Page images
PDF
EPUB

valeur que les autres. Ils ne connaissent plus que le numéraire, et refusent même la nouvelle monnaie au coin de la république.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.

Limodin. <<

»6 prair. an 4. Esprit public. Groupes et cafés ne retentissaient hier que de plaintes sur la trop grande rapidité de l'augmentation de toutes les marchandises, sur l'indifférence à l'égard des agioteurs de la plus misérable espèce qui assiégent le perron, sur la facilité qu'il y aurait avec peu de cavalerie à dissiper ces rassemblements scandaleux de fripons, et sur la négligence que l'on met à employer ces moyens si simples.

On espère cependant, que l'établissement des bureaux d'échange produira les meilleurs effets, et que le gouvernement tiendra sévèrement la main à la stricte exécution des mesures qu'il a indiquées.

On a remarqué que l'indignation publique était plus portée sur

la classe des marchands que sur celle des agioteurs.

Au café Conti, on disait tout bas, que les membres du directoire ne couchaient pas au palais du directoire, que beaucoup de députés ne restaient pas la nuit dans leur domicile indiqué, et que la crainte leur dictait cette précaution.

On disait aussi que, sous huit jours, on aurait la nouvelle d'une conclusion de paix avec l'empereur et l'empire; on tenait cette nouvelle d'un secrétaire du directoire.

Les groupes ont été dissipés par les patrouilles, non sans murmures de la part des assistants; quelques-uns cherchaient à caresser et à flatter la troupe, en lui disant: „,Nous sommes soldats et républicains comme vous, laissez-nous parler de notre misère qui est grande." Les patrouilles ont fait leur devoir, et les groupes et les parleurs ont été dissipés.

Hier dans l'après-midi (rapporte un de nos surveillants), on ne pouvait faire dix pas sans rencontrer des militaires ivres; deux dragons dans cet état d'ivresse ont tiré le sabre rue neuve St. Roch, ce qui a occasionné le trouble dans ce quartier, et a fait dire que le gouvernement les égorgeait de numéraire aux dépens du peuple.

La malveillance et l'anarchie agitent toujours leurs grelots; c'est de la folie, mais qui ne doit pas détourner l'attention sévère de la police. Ce matin à six heures on distribuait, particulièrement, aux ouvriers un petit quarré de papier écrit à la main, et dont voici les propres mots:

,,Français, reprenez donc votre caractère! Chassez les tyrans qui vous oppriment, et votre patrie est sauvée. Qu'un gouvernement sage, choisi et nommé par vous, remplace celui que vous n'avez pas accepté."

Ce billet est très-bien écrit, et l'orthographe est correcte; ce qui fait penser, combien est perfide et criminel son auteur. C'est un ouvrier qui remit ce billet à l'inspecteur, qui l'a joint à son rapport, et qui observe que, suivant la déclaration de l'ouvrier, celui qui le distribuait en faisait tomber beaucoup, et qu'alors cela excitait les passants à les ramasser. La surveillance ne restera pas

oisive à cet égard.

Dans quelques conversations particulières, on s'entretenait des conquêtes de Louis XIV; on les comparait à celles de la république, qui obtenaient l'avantage sous tous les rapports.

Ce matin le marché de la place Égalité se regarnissait de pain; les esprits paraissaient tranquilles et, malgré la grande cherté, on paraît se soumettre à la patience.

Spectacles. Tout s'est passé avec ordre et décence dans les spectacles; dans quelques-uns, les hymnes patriotiques sont chantés avec indolence et écoutés de même. On a beaucoup applaudi, au théâtre du Vaudeville, au couplet dont le refrain est:

Chasser les voleurs et les brigands,

C'est le règne de la justice.

Aux applications qui ont été saisies, il n'a pas été difficile de remarquer, combien les Jacobins sont en horreur; s'il y avait un spectacle tout composé de Jacobins, les royalistes n'y seraient pas traités avec plus d'indulgence; c'est au gouvernement à rendre aux uns et aux autres la justice qu'ils méritent.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.
Bréon.<<

7. prair. an 4.1 »>Esprit public. Les finances sont le sujet de toutes les conversations, on applaudit généralement à la mesure prise par le gouvernement pour retirer les assignats. Mais les uns trouvent le délai trop long, et craignent que d'ici au 25 de ce mois il n'y ait une stagnation telle, dans le commerce, qu'on ne puisse se procurer de marchandises, à moins d'employer une masse considérable d'assignats; ce qui ruinerait infailliblement les citoyens

1 La date manque.

qui n'ont pas le temps d'attendre l'échange, et qui ne sont porteurs que d'une petite quantité d'assignats.

Vu le prix où se trouve le numéraire, on craint encore que les mandats n'éprouvent le sort des assignats. Le louis s'est vendu hier 12,200 liv., le mandat ayant perdu 92 pour cent.

Cependant la confiance dans les opérations du gouvernement, dans sa fermeté, s'accroît de jour en jour; et le plaisir qu'on a éprouvé, en voyant les dragons chasser impitoyablement tous les agioteurs, a manifesté le désir de voir détruire cet agiotage qui porte les coups les plus sensibles à la fortune publique, et aux fortunes privées.

liv.

Dans quelques groupes on s'entretient des moyens présentés pour l'échange, on y trouvait des inconvénients; par exemple, plusieurs citoyens se réunissent pour former une somme de 15,000' en assignats, il s'en trouve quelques-uns de faux, il faudra donc que chacun signe ses assignats pour que les sociétaires ne soient pas lésés, et que celui-là seul à qui l'assignat faux appartiendrait en supporte la perte. On leur a démontré qu'ils avaient trouvé le remède à l'inconvénient, que mettre sa signature sur l'assignat n'était pas un long travail, et qu'il était important pour la chose publique que le gouvernement ne payât pas des assignats faux. On aurait désiré que dans l'instruction, faite par le directoire, il eût été fait mention des faux assignats qui se pourraient présenter. Dans les conversations particulières, dans les cafés, on est bien convaincu que, dans ce passage subit de monnaie à une autre, il y aura à souffrir, que les spéculations cupides iront leur train ordinaire, mais du moins l'on voit un terme, et la patience est la vertu du moment, on semble s'y résigner.

Dans quelques groupes, encore, on fait courir le bruit d'un projet de sauver Baboeuf et ses complices. On se demande, quand sera instruit le procès? si on espère le sauver? On ajoute à ces questions d'autres discours; on assure, entre autres, qu'il y a un parti pris dans le conseil des 500, de déclarer qu'il n'y a pas de flagrant délit en ce qui concerne Drouet, que la conduite du directoire à son égard sera désapprouvée, et que le conseil est bien déterminé à ne pas se laisser entamer. On parle aussi d'une brochure intitulée „Aux patriotes de 89 qui n'ont pas peur et qui veulent sauver la patrie". Le but de cet écrit est de sauver Babœuf, et de travailler ensuite aux moyens de consommer le projet que la surveillance du gouvernement vient de déjouer. Voilà les propos recueillis dans quelques groupes, et qui viennent échouer contre le désir général de voir une justice sévère rendue à ces hommes qui ne respirent que carnage, destruction et anarchie.

Les plaintes sont également générales sur le vagabondage et l'ivresse des soldats que l'on rencontre dans les rues après la retraite; les femmes craignent surtout la brutalité de ces soldats, et les citoyens paisibles témoignent leur étonnement de ce que la discipline militaire est si peu observée.

Spectacles. Au théâtre de la République la tragédie de Brutus a été représentée, et les passages qui rappellent aux sentiments d'amour pour la patrie, et d'horreur pour la tyrannie, ont été saisis et couverts d'applaudissements.

Surveillance. La consternation paraît générale, et de toute part on entend murmurer et se plaindre de la cherté excessive de toutes les denrées de première nécessité, et de la chute presque totale des assignats. Les marchands font courir le bruit que, sous peu, la capitale va manquer de tout, et que le discrédit du papier-monnaie sera cause que les habitants de la campagne ne voudront plus rien apporter dans les marchés.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.
Bréon.<<

»8 prair. an 4. Esprit public. Les rassemblements sur les ponts et les places publiques étaient peu nombreux et rares, les entretiens avaient pour objet les finances et l'échange des assignats, la dureté des marchands, la difficulté de pouvoir se procurer les objets nécessaires à la vie, à moins de prodiguer les assignats, et encore ajoutait-on:,,Tous les marchands n'en veulent pas, ils semblent être d'accord avec l'agioteur, ils sont agioteurs eux-mêmes, l'argent seul et les mandats au cours les adoucissent, et nous n'avons ni mandats ni argent." L'indignation se manifestait à l'égard des habitants des campagnes, qui se sont débarrassés à vil prix des assignats qu'ils avaient encombrés, et maintenant ne connaissent que l'or et l'argent frappés au coin monarchique.

Cependant, au milieu de ces plaintes et de ces murmures, il ne transpire aucune intention criminelle; respect aux propriétés, respect aux personnes, ces mots se font entendre; de bons citoyens parlent, et du gouvernement et de la situation actuelle, d'une manière consolante, et les accents de la raison suspendent ceux de la crainte et adoucissent les douleurs de la misère.

On parle peu de la conspiration de Baboeuf, et, si l'on s'entretient des ennemis du bonheur public, ce n'est que pour témoigner le désir de les voir promptement mis en jugement et punis.

Mais voici des faits, dont la connaissance importe beaucoup au gouvernement. Le cit. Jourdan agent du cit. Turreau, 1 et Lefèvre général, 2 que l'on croit être destitué, ont dit à deux surveillants attachés à la police, que le dix on profiterait de la fête pour faire un coup, que les royalistes devaient commencer l'attaque, et, comme ils sont lâches, les anarchistes commenceront sous prétexte de défendre le directoire. Le rendez-vous est à dix heures du matin rue de Tournon, vis-à-vis le Luxembourg. Ce projet fait l'entretien secret des patriotes exclusifs; il y a, dit-on, un mot d'ordre pour point de ralliement.

Il paraît qu'il existe un rassemblement dans les environs de la rue de la ville l'Evêque; on nous rapporte qu'il est difficile de découvrir la maison, parce que les rassemblés ont des sentinelles partout, et surtout la nuit, et qu'il faudrait de la force pour ne pas rendre la surveillance nulle et illusoire.

Il en existe un autre rue Comartin [Caumartin], on ignore l'espèce d'individus qui le compose; la surveillance s'y attache.

Un colporteur nommé Robin, 4 qui demeure rue du Doyenné, et que l'on sait découcher de chez lui depuis quelques jours, disait dans un groupe à la porte Martin, que les patriotes triompheraient, qu'ils étaient soutenus par un membre du directoire. Ce Robin est un colporteur adroit d'écrits incendiaires et un lecteur, dans les rassemblements, du journal de Babœuf.

Ces faits recueillis, qui appartiennent à l'opinion publique, méritent l'attention la plus sévère du gouvernement. Il sera difficile de croire que des hommes qui conspirent, dévoilent indiscrètement le plan et l'intrigue de leurs complots; mais il y a tant d'exemples mémorables des plus affreux complots découverts par les moyens les plus simples, et l'aveuglement de l'homme voué aux crimes est si épais, qu'il n'est plus rare (et heureusement) de les voir se dénoncer eux-mêmes aux surveillants qui les recherchent.

D'ailleurs les bruits qui se répandent sourdement, l'audace des hommes de 1793, les craintes des citoyens paisibles, le style de quelques journalistes, les hommes accusés des massacres de septembre et relancés dans la société, les doutes que l'on a voulu élever sur la conspiration dont les acteurs sont aux fers, le mépris versé par ces hommes de sang sur la constitution qui nous gouverne, les regrets sur celle de 1793, les efforts du crime et de l'anarchie pour la rétablir, sont suffisants pour ne rien dédaigner,

1 C'est ce général qui, plus tard, adopta un des enfants de Babœuf. 2 Impliqué dans le procès relatif aux noyades, et acquitté.

3 Fête de la Reconnaissance.

4 V. ci-dessus le rapp. du 19 germinal.

« PreviousContinue »