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hommes vertueux sous un gouvernement dur, igno→ rant, despotique, oppresseur, voué à la superstition, au fanatisme. Qui donc osera se montrer assez lâcho pour les blâmer de vouloir opérer un changement dans un tel ordre de choses? Qui aura le méprisable courage de réprouver le but auquel, dans tous les âges, ont aspiré les belles ames, les grands hommes, les génies vastes? Le tenter ouvertement, ce serait vouloir détruire ce projet dès sa naissance. Nous supposons qu'alors, et dans un tel but, on recourt aux associations secrètes; si ce gouvernement persiste dans ses principes, s'il sévit, de quel côté sera le bon droit? Ah! si quelque chose pouvait excuser le mépris de quelques têtes supérieures pour l'espèce humaine, c'est cette indécision honteuse! O Socrate! toi qui voulus enseigner aux hommes la raison et la vertu, malgré le gouvernement d'Athènes et ses défenseurs, tu fus un mauvais citoyen, peut-être ! mais où est le vil mortel qui voulût prononcer ta condamnation? où est l'homme digne d'estime, qui ne se crût pas honoré d'essayer ce que tu tentas de vivre et de mourir à ta place ? Celui qui laisse l'ordre social comme il est, n'est peut-être pas coupable; il ne l'est pas, s'il a son excuse dans la faiblesse de ses talens ou dans la sincérité de sa modestie: mais celui qui travaille à améliorer son siècle, et sur-tout sa nation, celui-là mérite seul le nom de vertueux. Quelquefois, sans doute, pour le succès même de ses pieux desseins, il devra préférer à l'honneur de s'exposer à boire la ciguë, la prudence obscure de mettre, par une marche lente et secrète, ses projets à l'abri

des violences du gouvernement. Mais quelle que soit celle qu'il adopte, l'exemple qu'il donne est louable, son dessein est sublime, et les voeux de tous les hommes sensibles doivent être pour lui.

Cependant, si l'on applique ces principes généraux aux circonstances modernes, il s'en trouve de particulières qui changent le point de vue. A l'aide des associations secrètes, on peut, sans doute, étayer ses desseins d'hommes puissans, c'est-à-dire de ceux qui influent de quelque manière que ce soit, et préparer une génération éclairée, en s'emparant de l'esprit des jeunes gens toujours attirés par la curiosité, susceptibles d'enthousiasme, parce qu'ils ne sont pas encore désabusés des choses humaines, ct seuls vraiment capables de recevoir des vérités nouvelles , parce que l'amour propre n'a point enraciné chez eux la fausse science et les préjugés tyranniques. Mais dans un ordre de choses où il n'y a point, où il ne peut y avoir d'esprit public, ces sociétés sont un glaive que les fripons peuvent employer aussibien que les honnêtes gens, et que ceux-là savent infiniment mieux manier, la fourbe et la ruse étant leurs armes naturelles. Elles conservent à des hommes corrompus la puissance des dons envers ceux que, sous d'autres formes, leurs séductions ne sauraient atteindre, et confondent sous un masque commun l'homme sincère et le charlatan. Enfin l'imprimerie, grâcé à laquelle il n'est plus de mystère permanent, les liaisons de commerce, les mille moyens de circulation inventés dans ces derniers siècles, et qui donnent tant de ressources nouvelles aux corrup

teurs, la multitude des professions qu'ont enfantées les législations modernes, formées de pièces de rapport et associées aux spéculations de finances, rendent si difficile à garder le secret confié à une société d'hommes quelconques, qu'on ne saurait s'empêcher de croire que le temps des associations secrètes et vertueuses est passé; et quand on réfléchit que c'est par une association secrète que la Suède a vu renverser sa constitution ....... quand on réfléchit qu'il est une société qui, très-probablement, à le projet infernal de plonger les hommes dans le cloaque de la supersti tion, de les enivrer du fanatisme, de les gouverner médiatement par son chef, comme l'imbécille Indien du Paraguay; que cette société, entièrement indifférente dans ses moyens, profonde dans ses ruses, inaltérable dans sa patience, infatigable dans sa persévérance, a fait, à une époque si voisine de la catastrophe qui semblait l'avoir anéantie, des progrès remarquables, on frémit à l'idée des associations secrètes. Voyez coinment, classée au sud de l'Europe; la redoutable société dont nous parlons prend racine au nord, d'où elle semblait entièrement bannie. Dans un temps où tous ces mystères d'iniquités étaient moins connus, des hommes éclairés, vertueux, zélés pour le bien de l'humanité, crurent, en Bavière, trouver dans le sein même des associations secrètes, le remède à leurs abus, à leurs dangers. . . . Ils calquèrent leur plan dessus celui de la société de Jésus, mais en se proposant des vues diamétralement opposées. Les jésuites veulent enchaîner aux autels de la superstition et du despotisme; les illuminés crurent

qu'en employant les mêmes moyens, la prudenco, le temps, la persévérance, ils pourraient tourner contre leurs adversaires l'avantage de n'avoir aucun rite extérieur qui les distinguât, aucun chef visible qui pût les dissoudre, et qu'ainsi rien ne leur manquerait pour éclairer les hommes et les rendre heureux et libres. La base de leur système fut d'attirer à eux des jeunes gens, de les conduire à lire, à s'instruire, à réfléchir. Après les avoir formés à leurs principes, ils les faisaient entrer dans la maçonnerie, tâchaient de s'emparer ainsi des loges, et de faire tourner ces instituts à des choses vraiment utiles à l'humanité. Il s'agissait d'en faire un lien universel qui unît un très-grand nombre de gens éclairés dans les étreintes primitives de fraternité et d'égalité, d'où résultent l'obligation et la félicité de s'entre-secourir, de travailler au bien de l'espèce humaine. On projetait d'étendre, autant qu'il serait possible, la sphère des connaissances, non pas tant en profondeur qu'en surface; de faire parvenir les vérités et les connaissances utiles jusqu'à la classe du peuple; d'y introduire la raison, le bon sens et une saine connaissance des droits des hommes. L'amélioration du système présent des gouvernemens et des législations était le grand but de l'association, par une marche insensible, et sur - tout fondée sur l'instruction .....

FIN DU TOME SECOND.

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