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Quant aux œuvres de persévérance et aux œuvres d'éducation, nous n'aurons garde d'oublier ce qu'a fait l'Eglise; nous n'allons pas à l'aventure, nous possédons les plus précieuses traditions et sommes en avance sur nos adversaires; c'est chez nous, l'aveu existe, qu'ils viennent prendre des exemples et trouvent des modèles. Continuons à leur en donner, mais si nous devons enseigner comme eux, gardons-nous d'adopter leurs moyens d'éducation. Nous enseignerons sans attaquer la Foi, joignant même aux autres cours des cours d'instruction religieuse; les connaissances scientifiques ou professionnelles sont les mêmes pour tous; en ce point, catholiques et libres penseurs agiront de même. 11 en devra être tout autrement pour les œuvres d'éducation.

Dans nos patronages, dans nos associations d'anciens élèves tout comme dans nos congrégations, nous ne perdons jamais de vue le développement de la piété; chez nous la joie, dans ses plus vives expansions, n'éloigne pas du recueillement de l'esprit. Le chrétien, digne de ce nom, ne se laisse pas envahir par l'ennui de la vie; loin donc de chercher avec passion les distractions bruyantes et continuelles, loin donc de se fuir, il rentre en soi-même. Tout, dans nos œuvres, est fait pour développer chez l'enfant et le jeune homme, cette disposition de l'âme au recueillement, fondement nécessaire de la vie chrétienne. Rien de semblable n'est possible chez des libres penseurs; nous n'avons donc pas à les imiter mais à suivre les traditions de l'Eglise; nul, mieux qu'elle, ne connaît l'âme humaine, nul, mieux qu'elle, ne sait comment la guérir et la fortifier. Nous avons vu, en ces dernières années, des écoles conduites aux théâtres; peut-être l'attrait des représentations fut-il grand; nous nous abstiendrons cependant de semblables moyens d'attirer à nous la jeunesse, et demeurerons convaincus que dans le respect du devoir se trouve notre force véritable. Cet exemple suffit à expliquer quelle est notre pensée : si la guerre qui nous est faite doit ranimer notre zèle, elle ne doit pas changer nos méthodes, le chrétien estime le temps, il doit s'interdire de le mal employer et même de le tuer.

Il serait certes fort intéressant de dresser un inventaire de toutes les œuvres catholiques existantes et de les mettre en parallèle avec celles projetées par le gouvernement; mais, on peut le dire à notre honneur, ce serait trop long, il faut se borner à en esquisser quelques types principaux.

Les Facultés, la loi nous défend, on le sait, de parler d'Universités catholiques, ont pris les plus heureuses initiatives afin d'inspirer l'amour du travail à ceux pour qui il n'est pas une nécessité, mais seulement un devoir. Elles ont fondé des écoles professionnelles où en même temps qu'elles cherchent à assurer des moyens d'existence aux moins fortunés, elles veulent trouver pour d'autres, un abri contre les tentations de l'oisiveté et les dangers, le scandale souvent, d'une vie inutile. Lille a donné l'exemple, en fondant deux écoles destinées à former des chefs d'industries ou d'exploitations agricoles.

<< Depuis longtemps on en sollicitait la création. Il existe, en effet, en France et à l'étranger, de nombreuses écoles d'ingénieurs; mais on n'en trouve aucune qui ait pour but de former spécialement les hommes que leur naissance met à la tête d'importantes exploitations, et dont le rôle social est tout autre que celui de leurs agents.

«Plus généralement, il n'existe pas d'institutions permettant d'occuper la jeunesse au sortir du collège, et de développer son instruction sans la localiser dans des cadres particuliers, établis en vue des services de l'Etat ou de quelques carrières indépendantes, mais qui exigent des connaissances spéciales.

« Si une instruction développée peut rester sans profit, partant sans nécessité, pour les hommes dont la vie se passe à gagner de leurs mains les resssources nécessaires aux besoins de chaque jour, elle est indispensable à ceux qui, nés dans une situation aisée et dégagés d'inquiétudes personnelles, ont le devoir de consacrer en partie leur vie aux intérêts publics. Le travail est d'ailleurs d'obligation religieuse, précepte trop souvent

méconnu de notre temps l'une des causes des révoltes actuelles est la multiplicité des hommes qui, croyant pouvoir s'y dérober, excitent des convoitises et des colères par leur luxe et leur désœuvrement. »

Ces quelques lignes suffisent à faire connaître le but des fondateurs de l'œuvre : il est digne vraiment de catholiques qui, sans négliger le côté technique de l'enseignement, savent regarder plus haut et plus loin. Etre à la tête d'une exploitation industrielle n'est pas cependant une condition nécessaire d'admission à l'école; nombre d'élèves sont devenus ingénieurs au service de diverses compagnies, et, là encore, le succès ne s'est pas fait attendre.

Fondée, dans le même but et conformément aux mêmes principes, l'école d'agriculture présentait des difficultés plus grandes d'organisation; il fallait procéder par voie d'expérience, de tâtonnement, aucun exemple n'existait encore pour guider les fondateurs. Quoiqu'il en soit, l'entreprise ne peut manquer de réussir, l'utilité en est évidente; elle vient combler une lacune dans nos moyens de défense contre les ennemis de la société. A combien d'oisifs une connaissance pratique des procédés de culture ne donnerait-elle pas le goût du travail? Combien d'hommes sans fortune ne ramènerait-elle pas à la terre, en leur ouvrant une autre voie que le fonctionnarisme. Initiés à toutes les questions relatives aux exploitations agricoles, les fils des propriétaires ruraux pourraient, renonçant à un trop fréquent absentéisme, devenir leurs propres régisseurs et remplir plus complètement les devoirs sociaux qu'impose la fortune.

Voilà bien les catholiques de nos provinces du Nord, dont l'énergie, ils l'ont prouvé depuis longtemps, n'est pas seulement une énergie en paroles; et quand nous les entendrons dire: « Ce qui fait notre confiance, ce qui nous donne cette audace, c'est la nécessité même de l'entreprise. Elle est indispensable au salut d'un grand nombre d'âmes groupées dans les usines; donc Dieu la veut, et, si Dieu la veut, qu'est-ce qui pourrait justifier nos hésitations? » nous pouvons croire qu'ils n'hésiteront

pas. L'Université catholique de Lyon et celle d'Angers entrent dans la même voie; les lecteurs de la Revue ont pu connaître déjà, en même temps que de nouveaux projets d'avenir, les résultats acquis.

Les Congrégations religieuses ne sont pas demeurées inactives. Comment les Congrégations de Frères auraient-elles laissée incomplète l'éducation commencée à l'école primaire? Pouvait-on l'abandonner cet enfant, pour lequel les dangers de la vie paraissaient d'autant plus grands qu'on l'avait mieux connu et plus aimé? Une école professionnelle, dirigée par les Frères de la doctrine chrétienne, l'école La Salle existe à Lyon depuis plusieurs années. Le but poursuivi est de détourner les jeunes gens de la fâcheuse tendance qui leur fait préférer toujours les situations d'employés, si modestes soient-elles, au travail de l'ouvrier. Certaines apparences permettent, on le conçoit aisément, de croire le sort de l'employé plus enviable; le vêtement est plus correct, la rémunération s'appelle traitement, appointement, jamais salaire. Le jeune homme pense à toutes ces choses, la vanité l'emporte; il ne sait pas que ce luxe même, si luxe il faut dire, est une charge et que, bien souvent, le chiffre du traitement annuel, divisé par 365, donne un quotient à peine égal au salaire quotidien de beaucoup d'ouvriers.

A son entrée à l'école La Salle, l'enfant n'est pas initié à la pratique d'une profession déterminée; il suit des cours où lui sont enseignés les principes généraux nécessaires à l'ensemble des professions manuelles entre lesquelles il devra choisir. Des matériaux et des outils lui sont confiés; peu à peu ses aptitudes se révèlent, il pourra les connaître et s'adonner au genre de travail auquel il semble être appelé. Des ouvriers habiles sont là pour le former et, en même temps que l'habitude et le goût du travail manuel, lui en faire acquérir l'estime. L'œuvre sera complète le jour où les patrons chrétiens pourront réserver à l'école La Salle le soin de recruter leur personnel. Le régime de l'école est l'externat.

Il y a quinze ans, M. l'abbé Boisard a fondé dans la même ville un établissement ouvert aux enfants destinés,

comme les élèves de l'école La Salle, aux professions manuelles; il en a écarté la dénomination d'école professionnelle et, pour mieux marquer son but, adopté celle d'ateliers d'apprentissage. Les apprentis sont internes, leur formation religieuse est confiée à des prêtres adjoints à M. Boisard. Sous leur surveillance et leur autorité, des ouvriers, choisis par eux, s'occupent de la formation professionnelle. Il y a six ateliers dans lesquels travaillent des sculpteurs, des ébénistes, des menuisiers, des mécaniciens, des serruriers et des cordonniers. L'enfant admis chez M. Boisard doit faire choix d'une profession; ce choix est définitif; il ne fallait pas favoriser la paresse ou l'inconstance et ruiner l'autorité des contremaîtres en laissant quelque espoir d'un changement d'atelier. L'apprenti est, dès le début, prévenu des difficultés de la vie et de la nécessité de se préparer, dès le jeune âge, à pouvoir les vaincre. Devenir, dans le plus bref délai possible, capable de faire un travail digne de trouver acheteur est le but qui lui est proposé. Les notions théoriques nécessaires à qui veut s'élever dans la hiérarchie professionnelle sont enseignées, mais, si l'on peut ainsi parler, avec discrétion. L'abbé Boisard croit devoir, avant tout, la vérité aux jeunes intelligences qui lui sont confiées, et s'il demande à ces apprentis le zèle et l'amour du travail, c'est en développant chez lui un sentiment plus haut que celui de ces ambitions sans limites, causes de tant et de si cruelles déceptions. L'apprentissage fini, l'enfant est bien armé pour les luttes de la vie, mais il sait que souvent les meilleurs eux-mêmes y sont vaincus; aussi les difficultés du début l'étonneront moins, ne le décourageront pas, et bientôt il comprendra le service que lui ont rendu ceux qui, réfrénant les ardeurs de son imagination, l'ont préparé à la vie réelle, l'ont, comme on dit quelquefois, maintenu dans le vrai.

Ce sentiment du vrai, cette absence d'ambition envers et contre tous, résultats précieux d'une éducation vraiment chrétienne, par le calme qu'ils mettent dans la vie deviennent un puissant moyen de succès. Beaucoup d'apprentis de M. Boisard s'élèveront au patronat et dirigeront eux-mêmes des ateliers chrétiens; ce jour-là

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