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OBSERVATIONS

SUR

LA VALIDITÉ DU CONTRAT D'ASSOCIATION

RAPPORT au XXIIe Congrès des Jurisconsultes catholiques, tenu à Angers en 1898 Séance du 10 août.

On entend souvent des jurisconsultes affirmer que la loi française n'admet pas la validité du contrat d'association, et cette affirmation a trouvé de l'écho jusqu'au milieu de nous.

Les brillantes études consacrées naguère dans la Revue par l'éminent doyen de la Faculté catholique de Droit de Lille, M. le comte de Vareilles-Sommières, à réfuter cette opinion invétérée n'ont donc pu en faire encore complètement justice. Avec quelle ardeur il l'aurait une fois de plus attaquée, s'il avait été parmi nous! Avec quel succès, nous en sommes convaincus, il aurait plaidé la cause non seulement de l'équité, mais encore de la vérité légale auprès de collègues dont l'esprit, trop pénétré peut-être d'un enseignement traditionnel, tient encore en suspicion une doctrine qui n'a contre elle que sa nouveauté!

C'est un inconvénient, d'ailleurs, dont les systèmes juridiques eux-mêmes se guérissent assez vite. Celui dont M. de Vareilles-Sommières, après l'avoir reçu de la science belge, s'est fait en France l'un des premiers champions, a déjà pénétré dans quelques chaires officielles. Pour être plus généralement accepté, il ne lui manque, croyons-nous, que d'être plus connu. On nous permettra donc, à notre tour, de résumer ce qui a été si bien dit ici-même autrefois. Il est des répétitions nécessaires.

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1 Année 1892. La lot française permet-elle aux associations sans but lucratif de posséder?

I

Le contrat d'association n'est rien autre chose que celui par lequel les associés conviennent de mettre en commun leurs apports ou leur industrie, non pour s'en partager les bénéfices, mais pour poursuivre ensemble un but d'ordre moral ou intellectuel.

Ce n'est pas, qu'on le remarque bien, l'accomplissement de ce but lui-même qui est l'objet du contrat ; il n'en est que le motif. L'objet du contrat, c'est la mise en commun, la cession à tous par chacun des apports promis.

Des amateurs se réunissent pour faire de la musique ensemble. Leur but, c'est de se procurer une jouissance. artistique des plus légitimes. Mais pour réaliser ce but, il leur faut une salle de concert, des instruments, des partitions. Ils peuvent se contenter d'apporter chacun leur instrument et leur cahier, et s'installer dans la première salle mise à leur disposition moyennant un prix de location dont ils paieront comptant chacun une partie. Ils pourvoient suffisamment ainsi à l'organisation d'une réunion, mais le lien qui les unit demeure essentiellement fragile, ou, pour mieux dire, ce lien n'existe pas encore. S'ils entendent assurer à l'avenir la périodicité de leurs réunions, s'ils veulent s'obliger d'avance à concourir dans une proportion déterminée aux frais d'installation, à ne pas retirer de l'usage commun leurs instruments et leurs partitions, s'ils désirent enfin se constituer par des cotisations un petit patrimoine destiné à faire face aux dépenses que nécessiteront les progrès de leur organisation, l'entretien de leur mobilier, la publicité de leurs concerts, etc.; force leur est de se lier par un contrat d'association. Ils ne s'engageront point par ce contrat à faire ensemble de la musique dans telles circonstances déterminées. Si une telle obligation peut être valable, s'il suffit, pour lui donner une sanction de la doubler d'une clause pénale, telle n'est pas la ques

tion. En tous cas, cette obligation ne saurait être l'objet d'un véritable contrat d'association. Ce à quoi s'obligeront nos musiciens, ce sera simplement à mettre en commun leurs apports apports en argent, ce sont leurs cotisations; apports en nature ce sont leurs instruments, leurs cahiers de musique, etc.

Nous avons supposé que nous avions affaire à des amateurs et non à des professionnels. Au lieu de chercher dans leur contrat simplement le moyen matériel de se procurer une jouissance désintéressée, des professionnels y chercheraient le moyen d'attirer l'argent du public, et par conséquent de réaliser et de partager un bénéfice. Au lieu d'un but désintéressé, le contrat aurait un but lucratif, et il deviendrait de ce chef contrat de société. Mais l'objet n'en serait pas changé. Ce serait toujours la prestation réciproque des mêmes apports, soit en nature, soit en argent.

Variez les exemples, leur analyse vous conduira toujours à la même constatation. Vous pourrez comparer une association de religieux consacrée à l'enseignement et dont les membres mettent en commun, dans ce but, tout ou partie de leurs biens personnels, avec une société d'industriels qui se proposent de faire fructifier leurs apports en vendant aux parents l'instruction et jusqu'à la nourriture donnée à leurs enfants; toujours ce sera par leur but que les contrats diffèreront, jamais par leur objet.

En quoi donc le contrat dont le but est désintéressé serait-il moins valable que celui dont le but est intéressé ? Consentement, objet et cause, lequel des éléments essentiels aux contrats lui fait défaut? Il serait puéril d'insister sur le premier. Le second, nous venons de le démontrer, est identique à l'objet de la société. La cause enfin, faut-il le rappeler, est ici ce qu'elle est dans tout contrat synallagmatique. C'est la promesse, ou mieux l'obligation de chaque associé d'effectuer et de maintenir l'apport promis et de se conformer pour la gestion du patrimoine commun à la volonté commune, qui sert de cause à l'obligation correspondante des autres parties.

En sorte qu'on ne peut dire que le droit des associés soit dépourvu de sanction parce qu'il manquerait d'intérêt, et que, s'il fallait encore aujourd'hui que tout contrat, pour mériter ce nom, fût apte à se plier à la classification romaine des pactes, c'est dans la classe do ut des que nous rangerions sans hésiter le contrat d'as-, sociation.

Donc, le contrat d'association présente, avec celui de la société, la plus grande analogie. Une seule différence les sépare, c'est le but lucratif, essentiel à la société, absent de l'association. Quelle conclusion est-il permis de tirer de cette différence? Ce n'est pas, bien entendu, la nullité du contrat d'association, car il n'est pas possible d'oublier à ce point que notre droit réserve une place aux contrats innommés. La seule conclusion, c'est simplement que le contrat d'association n'est pas un contrat de société.

II

Cherchons donc à préciser les effets qui découleront pour les associés de leur convention.

Nous ne prétendons pas, assurément, que cette convention suffise à doter l'association d'une vie parfaite et perpétuelle. Nous n'allons pas jusqu'à soutenir qu'elle lui confère de plano la personnalité morale. C'est une grosse question que celle de la personnalité, qui reste obscure. jusque dans le champ, pourtant mieux exploré et mieux. connu, des sociétés. S'il fallait prendre au pied de la lettre la formule d'un arrêt du 22 février 1898, que la société civile tient du seul effet de la, convention des parties le caractère de la personne morale', nous ne verrions guère, à la vérité, comment on refuserait à la convention sans but lucratif le pouvoir de produire cet effet reconnu à la convention à but lucratif. Pour le

1 Cass. Req., 22 février 1898. Gaz, Pal., 22 mars 1898.

moment du moins, la jurisprudence ne va pas jusque-là. Elle affirme, au contraire, que la simple association « n'a pas réellement la personnalité civile, à défaut de but lucratif. » On peut reprocher à la jurisprudence de prendre ainsi une position peu logique. Mais il faut remarquer qu'elle corrige elle-même cette attitude par maintes atténuations de détail. Elle décide, par exemple, qu'une société de courses autorisée par l'administration, peut ester en justice par l'entremise de ses administrateurs, « parce qu'elle peut fonctionner dans l'ordre de l'entreprise déterminée par ses statuts3. »

Elle a été jusqu'à décider qu'une association religieuse d'hommes non régulièrement autorisée par une loi, mais reconnue par ordonnance royale comme association charitable en faveur de l'instruction primaire, peut faire les traités nécessaires pour entreprendre la direction d'une école et peut réclamer en justice les sommes qui lui sont dues pour l'exécution de ces traités3.

Elle va plus loin encore: elle reconnaît aux associations revêtues de l'autorisation administrative «<< une individualité véritable » et cette individualité propre, l'association la trouve « tant dans la nature de son objet que dans l'adhésion de l'autorité publique. » Faudraitil presser beaucoup ces dernières expressions pour en tirer l'assimilation pure et simple de l'association à la société?

Mais laissons ce point de vue sujet à controverses. Aussi bien la personnalité civile n'est pour l'association qu'un utile « ornement », selon l'expression heureuse de M. de Vareilles-Sommières. On l'a contestée longtemps à la société civile, sans infirmer pour cela la validité du contrat.

Cass. Req., 2 janvier 1894. S., 1894, I, 129.

2 Ibid.

Cour de Toulouse, 6 mars 1884. S., 1887, II, 187.
Cass. civ., 25 mai 1887. S., 1888, I, 161.

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