur laquelle repose l'article 529, c'est la société, considérée comme être moral, qui est propriétaire des immeubles dépendants de l'entreprise; il faut donc lui appliquer le principe qui régit les droits et leur nature; possédant des immeubles, elle a un droit immobilier, elle peut les hypothéquer, les aliéner; les tiers créanciers peuvent les saisir, en suivant les formes prescrites par la loi. Il en serait autrement des associés et de leurs créanciers; les associés n'étant pas propriétaires, ne peuvent ni aliéner ni

(1) Ainsi jugé par la cour de cassation de Belgique, arrêt du 30 avril 1853 (Pasicrisie, 1853, 1, 287).

hypothéquer; ils ne le peuvent, d'après la jurisprudence que nous venons de rapporter, que si, par suite de la liquidation, des immeubles tombent dans leur lot; jusqu'à ce moment, les créanciers personnels des associés n'ont aucun droit sur les biens de la société, puisque ces biens n'appartiennent pas à leur débiteur (2).

505. A quelles sociétés s'applique l'article 529? La question est controversée et elle est douteuse. Il s'agit de savoir ce qu'il faut entendre par compagnies de finance, de commerce ou d'industrie. Le mot compagnie s'entend d'ordinaire des sociétés commerciales qui comptent un grand nombre d'actionnaires, qui possèdent des capitaux considérables, et dont les opérations ont par suite une grande étendue. Doit-on limiter la disposition de l'article 529 à ces puissantes compagnies? Toullier l'a prétendu, mais son opinion est restée isolée; on comprend à peine qu'elle ait été soutenue sérieusement. Est-ce que le caractère juridique d'une société peut dépendre du nombre des actionnaires? et le droit des actionnaires sera-t-il mobilier ou immobilier, suivant qu'ils seront dix ou cent? Nous disons qu'il s'agit de déterminer le caractère juridique des sociétés. Quel est ce caractère? Sur ce point, il ne saurait y avoir de doute. L'article 529 repose sur une fiction, c'est que les associés, tant que dure la société, ne sont pas propriétaires des biens qui composent l'actif social; c'est la société qui en est réputée propriétaire, elle est donc considérée comme un corps moral. Cela a été dit et répété lors de la discussion. du projet de code au conseil d'Etat (n° 503). Le texte et l'esprit de la loi nous conduisent donc à cette conclusion que l'article 529 ne s'applique qu'aux sociétés qui forment un corps moral. Quant aux sociétés qui ne forment pas de corps moral, l'application de l'article 529 ne se conçoit pas; les associés étant propriétaires, dans ces sociétés, de tout ce qui constitue le fonds social, leur droit est déterminé par la nature des choses sur lesquelles il s'exerce: il sera mobilier ou immobilier, suivant la nature mobilière ou immobilière de l'actif social. Le principe est incontestable.

(1) Duranton, t. IV, p. 110, no 122. Demolombe, t. IX, p. 273, no 417.

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