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que pour les fabriciens d'églises. Après cela, mentionnons un bruit d'après lequel le gouvernement songerait enfin à mettre un terme aux embarras que lui vaut cette inepte législation: l'étrange voyage qui conduisit récemment à Rome M. Dumay, le directeur inamovible. préposé aux cultes par le Grand-Orient, n'aurait même d'autre objet que de négocier sur cette affaire avec le Saint-Siège pour rechercher un modus vivendi.

La défense religieuse aura d'ailleurs l'occasion de s'exercer bientôt dans un autre domaine, celui-là même où elle livra naguère ses plus fières batailles et remporta ses victoires les plus chèrement disputées. C'est la liberté de l'enseignement secondaire, ni plus ni moins, qu'on a remise en question, soit à la faveur de l'affaire Dreyfus, soit à raison de la raréfaction que les lycées et collèges officiels subissent dans leur effectif scolaire. M. Henry Beaune a trop bien exposé ici même l'état de la question pour qu'il soit nécessaire d'insister sur les dangers que peut faire courir la proposition Combes au Sénat, ou, sous une forme moins brutale, la proposition Rambaud à la même assemblée. Notons seulement que l'enquête conduite sur ce grave sujet par une commission de la Chambre que présidait M. Ribot, s'est terminée avant les vacances de Pâques, et que la commission a résolu de provoquer, de la part des Conseils généraux, une sorte de consultation sur les réformes qu'appelle le régime de l'enseignement secondaire en France. Or, il faut qu'on sache qu'une dizaine de ces Conseils s'est prononcée, dans des termes d'une franchise parfois cynique, pour l'abrogation de le loi du 15 mars 1850, et pour l'inaccessibilité des grandes écoles du gouvernement, voire de toutes les fonctions publiques, aux élèves des collèges libres et chrétiens. Ainsi, à une heure de crise nationale, intérieure et même extérieure, ces tyranneaux que l'opportunisme rural investit du droit de trancher ces problèmes, sont obsédés par une préoccupation unique, celle de persécuter les éducateurs les plus patriotes et leurs innocents élèves, à seule fin de remplir par voie de contrainte les lycées désertés! Il

faut pourtant bien donner l'éveil aux catholiques, et les avertir qu'ils doivent dès maintenant porter de ce côté de vigoureux efforts.

Ne quittons point ces questions de défense religieuse sans mentionner les intelligentes initiatives auxquelles a donné lieu le crime de Lille. On sait que, dans cette ville, le dimanche 5 février dernier, un garçon de 12 ans, du nom de Gaston Foveaux, a disparu de l'établissement que les Frères des Ecoles chrétiennes dirigent dans la rue de la Monnaie, et dans lequel il était venu, suivant son habitude, prendre part aux exercices et aux jeux de son patronage. Son cadavre a été retrouvé, le matin du mercredi 8, dans un petit parloir situé à l'entrée de l'établissement. L'émotion publique a été vive: les meneurs socialistes et anticléricaux du crû ont fait rage, s'empressant d'accuser les frères de cet assassinat et des outrages qui devaient l'avoir précédé; des bandes avinées ont parcouru toute la cité, vociférant contre les frères, frappant les prêtres, cassant les vitres des maisons religieuses, bafouant même les jeunes élèves de ces maisons, le tout dans des conditions qui attestaient un mot d'ordre préalable. Quant au juge commis à l'instruction de l'affaire, et qui a nom Delalé, tout son effort, de compte à demi avec le procureur de la République Tainturier, tendit à imputer la responsabilité. du crime à l'un des frères, précisément le professeur du jeune Foveaux, le frère Flamidien-Eloi, nẻ Isaïe Hamez. Et, tandis que, d'une part, ce juge laissait la presse accréditer à Lille, puis à Paris et dans toute la France, les versions les plus répugnantes d'un drame sur lequel il ne sait rien aujourd'hui encore, il omettait, d'autre part, l'observation des règles prescrites par la loi du 8 décembre 1897 qui a supprimé le secret de l'instruction, et il se livrait, sans le contrôle d'un défenseur, à toute espèce de manoeuvres qui lui ont valu, dans un journal aussi peu suspect que l'Aurore, l'épithète de « tortionnaire ». Les confrontations du frère avec le cadavre ont été opérées

avec un véritable raffinement de cruautés inutiles, et quand le juge s'est décidé à permettre à sa victime de désigner un avocat, il y avait longtemps que le vrai coupable avait pu se mettre hors de portée. Car, il n'est personne de ceux qui ont suivi de près cette lamentable. affaire, qui ne soit moralement convaincu de l'innocence du Frère. Les requêtes présentées par l'honorable défenseur, M° Pierre Chesnelong, fils de l'éminent sénateur, établissent que le crime n'a pas été commis dans la soirée du dimanche, mais à un moment bien plus voisin du jour où fut découvert le cadavre; qu'ainsi le crime n'a pas été commis dans l'établissement, lequel a été fouillé de fond en comble le dimanche soir; qu'enfin le cadavre a dû être apporté du dehors. Quoi qu'il en soit, la Chambre des mises en accusation de Douai, à laquelle il a bien fallu que fût soumis finalement le dossier de l'affaire, a retourné ledit dossier à son auteur, pour inobservation des règles prescrites par la loi du 8 décembre 1897 dont nous parlions tout à l'heure. Ainsi s'est trouvée indirectement justifiée la demande d'interpellation que M. Le Provost de Launay avait déposée au Sénat sur l'instruction de ce crime, justifiée de même l'ingénieuse pensée qu'ont eue plusieurs journaux catholiques de Paris et de la province, quand ils ont ouvert une souscription, dont le total dépasse aujourd'hui vingt mille francs, et dont le but est de récompenser la personne qui aidera à découvrir le vrai coupable. Le sénateur Maxime Lecomte a confié au garde des sceaux Lebret, dans une lettre rendue publique, qu'il voyait là un syndicat Flamidien », mais il a fait hausser les épaules. Rien de plus légitime, en effet, rien de plus nécessaire même, que de recourir ainsi au procédé anglosaxon des private detective pour suppléer à l'inaction ou pour contrebalancer la malveillance des juges d'instruction. Déjà, d'ailleurs, ces magistrats n'avaient-ils. pas été désignés à la défiance commune par le législateur lui-même, toujours dans ce même texte du 8 décembre 1897, qui soumet en quelque sorte leur cabinet à la police de l'avocat?

Nous en aurons fini avec les faits intérieurs les plus saillants du mois dernier, quand nous aurons noté l'agitation qui se manifeste d'un bout à l'autre du territoire à propos d'un autre exploit de ce même législateur, intitulé la loi concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail. Cette loi, dont l'incubation dura dix-huit ans, et qui vit enfin le jour le 9 avril 1898, ne devait être appliquée que trois mois après la publication des décrets d'administration publique destinés à en régler l'exécution. Le conseil d'Etat n'a pas consacré moins de onze mois à l'élaboration de ces règlements, et ils ont paru au Journal officiel le 1er mars dernier. La loi devient donc applicable le 1er juin prochain. Mais voici qu'elle soulève un véritable tolle, et qu'on l'accuse ouvertement de préparer la ruine du patronat et des ouvriers eux-mêmes. Telle en est, par exemple, l'économie que les patrons sont comme incités par elle à ne prendre désormais à leur service que des ouvriers célibataires ou des étrangers: d'autre part, les compagnies d'assurances, ayant à prévoir le règlement d'un nombre bien plus grand de sinistres, ont modifié leurs tarifs en conséquence. Bref, les industriels sont à ce point effrayés par les perspectives qu'ouvre devant eux l'application de cette loi, laissée informe après d'innombrables retouches, qu'ils annoncent un peu partout, dans des réunions retentissantes, que, non seulement ils ne participeront pas à l'Exposition de 1900, mais encore ils fermeront leurs usines si on n'ajourne pas l'application ou si on ne revise pas la loi elle-même. Sur quoi le socialiste Millerand, dans l'Eclair du 1er mai, rend cet oracle :

La loi sur les accidents existe. Elle n'est pas intangible. Elle peut, et sans doute, elle doit recevoir des améliorations. Mais il sied d'abord qu'elle soit respectée et appliquée.

Vous souvient-il pas d'avoir entendu déjà cette antienne à l'adresse des religieux traqués par le fisc, ou des trésoriers de fabriques d'églises? Les patrons devaient avoir leur tour, et vérifier à leurs dépens que tous ces prétendus libertaires sont d'incorrigibles jacobins.

Paul TAILLIEZ.

BIBLIOGRAPHIE

Des lois d'ordre public et de la dérogation aux Jois. - Etude de philosophie du droit et de droit civil, par M. le marquis DE VAREILLES-SOMMIÈRES, doyen de la Faculté de droit à l'Université catholique de Lille. 1 vol., Paris, Pichon, 24, rue

Soufflot, 1899.

Dans le domaine du droit civil, où tout a été fouillé, depuis bientôt un siècle, par les commentateurs et les tribunaux, il est difficile de trouver à dire quelque chose de neuf. M. le marquis de Vareilles-Sommières, doyen de la Faculté catholique de droit de Lille, dont les travaux antérieurs révèlent un esprit si personnel et si original, publie un nouveau volume pour démontrer que l'article 6 du Code civil, ainsi conçu : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ». est tout à la fois, dans le Code, une erreur philosophique et une disposition inutile et sans valeur. Une erreur, car, d'une part, il n'y a pas à faire, entre les lois, une distinction, suivant qu'elles intéressent ou non l'ordre public. Toutes les lois sans exception intéressent l'ordre public, c'està-dire le bien public; toutes les lois sont faites dans l'intérêt de tous; malgré que tous n'en profitent pas, parce qu'il suffit que tous puissent en profiter; malgré qu'elles causent parfois un dommage à des intérêts particuliers, parce qu'elles font cela dans l'intérêt de la communauté dont est membre celui dont l'intérêt est lésé. D'autre part, la loi étant une règle de conduite à laquelle tous sont tenus d'obéir, nul ne peut jamais la violer. Or, déroger à une loi, ce serait, en prenant le mot dans son sens grammatical, faire le contraire de ce qu'elle ordonne. On déroge à une convention, lorsqu'on en fait une nouvelle qui modifie la première. On peut faire cela, parce que les parties peuvent régler leurs rapports comme il leur plaît. Mais on ne peut jamais déroger à une loi, car ce serait se mettre en révolte contre une règle de conduite qui vous oblige.

Sous une forme inexacte, qui ne peut pas avoir le sens qu'on lui donne d'habitude, l'article 6 du Code civil exprime cette vérité banale: chacun peut en principe renoncer à un droit que la loi lui confère : mais on ne le peut pas quand la loi le défend et la loi le défend, expressément ou tacitement, lorsque la renonciation serait contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. Ainsi la renonciation à un droit serait contraire à l'ordre public, quand il s'agit d'un droit qui n'est pas créé par

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