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ne soit bientôt troublée par une réaction très-funeste, résultante autant de l'espoir opposé des factions différentes qui se heurtent, pour renverser la république, chacune suivant leurs intérêts, que de la misère extrême dont presque toutes les classes de la société sont affligées depuis si longtemps.

En effet, d'une part, la république vogue entre les deux écueils de l'aristocratie et de la démagogie; d'un autre côté, chacun se récrie sur les difficultés sans bornes de la vie. Presque tous les citoyens se plaignent très-amèrement de la vilité effrayante des assignats, que l'on ne veut plus recevoir ailleurs qu'à Paris, où ils commencent même à être discrédités au point que plusieurs marchands les refusent, et que d'autres ne consentent à les prendre que sur le pied de 5 à 6 sous pour cent livres.

Les agioteurs sont regardés comme des pestes; les gens de campagne comme des sangsues et des tyrans; les boulangers, bouchers et commissaires préposés à la distribution comme des fripons; enfin les autorités constituées sont traitées sans respect ni ménagement quelconque.

Un inspecteur expose que l'on ne rencontre plus dans Paris que des malheureux rentiers qui, après avoir vendu tous leurs effets, se trouvent, les uns, dans la nécessité de mendier publiquement, et les autres, de demander secrètement dans les maisons.

On nous rapporte néanmoins, que le public lisait hier avec beaucoup d'intérêt la proclamation du directoire exécutif au peuple français, et qu'il en augurait avantageusement.

Cafés. Les habitués, qui s'entretenaient des évènements de la guerre, manifestaient les plus vives inquiétudes sur le silence du directoire exécutif, relativement à la grande affaire qui, disait-on, avait eu lieu sur les bords du Rhin entre les Français et les Autrichiens, auxquels les malveillants attribuent le succès.

L'emprunt forcé. Plusieurs citoyens disaient que cette loi était arbitraire, parce qu'elle ne frappait pas indistinctement toutes les classes. Le voeu général bien prononcé est que les nouveaux enrichis soient spécialement atteints. On débitait aussi que les négociants et marchands ne négligeaient rien pour s'en affranchir, et qu'ils cherchaient par tous les moyens possibles à éluder la loi; enfin on élevait des doutes sur le mode de la perception, qui n'était pas déterminé assez littéralement pour que chacun puisse savoir précisément ce qu'il doit acquitter.

Spectacles. Les orchestres et foyers continuent à être le rendez-vous des ennemis de la république. Ceux-ci ne cessent de la vouer au mépris et à l'indignation publique. Ils frondent ouverteA. SCHMIDT, Tableaux. III.

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ment le gouvernement, et le rendent responsable de tous les malheurs du temps.

Les officiers de paix rapportent séparément, qu'hier au Jardin Égalité un jeune homme à cheveux retroussés a été attaqué et arrêté même par un particulier, qui l'a forcé à défaire ses cheveux. Ce que le jeune homme ayant fait sans difficulté, la rixe n'a pas eu d'autre suite.

Ils ajoutent qu'un autre particulier, s'étant permis de troubler la tranquillité de l'assemblée du Lycée, et ayant même insulté le commissaire de police, en lui disant qu'il parlait comme Boissy d'Anglas, a été exclus de la société.<<

» 8 nivose an 4. Les habitués du café Chrétien sont très inquiets sur la nomination du ministre de Paris; si c'est un patriote (à leur manière), tout ira bien, les royalistes seront emprisonnés; mais si c'est un homme vendu à la faction des Boissy, des Lanjuinais, ils se regardent comme perdus. Aussi s'intriguent-ils de toute manière pour faire nommer un homme à leur dévotion. Ils voudraient qu'on s'assurât de Chambon, Mariette et Cadroy, en attendant la déclaration du jury pour savoir, s'il y a lieu à accusation contre eux. Ils sont revenus sur Verdière, président de la commission militaire dans l'affaire de Cormatin, qui a reçu, ont-ils dit, une forte somme pour prononcer le jugement qui a eu lieu: ils l'ont habillé de toutes pièces. Ils ont décidés de dresser une liste des chefs, sous-chefs et employés des administrations qu'ils regardent comme royalistes, afin de les faire expulser. Enfin ils espèrent toujours venir à bout de faire chasser le nouveau tiers, supprimer les 250, et même faire renouveler le directoire dont quelques membres leur déplaisent.

On l'a déjà observé, il y a environ deux mois, que l'on assurait que l'ex-marquis de Jaucourt, le conseil et le confident de Monsieur, était à Paris, caché dans la cité; on le répète encore aujourd'hui, et l'on affirme qu'il y est. Il est également certain que le marquis de Coigny, émigré, est à Paris; plusieurs personnes l'ont

reconnu.

Hier au foyer des Italiens, l'on parlait de la conduite des jeunes gens près de Caën, qui ont tiré sur la garde nationale; et l'on a dit hautement, qu'il en fallait faire autant ici, pour secouer le joug du directoire.

L'on dit que La Reveillère-Lepaux était opposé en tout à ses collègues, mais qu'on lui a mis tant d'or dans ses poches qu'il

est devenu, comme eux, protecteur des terroristes; aussi, continuet-on, ces derniers vont-ils occuper tous les emplois de la république. L'on s'est beaucoup entretenu dans les sociétés particulières, et dans les cafés, de la proclamation du directoire, et l'on n'a pas manqué de calomnier le gouvernement et ses intentions.

Les malveillants ne cessent de répéter, que l'emprunt forcé ne produira d'autre effet que de ruiner sans ressource les contribuables; qu'il n'est pas possible qu'un gouvernement aussi mal conduit, que le nôtre, subsiste longtemps. L'organisation de la garde nationale se fait avec beaucoup de tiédeur; personne ne veut accepter les places d'officiers.

Départements. . Dans presque tous, on pille, on vole, on tue, on incendie au nom du Roi, et pour la plus grande gloire de la religion. Dans ceux du midi, surtout, les excès sont portés au plus haut point. Suivant quelques journalistes, c'est le royalisme qui triomphe; suivant quelques autres, c'est le terrorisme qui l'emporte.

Groupes. Il s'en est formé un dernièrement, assez nombreux, dans le fbg. Antoine; quoique l'esprit en général y fût assez bon, il s'y trouva néanmoins quelques agitateurs qui, après avoir exagéré nos pertes sur le Rhin, traité de paix plâtrées toutes celles que nous avions faites depuis le 9 thermidor, invitaient le peuple à se lever en masse de nouveau, pour exterminer ses ennemis. Les ennemis du peuple, selon l'avis de ces Messieurs, ce sont tous ceux qui ont quelques projets légitimes, qui n'ont ni volé ni assassiné.

Charette. Quoique les forces de ce chef de rebelles aient été très-affaiblies depuis quelque temps, par différentes actions où les troupes de la république ont toujours eu l'avantage, il a pourtant trouvé le moyen de se faire jour à travers la colonne républicaine qui le cernait, et a établi par là une communication avec les émigrés débarqués à l'Isle-Dieu.

Situation de Paris. Une fermentation sourde semble toujours agiter cette grande commune. Des placards, des pamphlets, qui se renouvellent sans cesse, s'occupent par toutes sortes de moyens à exaspérer le peuple. Il n'y a point de doute, que ce ne soit le résultat des entreprises de certains individus qui, cachés derrière le rideau, n'ont d'autre but que de se venger des journées de prairial, d'entamer le corps législatif, et de rétablir la constitution de 1793.

Annales patriotiques. Un article sur le citoyen Barthélemy annonce que son rappel est décidé, et rapporte des particularités sur son existence avant la révolution. En suite de cette note historique, ou mensongère, viennent des inculpations très

graves contre cet ambassadeur, au sujet de sa gestion à Basle. On lui reproche particulièrement, de n'avoir pas divulgué les manœuvres des émigrés réunis dans cette ville, qui agissaient de concert avec les conspirateurs de Vendémiaire. „,C'est au sieur Barthélemy, dit le journaliste, c'est à lui, qui est si gravement inculpé, à se justifier aux yeux de l'Europe, dont, par une conduite astucieuse et lâche, il a trahi les intérêts."

Ce journal rapporte en outre une lettre fort spirituelle, contenant le récit d'un dialogue entre deux bons républicains au sujet des intérêts politiques de la France. L'un assure qu'il faut faire la paix, à quelque prix que ce soit, pourvu qu'on recon naisse la république, qu'on nous rende nos colonies, et que les émigrés soient abandonnés. L'autre veut qu'on s'efforce de conserver toutes nos conquêtes et la liberté des Brabançons, dût-on faire encore deux ou trois campagnes pour les maintenir. L'auteur de la lettre, chargé d'accommoder le différend, dit aux interlocuteurs: ,,Vous êtes tous deux républicains; l'un de vous aime la gloire et la patrie au-dessus de tout, l'autre s'occupe plus de son bonheur. Le premier parle en héros, le second raisonne en sage." L'auteur se résume en disant (à peu près), que le directoire doit connaître nos ressources et s'intéresser à notre gloire, et qu'il faut s'en rapporter à lui pour les accorder. Cette observation concilie les deux personnages.

Courrier extraordinaire. Le traitement de notre Ambassadeur en Espagne, et de son secrétaire de légation, est l'objet d'une remarque improbative faite par le rédacteur. „,Sous l'ancien régime, dit-il, le premier recevait par an cent mille livres, le second six mille; aujourd'hui que nous sommes beaucoup plus riches, l'un recevra 150 mille livres, l'autre 24 mille en espèce."

On parle toujours d'un rassemblement d'ouvriers qui doit se porter la décade prochaine au palais Égalité, pour y donner une forte leçon aux agioteurs. Il faut, dit-on, les pendre aux arbres du jardin où ils viennent chaque jour sucer le sang du peuple, et aux lanternes des restaurateurs où il font tant de dépenses.<<

»9 nivose an 4. Esprit public. Malgré la tranquillité dont on jouit, les affreux ravages de la misère exaspèrent de plus en plus les esprits. La multitude souffrante, ne connaissant presque plus de ménagement, se répand chaque jour en propos les plus injurieux contre le gouvernement et ses agents. Elle voit avec horreur le

monstre de l'agiotage, toujours impuni, repaître chaque jour de son sang et de ses larmes. Elle se plaint de voir l'abondance dans les places et d'être privée du plus rigoureux nécessaire. La conduite des boulangers et des bouchers ajoute encore à son indignation. Dans les cafés et dans les groupes le bruit courait hier, que, tant que le corps législatif ne sera pas purgé de quelques fripons qui y siégent, les choses n'iront jamais bien. Quelques individus prétendaient que tout allait au plus mal, et notamment la guerre de la Vendée; que les juges avaient reçu des sommes considérables · pour sauver Cormatin. Quelques spectacles ont été un peu bruyants, et l'on a cru remarquer qu'ils deviennent le rendez-vous de ceux qui détestent le gouvernement. La société du Panthéon est excessivement mélangée; le café Chrétien devient mauvais.

Café Chrétien. On y a parlé des différents ministres, et l'on a assuré que les bureaux de ceux de la marine, des finances, et surtout de l'intérieur, n'étaient composés que de Chouans. Des membres des anciens comités révolutionnaires, qui fréquentent ce café, se sont vantés d'avoir fait, chacun dans leur section respective, une liste exacte des agioteurs et des contrerévolutionnaires qu'elles contiennent, afin de les connaître et de les arrêter en temps et lieu. Les habitués de ce café ne s'accordent pas sur le ministre de Paris: les uns veulent Thuriot, les autres Duhem; mais ils se réunissent tous pour dénoncer au directoire celui qui sera nommé, en cas qu'il ne leur convient point. Ils attendent avec la plus vive impatience le numéro de Baboeuf dans lequel il doit inviter le peuple, avec énergie, à reprendre ses droits. Ils savent que les royalistes menacent, mais ils sont prêts à tomber sur eux.

Les Patriotes déclament contre la constitution actuelle; ils disent qu'elle n'est autre chose que le plan présenté par Breteuil, en 90, qui demandait un Roi et l'établissement de deux chambres; les deux conseils sont les deux chambres, et le directoire représente le roi, jusqu'à ce que le moment soit arrivé de rendre le trône au prétendant. Ils ajoutent que cette constitution est l'ouvrage des 73, qui n'ont fait que suivre le système royaliste de Brissot et des Girondins. Les Royalistes espèrent trouver dans le directoire un homme assez ambitieux pour vouloir gouverner seul, qu'ils serviront d'abord, pour le perdre ensuite et rendre le trône au roi légitime. Ils paraissent déconcertés par le projet de nommer un ministre de Paris. Ils craignent que ce ministre ne soit choisi parmi les Jacobins, qui sentent bien qu'ils ne peuvent réussir dans leurs entreprises, tant qu'ils n'auront pas un chef qui soit membre du gouvernement. Ils continuent de faire leurs efforts pour semer des inquiétudes.

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