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termes de l'article 4 de la loi du 24 mai 1825, témoignant, en effet, que le législateur a simplement entendu interdire les aliénations volontaires, et a établi une simple incapacité.

Ainsi la Cour s'attache uniquement à la loi du 24 mai 1825, et comme la Congrégation avait réclamé en outre le bénéfice de l'article 14 du décret de 1809 sur les Congrégations hospitalières, qui paraissait lui donner le droit d'invoquer les principes régissant les établissements publics, elle déclare que l'article 8 de la loi de 1825, a implicitement abrogé l'article 14 du décret de 1809.

A ne prendre que la lettre de la loi de 1825, et en faisant abstraction de tout ce qui l'a précédé, la solution de l'arrêt pourrait fort bien se justifier. Les termes de l'article 4 n'y répugneraient aucunement: «< Les établissements publics dùment autorisés, pourront avec l'autorisation spéciale du roi : 1o, 2o, 3o aliéner les biens immeubles ou les rentes dont ils seraient propriétaires. » Le texte vise la personne, il semble donc qu'il créé une simple incapacité, comme le font les articles 457, 484, 217 du Code civil pour le mineur ou la femme mariée.

Seulement, toute la question était de savoir si la loi de 1825 était le seul texte visant les Congrégations des femmes, ou si, au contraire, ce texte ne devait pas être nécessairement dominé et éclairé par une autre disposition législative, l'article 3 de la loi du 2 janvier 1817, dont la formule singulièrement précise et caractéristique, établit l'inaliénabilité :

<< Les immeubles ou rentes appartenant à un établissement ecclésiastique seront possédés à perpétuité par ledit établissement, et seront INALIENABLES, à moins que l'aliénation n'en soit autorisée par le roi. »

Or, à cet égard, le doute est difficilement admissible: 1o La loi de 1825 ne contient dans sa partie finale aucune disposition portant abrogation des textes antérieurs.

2o L'hypothèse de la substitution au principe d'inaliénabilité, formulé expressément par la loi de 1817,

d'un principe nouveau et différent, est contredite avec la dernière évidence par les travaux préparatoires de la loi de 1825. Dans cette longue discussion qui dura trois années, pas une phrase, pas une ligne, pas un mot ne permet de supposer que l'idée d'une modification au principe d'inaliénabilité établi par la loi de 1817 ait pu venir à l'esprit de l'un quelconque des membres de l'une ou de l'autre des deux Chambres. A la séance de la Chambre des députés le 17 mars 1825, le ministre en présentant le projet déclare même formellement que la capacité des congrégations d'aliéner en nom collectif sera «la même que celle qui était déterminée par la loi du 2 janvier 1817 ». Les déclarations faites à la Chambre des pairs le 8 février 1825, et le 6 avril 1825 (Moniteur universel, pp. 172 et 516), et à la Chambre des députés les 17 et 30 mars 1825 (Moniteur universel, pp. 392 et 480) rendent à cet égard toute hésitation impossible. La Cour de cassation ne s'est point arrêtée à cet examen des travaux préparatoires de la loi de 1825 : elle paraît ne les avoir même pas soupçonnés '!

3o On peut encore noter que la plupart des décrets postérieurs à 1825 portant autorisation de congrégations de femmes visent la loi du 2 janvier 1817; - que l'avis du Conseil d'Etat du 24 février 1897 lui-même contient le même visa; enfin que les règles, de procédure à suivre en cas d'aliénation, notamment l'enquête de commodo et incommodo sont inconciliables avec l'idée d'un simple régime d'incapacité.

A la vérité, mieux vaut ce silence que l'inqualifiable assertion de l'arrêt de Dijon du 20 janvier 1898: « il est hors de doute, en présence du texte précité et des travaux préparatoires de la loi du 24 mai 1825 que l'interdiction ainsi formulée d'aliéner les immeubles sans autorisation constitue une simple incapacité ». Où la Cour de Dijon a-t-elle donc trouvé la moindre phrase lui permettant d'insérer ce considérant elle n'a eu garde de l'indiquer et s'est contentée d'une affirmation. Comment pouvait-elle même tomber dans une erreur si lourde, étant données les références qui lui étaient fournies par les pièces sur lesquelles elle a été obligée de statuer? Si le temps n'avait pas émoussé certaines délicatesses, on eut pu s'étonner de voir désigner comme conseiller rapporteur à la Cour de cassation le magistrat qui, peu de mois auparavant, avait, comme premier président de la Cour de Dijon, rendu cet arrêt.

Dans ces conditions, il nous est permis de penser que la thèse que nous avons défendue dans la Revue (Cf. notamment décembre 1897 et novembre 1898), si elle est niée et rejetée par la Cour suprême, n'est point réfutée par elle.

Mais une conséquence intéressante se dégage de cet arrêt tout créancier porteur d'un titre exécutoire contre une congrégation de femmes pourra, au lieu de se faire payer sur les meubles ou les valeurs, saisir librement et faire vendre tel immeuble de la congrégation qu'il lui plaira de choisir. Certaines communautés trouveront peut-être avantageux de profiter du moyen qui leur est ainsi fourni de se défaire d'immeubles dont l'aliénation se fût heurtée à de graves difficultés et aurait pu être empêchée. Rien ne sera plus aisé pour elles que de s'entendre à cet effet avec des créanciers, complaisants sans doute mais très réels, des fournisseurs par exemple. Il est clair que ce sera méconnaître les intentions les plus certaines du législateur de 1825: mais comment pourrait-on leur faire grief de s'appliquer l'interprétation de la Cour suprême ?

Quant aux congrégations autorisées d'hommes, l'arrêt ne les atteint pas. Celles-ci sont incontestablement régies par la seule loi du 2 janvier 1817, c'est-à-dire par un texte qui vise non pas la personne mais les biens. Si la Cour de cassation persiste dans le même procédé d'interprétation, elle devra nécessairement reconnaître l'inaliénabilité et l'insaisissabilité de leurs biens; le soin avec lequel l'arrêt du 21 mars répète qu'il entend se placer en face des congrégations de femmes et de la loi de 1825 paraît témoigner de cette préoccupation.

Auguste RIVET,

Avocat à la Cour d'appel de Lyon, Professeur à la Faculté catholique de Droit.

REVUE DES PÉRIODIQUES

REVUE GÉNÉRALE. Bruxelles.

Janvier 1899. - Le projet de loi sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail. (Ch. Dejace).

Les Chambres belges sont actuellement saisies d'un projet de loi sur les accidents du travail. Dès l'année 1886, la question avait été portée à l'ordre du jour de la Commission du travail; reprise en 1891 par une Commission spéciale, puis de nouveau examinée par la Commission du travail, elle semble enfin sur le point d'être tranchée par le législateur. On voit que pour résoudre les graves problèmes de l'assurance obligatoire et du risque professionnel, nos voisins savent prendre, plus encore que nous-mêmes, le temps de la réflexion.

L'accord semble fait dans leur Parlement sur un point la nécessité de sortir du droit commun, des articles 1382-1384 du Code civil, pour aboutir à une réparation équitable des accidents du travail. Difficulté pour l'ouvrier de fournir la preuve de la faute des patrons, lenteur de la procédure, surtout lacune du Code pour la réparation du cas fortuit, ce sont bien les mêmes griefs que l'on a soulevés chez nous contre le régime du Code civil.

Mais si l'accord existe sur le point de départ, des divergences profondes se font jour quant aux remèdes à apporter à la situation.

L'auteur se range parmi ceux qui veulent la proclamation du risque professionnel et rien de plus. Et par là il entend: « le droit pour l'ouvrier à une réparation partielle, en cas d'accidents indépendants de la volonté des parties ou même occasionnés par la faute légère de l'une d'elles ».

D'autres sont plus exigeants et veulent, après le risque professionnel, l'assurance obligatoire. Laissant cette controverse de côté, et suivant en ceci le projet même qu'il étudie, M. Dejace cherche à préciser les points suivants Quel est le champ d'application de la loi? Comment seront fixées et calculées les indemnités?

Sur le premier point, il signale l'ampleur et la hardiesse du projet belge. Tandis qu'en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Angleterre et en France, la législation des accidents du travail laisse en dehors de ses cadres des catégories plus ou moins nombreuses de travailleurs, le projet belge englobe tous les ouvriers des entreprises industrielles et commerciales, sans distinction de grande ou de petite industrie, de travaux dangereux ou non. Seuls les ouvriers agricoles sont exclus du régime proposé. Encore l'exposé des motifs laisse-til entrevoir que le gouvernement étudie les moyens de le leur appliquer aussi.

Tout accident survenu dans le cours et par le fait de l'exécution du travail donne lieu à indemnité, dès qu'il en résulte une incapacité même partielle de travail de plus de deux semaines. L'ouvrier n'a pas à justifier de la faute du patron et on ne peut lui opposer à lui que sa faute intentionnelle. L'auteur proteste contre l'extension du risque professionnel au cas de faute lourde « La conscience non seulement juridique, mais même populaire semble devoir s'insurger contre une pareille extension. » L'accroissement du chiffre de certains accidents constaté par les statistiques allemandes depuis l'adoption de ce régime en Allemagne, corrobore très fortement cette appréciation. On invoque la difficulté de définir, avec une suffisante précision, ce qu'est la faute lourde, et c'est pour éviter des procès que les chefs d'entreprise de la grande industrie ont demandé eux-mêmes la solution du projet. Mais les contestations, supprimées pour l'appréciation de la faute lourde renaîtront dans l'appréciation de la faute intentionnelle. Ce sont les accidents d'une certaine gravité seule

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