le bon conseil de repasser..... auprès de son successeur. L'échéance, il est vrai, n'est habituellement pas très éloignée; mais elle est sujette à renouvellement indéfini. Nous comptons désormais demander aux ministères un travail... tout fait; c'est celui que préfèrent les Bureaux. D'autre part, à notre époque de suffrage universel, il faut avoir pour soi le nombre; c'est la force de l'association. L'association française espère donc agir sur les pouvoirs publics, par le nombre et la qualité de ses adhérents; je ne doute pas qu'elle n'obtienne l'un et l'autre à Lyon. Joseph LUCIEN-Brun, Docteur en Droit, Avocat à la Cour d'Appel de Lyon. HAUTES COURS ET PROCÈS POLITIQUES Les débats qui se déroulent actuellement devant le Sénat constituent pour tous ceux qui portent en eux le respect de la justice, le plus triste des spectacles. On a vu à une détention illégale de près de deux mois, succéder une instruction conduite avec une étonnante partialité. que couronnent des débats... édifiants. Dans toute cette étrange procédure on cherche vainement ce que sont devenues ces garanties sacrées que la loi assure au plus humble des accusés devant la justice de droit commun. De tout cela on ne retrouve que des simulacres, et il apparaît clairement que des ennemis. politiques ont usurpé l'appareil auguste de la justice pour frapper plus sûrement des ennemis politiques. Quel frein extérieur pourrait, en effet, les contenir ? Ils sont souverains. Et, alors que les formes de la procédure, protectrices de la liberté de la défense, sont rigoureusement observées dans les poursuites ordinaires sous le contrôle sévère de la juridiction suprême, les juges politiques échappent à ce contrôle et prononcent souverainement sur des questions qui excitent au plus haut degré les passions publiques et en des circonstances où il est presque impossible au juge de se préserver de leur empire. Dans le procès actuel, notamment, où des royalistes comparaissent devant des républicains, les adversaires du régime parlementaire devant ceux qui le représentent et doivent le défendre, les accusés ne pourraient-ils pas dire au Sénat comme le ministre norwégien Kjéruf, en 1883 — : « Il ne s'agit plus ici de défense contre l'accusation, mais de défense contre les juges. >> Tout ceci est profondément attristant mais un tel procès, poursuivi par de tels procédés, n'est pas nouveau dans l'histoire. La justice politique n'a pas coutume de se soucier beaucoup des droits des accusés; elle fut dans le passé, et sera toujours le dernier rempart de l'arbi traire, la suprême ressource des gouvernements aux abois. Les hommes se lèguent d'âge en âge ces traditions césariennes, et on voit dans toutes les crises se réveiller ces «lions endormis que Strafford, l'infortuné ministre de Charles I, se plaignait qu'on eût déchaînéscontre lui. Sans doute, la civilisation, par un travail lent mais invincible, leur a rogné les griffes, et ils ne retrouvent toute leur sauvagerie que dans les crises purement révolutionnaires, mais s'ils respectent d'ordinaire la vie des citoyens, ils font litière de leurs droits les plus sacrés. En présence de la convocation du Sénat en HauteCour de justice, pour juger les co-inculpés royalistes, nationalistes et antisémites, beaucoup de personnes ont pu se demander si de telles institutions ont toujours existé dans notre pays et quelles formes elles ont successivement revêtues; s'il s'en trouve de semblables dans les pays voisins et comment elles fonctionnent; enfin s'il est nécessaire de créer des tribunaux politiques et suivant quels principes ils doivent être constitués pour mériter le nom de Cours de justice. C'est à cette triple interrogation que nous nous sommes posée nous-même, que l'on trouvera dans les pages qui suivent une réponse succincte 1. I. Le droit romain n'a pas connu de tribunaux spéciaux chargés de la répression des crimes d'Etat. Sous la Royauté, le roi les punissait en vertu de son autorité souveraine; sous la République, le peuple en ses comices hérita de ce pouvoir arbitraire. Jusqu'à la fin de la République, dit M. Laboulaye, même après l'établissement des Quæstiones perpetuæ, le peuple demeura toujours le juge suprême des magis Indiquons, une fois pour toutes, comme source principale de ce travail le beau livre de M. A. E. Lair Des Hautes Cours politiques en France et a l'étranger, Paris. E. Thorin, 1889, qui a obtenu en 1885, dans le concours organisé par la Faculté de Droit de Paris, le prix Rossi. trats, soit qu'il laissât le procès suivre son cours devant les Quæstiones, soit qu'il déléguât le jugement à une commission extraordinaire, soit qu'il se réservât la connaissanee du procès. » Sous l'Empire nous voyons apparaître la compétence du Sénat, qui fit place ellemême au bon plaisir des officiers du Bas Empire. En résumé, ceux qui étaient accusés de crimes d'Etat étaient livrés au pur arbitraire du pouvoir. Contre eux on avait, sous l'Empire, l'accusation terrible dans son imprécision de «lèse-majesté », sous la République, l'accusation non moins vague de Perduellio qu'Ulpieu définit : « Hostilis animus adversus Rempublicam vel principem. » Aussi M. Laboulaye a-t-il pu comparer le Sénat impérial à notre tribunal révolutionnaire « même mépris des garanties légales, dit-il, même férocité des accusateurs, même lâcheté des juges, même patience des accusés pour se laisser égorger sans se plaindre ». En droit germanique, le grand principe qui domine tout le système pénal est le jugement par les Pairs. Aussi est-ce l'assemblée du peuple qui juge les crimes qui intéressent la sûreté de l'Etat, et tandis que les peines de droit commun sont, en principe, pécuniaires ou soumises au système de la composition pécuniaire, la coutume réserve la peine capitale pour les crimes de trahison, de désertion à l'ennemi, d'abandon de l'armée. -- Sous nos deux premières races, l'assemblée de la nation Placitum generale Conventus publicus Francorum réunit en elle l'ensemble du pouvoir souverain. La juridiction suprême lui appartient. Mais, peu à peu, l'assiduité des chefs aux deux grandes assemblées annuelles diminue singulièrement, en même temps que le roi tend, de plus en plus, à s'arroger les prérogatives de l'impérialisme romain dont le souvenir est encore présent à tous les esprits. Ainsi naît et se substitue naturellement, sans secousse, au Placitum generale, le Placitum Palatii. « C'était à la fois, dit M. Lair, un Conseil politique et une Cour de justice, un Conseil dont le roi s'entourait pour promulguer les lois et les capitulaires, une cour qu'il appelait à l'assister dans le devoir qui lui incombait de rendre la justice à ses sujets. » Nous retrouvons, sous les Capétiens, la même omnipotence et la même dualité d'attributions dans la Cour du roi. Spécialement, en matière judiciaire, sa compétence est universelle. Le roi compose sa cour comme il lui plaît et peut même y « semondre » les communautés de la classe populaire en même temps que les ecclésiastiques et les nobles. Mais, par contre, il semble bien qu'à cette époque l'accusé ait joui du précieux privilège de pouvoir appeler ses amis à siéger parmi ses juges. Malgré ces restes de tradition germanique, la mcnarchie capétienne est une monarchie absolue. Tous les pouvoirs sont, dans leur plénitude, entre les mains du Roi, et, en ce qui concerne spécialement la justice, s'il prend de plus en plus, par la force même des choses, l'habitude de la déléguer à ses tribunaux, il peut aussi la retenir. De là le droit pour le roi de suspendre une procédure commencée par des « lettres de respit, de la clore par des « lettres de rémission », de supprimer le droit d'appel, d'interdire la poursuite d'un crime par des « lettres d'abolition », de disposer de la liberté de ses sujets sans jugement par des « lettres de cachet >> ; de la surtout le droit de soustraire un accusé à ses juges naturels et de le remettre entre les mains de juges spécialement désignés avec des pouvoirs speciaux. La justice par Commission fut la plaie du moyen âge. Alors que l'édit de Crémieu et l'ordonnance d'Yssur-Thille attribuent définitivement, dans la première moitié du XVIe siècle, à la Grand'Chambre du Parlement compétence exclusive pour l'instruction et le jugement des crimes d'Etat ou de lèse- majesté humaine au premier chef, François Ier et ses successeurs continuent à user de la détestable pratique des Commissions judiciaires. |