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LES CAISSES RÉGIONALES DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL

LOI DU 31 MARS 1899

Le Parlement a voté une loi, promulguée le 31 mars 1899, tendant à l'organisation de caisses régio– nales de crédit agricole mutuel, subventionnées par l'Etat.

Cette loi est loin d'être un modèle de clarté et de prévoyance et il est parfois difficile de se faire une idée exacte de son esprit économique et de sa portée juridique.

L'étude sommaire que je présente aux lecteurs de la Revue ne pourra pas résoudre toutes les difficultés et toutes les obscurités; elle les aidera, du moins, à se faire une idée précise de son économie.

L'Etat a obtenu de la Banque de France, lors du renouvellement de son privilège, une avance sans intérêts de 40 millions et une redevance annuelle proportionnée à ses opérations, et qui ne peut être moindre de 2 millions.

Ce sont ces capitaux que l'Etat met à la disposition. de l'agriculture par l'intermédiaire de caisses régionales, à créer, qui les recevront sans intérêts et qui pourront les prêter aux sociétés locales de crédit agricole mutuel. Néanmoins, ces avances ne pourront être supérieures au capital social de la Caisse régionale, versé en espèces.

L'Etat intervient donc, non comme législateur chargé de faire de bonnes lois et de régir équitablement les actes des individus, mais comme facteur économique fournissant des capitaux à une industrie privée, aux frais, risques et périls des contribuables. Peu importe,

en effet, que les capitaux proviennent originairement de la Banque de France, ils sont empruntés par l'Etat, qui est responsable de leur remboursement au point de vue des principes et de la bonne gestion financière, ce qui ne doit pas se faire avec les fonds provenant des impôts, doit encore moins être fait avec les fonds provenant d'emprunts.

Et ce n'est pas sans appréhension qu'on peut voir l'Etat faire un premier pas dans la voie qui le conduirait à être le banquier, non seulement de l'agriculture, mais aussi de toutes les autres industries qui, toutes, ont intérêt à trouver un crédit facile et bon marché.

L'intervention de l'Etat était d'autant moins justifiable qu'elle était inutile. Depuis quelques années, les sociétés de crédit agricole se sont implantées en France, et elles n'ont pas éprouvé de difficultés sérieuses à se procurer de l'argent. Sans doute, quelques-unes ont pu, exceptionnellement, aboutir à une pénurie de capitaux, mais comme la plupart d'entre elles en avaient en excès, il aurait suffi que le législateur leur donnât plus de liberté pour échanger entre elles les capitaux disponibles, en atténuant les lois fiscales qui entravent cet échange.

Tout au contraire, l'administration des finances s'est appliquée à restreindre la liberté des sociétés de crédit agricole et a fait prévaloir devant le Conseil d'Etat des doctrines qui n'ont reçu l'approbation d'aucun juriconsulte autorisé'.

La difficulté que l'Etat n'a pas voulu résoudre par la liberté, il a donc essayé de la résoudre par son intervention directe, en fournissant lui-même des capitaux gratuits.

L'idée n'était, du reste, pas nouvelle. Déjà, sous la seconde République, un Ministre de l'agriculture avait proposé une intervention analogue de l'Etat; mais son projet avait été repoussé par la Commission, sur un rapport fortement motivé, et il ne vit pas le jour de la tribune. Sous l'Empire, une société de crédit agricole

'Arrêt du Conseil d'Etat du 24 décembre 1897.

fut subventionnée-modestement, du reste-par l'Etat; elle a sombré dans des conditions qui, nous le reconnaissons volontiers, n'ont rien de commun avec celles où se trouveront les caisses régionales de crédit agricole prévues par la nouvelle loi.

Depuis, les projets de banque centrale ont été repris à diverses reprises, notamment par M. Develle, alors Ministre de l'agriculture.

Le dernier, celui qui est devenu loi après quelques modifications, a été présenté par M. Méline.

Comme tout le monde le sait, l'honorable M. Méline a fait voter, en 1894, une loi qui avait pour but l'organisation de caisses locales de crédit agricole, dépendant des syndicats agricoles.

L'idée, en elle-même, était fort juste. Mais la loi, rédigée avec trop peu de soins, ne produisit pas les résultats que son auteur en attendait. Il se fonda un très petit nombre de sociétés régies par cette loi, alors que les caisses rurales, qui se plaçaient sous le régime de droit commun de la loi de 1867, se multipliaient rapidement. Mais, leur essor fut pendant quelque temps ralenti par la malheureuse jurisprudence du Conseil d'Etat, dont l'arrêt du 27 décembre 1897 amena la dissolution de plusieurs centaines de caisses rurales.

Le projet de caisses régionales subventionnées par l'Etat, projet qui, dans la pensée de ses auteurs, devait compléter la loi de 1894 sur les caisses locales, en leur donnant un appui, et par conséquent un plus rapide développement - - ce projet présentait donc, à leurs yeux, un intérêt d'autant plus grand que le mouvement de création de sociétés de crédit agricole se ralentissait davantage : aussi, fut-il voté par la Chambre des députés le 31 mars 1898, trois mois après l'arrêt du Conseil d'Etat, et peu de jours avant l'ouverture de la période électorale.

Lorsque l'Etat dispose de capitaux considérables en faveur d'une institution, il est presque impossible qu'il

ne se rencontre pas quelques personnes cherchant à utiliser ces capitaux au profit de l'influence d'un parti ou d'une école. Soit que M. Méline ait dédaigné de descendre à ces petits moyens, et les ait abandonnés à des hommes de parti de moindre envergure, soit que le Parlement n'ait pas voulu se départir d'une exacte impartialité, les manœuvres qui se sont produites ont avorté; mais elles n'en ont pas moins produit ce fâcheux résultat d'obscurcir encore davantage un texte législatif qui ne brille pas précisément par la netteté de vue et la précision des idées.

En France, sauf un petit nombre de sociétés isolées, les sociétés de crédit agricole se groupent en deux associations, aussi différentes par leur esprit que par leurs méthodes.

La plus ancienne est le Centre fédératif du Crédit populaire on peut la caractériser par ses deux principes, de la variété des formes, et de la neutralité religieuse.

En vertu de son principe de la variété des formes, il admet et propage indifféremment tous les systèmes de sociétés de crédit.

En vertu de son principe de la neutralité religieuse, il exclut toute préoccupation d'ordre religieux, et il combat très vivement les sociétés qui ont un esprit chrétien, notamment les Caisses rurales catholiques belges et italiennes, qu'il a blâmées à plusieurs reprises et qu'il a signalées comme un danger public.

Il est difficile de connaître le nombre exact des sociétés fondées par lui. A plusieurs reprises, il a donné des chiffres, qu'il a toujours négligé d'appuyer d'une statistique. L'année dernière, son secrétaire, M. Dufourmantelle indiquait successivement les chiffres approximatifs de 200 et 300 sociétés. Mais, postérieurement, nous trouvons, dans le rapport de M. Lourties au Sénat, la liste nominative des sociétés adhérentes au Centre fédératif il n'y en avait plus que 63.

L'autre association est l'Union des Caisses rurales françaises; frappée des avantages matériels et moraux

des caisses Raiffeisen de la sécurité et de la simplicité de leur fonctionnement de l'esprit chrétien qui est la base de leur organisation et qui trouve en elle un précieux aliment, elle a cherché à les répandre exclusivement en France. Sans fonder des Caisses confessionnelles, ouvertes exclusivement aux personnes professant et pratiquant exactement une religion, elle a eu soin de ne pas perdre de vue le but moral et religieux que Léon XIII, dans son Encyclique Rerum novarum, assigne à toutes les œuvres sociales.

Les succès de cette Union ont été brillants: elle a fondé environ 750 caisses Raiffeisen; naturellement, c'est sur elle que l'Administration des finances et le Conseil d'Etat ont concentré leurs rigueurs. Et l'arrêt du Conseil d'Etat a amené la dissolution de plusieurs centaines de ces caisses. Aujourd'hui, les Caisses rurales affiliées à l'Union sont au nombre de 4 à 500.

Heureusement, l'arrêt du Conseil d'Etat, tout en restreignant la liberté des caisses rurales, a déterminé exactement leurs droits et les limites dans lesquelles elles peuvent se mouvoir: elles ont donc reconquis une pleine sécurité. Mais les adversaires de l'Union, ceux qui combattent ses principes et redoutent son influence, devaient tout naturellement chercher, dans les subventions de l'Etat, un moyen d'entraver son œuvre.

La tâche était délicate: il était difficile de dire au Parlement Nous vous demandons 40 millions pour faire œuvre de coterie. » Le Parlement aurait peut-être reculé en tous cas, les syndicats agricoles, dont on a besoin pour mettre la loi en pratique, se seraient refusés à prêter la main à une telle besogne.

Aussi a-t-on cherché à user d'un moyen singulier: on a voulu rédiger un texte parfaitement libéral, qui ne soulève aucune objection, et se réserver ensuite de l'interpréter d'une manière fantaisiste et illibérale, après son adoption. Et cela n'a pas peu contribué à l'éclosion de doctrines bizarres, dont nous aurons à dire quelques mots dans le cours de cette étude.

Naturellement, nul ne pouvait songer à faire dire à

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