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seur et de l'accusé ; mais enfin il ne résulte pas non plus précisément de l'article 302 que la communication sera libre; et, comme le disait Bonaparte à la cour de cassation elle-même, nos lois sont élastiques, elles se prêtent à tout. Tant qu'on n'a pas cru avoir besoin de faire usage des moyens employés dans le procès dont nous parlons, l'art. 613 est resté inaperçu, c'était un moyen secret tenu en réserve au profit de la politique: elle a bien su le trouver.

Mais aujourd'hui qu'on connaît l'étendue funeste de cet article 613, et puisque la cour de cassation n'a pas cru pouvoir s'empêcher de prononcer comme elle a fait dans cette circonstance, parce qu'en effet l'art. 320 n'ordonne pas que les communications seront entièrement libres et dégagées de toutes entraves, le ministère devait profiter de l'occasion qui lui était offerte pour assurer la liberté de ces communications; non pas que nous pensions que le gouvernement puisse par une simple ordonnance déroger à une loi, mais parce que, en ce point, la disposition de la loi n'est pas formelle et précise, et qu'il s'agit plutôt d'en régulariser l'exécution que d'en changer réellement les dispositions.

Que de motifs pour introduire dans le règlement nouveau une disposition protectrice de la liberté des communications! Nous ne parlons pas de l'intérêt de l'avocat qu'une si étroite surveillance offense dans son honneur, et qui peut même se trouver compromis par un pareil espionnage ; des considérations personnelles ne paralyseront jamais le zèle d'un avocat vraiment digne de ce titre. Mais l'accusé! combien n'a-t-il pas besoin de la plénitude de ces communications sans lesquelles il n'est pas pour lui de défense possible!

« Le défenseur est un véritable confesseur ; il a le même secret à garder : l'accusé doit lui faire toutes les communications nécessaires pour le bien défendre ; un tiers peut être un témoin dangereux; il ne faut pas rendre illusoire, pour l'accusé, le bienfait de la loi et encore moins en faire une arme contre lui (1). » Sile geôlier et les gendarmes étaient présens, quel accusé oserait s'ouvrir à son défenseur? Ne

(1) Carnot, Comme taires sur le Code Pinstruction criminelle.

sait-on pas que dans bear coup de circonstances, et à défaut d'autres preuves, on a fait entendre en justice les concierges des prisons et les agens de la force publique, pour déposer sur des aveux échappés à de malheureux prisonniers? aucune loi ne réprouve encore ce témoignage qui fait des prisons le séjour d'nn espionnage odieux.

La communication que la loi autorise ne doit pas être un piége: il faut que, sans danger pour eux-mêmes, les accusés puissent ouvrir à leurs défenseurs le secret de leurs pensées, de leurs faiblesses, de leurs erreurs, de leurs crimes même, enfin de leur existence tout entière, afin que les avocats puissent remplir leur ministère qui est d'assigner aux faits de l'accusation, quand ils sont avérés, leur véritable caractère de mérite ou de démérite légal.

Il faut que les accusés puissent, sans danger pour autrui, faire à leurs conseils les confidences propres à les diriger dans la conduite des débats, de manière à combiner les moyens de défense qui peuvent servir à l'un des co-accusés sans compromettre la sûreté des autres. Ces communications, impossibles si un tiers aposté peut en partager le mystère, sont quelquefois indispensables au salut de l'accusé. Nous en citerons un exemple: dans une affaire d'infanticide, les charges qui pesaient sur la mère étaient si graves, qu'elle eût été inévitablement condamnée. Son défenseur soupçonna qu'elle lui cachait le véritable coupable: c'était son père qu'elle ne voulait pas dénoncer à la justice. L'avocat, dans le secret de ses entretiens avec elle, lui arracha cet aveu, à condition toutefois de n'en pas faire usage devant les jurés. L'habile défenseur tint sa promesse : il sut diriger les débats de manière à obtenir la justification de sa cliente sans trahir son secret; elle fut acquittée. S'il n'eût fait que l'assister aux débats, victime de son dévouement filial, elle était condamnée (2).

Tous ceux qui ont rempli le ministère de la défense savent que c'est dans la libre communication avec l'accusé qu'en réside la partie la plus essentielle. Les plus intimes confidences

(2) Voyez Requête en cass. du général B....., Denn 22 page 415.

peuvent seules établir entre le défenseur et le client cette communauté de sentimens, cette sympathie si nécessaire. Séparez-les, paralysez leurs relations, la confiance de l'un s'éteint faute d'aliment le zèle de l'autre se glace faute de savoir si l'accusé mérite intérêt. C'était là un des principaux vices de la procédure de l'inquisition les défenseurs, sans communication libre avec les accusés, épousaient presque toujours les préventions de l'accusation, dans l'impuissance où ils étaient réduits de s'assurer par eux-même du caractère et du personnel de leurs cliens (1).

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Comme il est toujours possible de concilier les précautions nécessaires pour la garde du prisonnier, avec le secret des communications, aucune considération ne peut autoriser la violation de ce secret, essentiellement inhérent au droit de la défense. L'assistance d'un défenseur n'est pas un privilége concédé par la loi et qu'elle puisse restreindre à son gré, c'est un droit naturel inviolable, et, sans liberté absolue de communication, le ministère du défenseur est quasi inutile (2).

Il faut que ces principes soient ancrés bien profondément au cœur de tous les hommes, puisque dans deux procès où l'on s'inquiéta peu d'équité et de justice, on n'osa pourtant les enfreindre.

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(1) Llorente, Histoire de l'inquisition, tome 1, page 311. (2) Sur l'art. 8 du titre 14 de l'ordonnance criminelle de 1670, le président de Lamoignon disait ; w le conque seil qu'on a accoutumé de donner aux accusés n'est pas un privilege accordé par les ordonnances, ni par les lois; que c'était une liberté acquise par le droit naturel qui est plus ancien que toutes les lois humaines; que la nature enseignait à l'homme d'avoir recours aux lumières des autres quand il n'en avait pas assez pour se conduire et d'emprunter des secours quand il ne se sentait pas assez fort pour se défendre. »

(3) Moniteur du 26 décembre 1792.

de chambre se retirera et les seuls officiers municipaux resteront, l'assemblée s'en rapportant à leur discrétion sur l'attention de ne pas gêner la confiance du prisonnier dans les confidences qu'il pourrait avoir à faire, et à leur prudence pour ne pas compromettre la sûreté des prisonniers. » Cet arrêté fut dénoncé à la Convention, qui << en accueillit la lecture par >> les plus violens murmures. De toutes parts » on demande qu'il soit cassé. Bazire appelle » ces mesures vexatoires et tortionnaires ; il » demande qu'on les casse et qu'on improuve » le conseil général. L'assemblée passe à l'or» dre du jour, motivé sur son décret précé» dent qui porte que les conseils de Louis communiqueront librement avec lui (3). »

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De même, lors du procès de la reine, les communications de l'auguste accusée avec ses conseils furent entièrement libres; ce ne fut qu'après le jugement qu'on mit momentanément en arrestation les deux citoyens courageux qui avaient accompli un noble et sacré ministère, pour obtenir d'eux les révélations, importantes pour l'état, que la reine aurait pu faire à ses défenseurs (4). Cette mesure était attentatoire sans doute à la liberté de l'avocat, mais elle n'attentait pas à la liberté de la défense. A ce moment, la connaissance des secrets de la prisonnière ne pouvait plus influer sur son sort, et il n'est aucun avocat qui ne fît volontiers le sacrifice de sa propre liberté pour assurer à son client l'avantage d'une libre et entière défense.

Comment, depuis la restauration, un procureur général du roi a-t-il pu prescrire des mesures devant lesquelles la Convention avait reculé? Et comment, puisqu'il s'agit d'une simple attribution de police et d'ordre intérieur dans les prisons, le garde des sceaux n'a-t-il

(4) « Pendant l'instruction du procès de la veuve Capet, les comités de surveillance et de sûreté générale de la Couvention déterminèrent que les défenseurs officieux de cette femme seraient, à l'expiration de leur ministère, arrêtés, conduits au Luxembourg et interrogés séparément. Cette mesure avait pour objet de savoir si MarieAntoinette ne leur avait pas confié des papiers ou révélé des faits qu'il importât de connaître. Cet arrêté s'exécute : des commissaires interrogent les défenseurs : au surplus, on les traite avec des égards infinis. « (Gazelle des Tribunaux, tone VII, page 476.)

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Or, il y avait dans le décret un titre particulier Des droits et des devoirs des avocats. C'est là que se trouvait la disposition qui interdisait à l'Ordre de se réunir sans l'agrément du procureur-général, sous les peines portées contre les réunions et associations illicites. C'est dans ce titre qu'on lit que si tous ou quelquesuns des avocats d'un siége se coalisent pour dé. clarer, sous quelque prétexte que ce soit, qu'ils n'exerceront plus leur ministère, ils seront rayés du tableau et ne pourront plus y être rétablis. C'est enfin dans ce titre qu'on voit reproduit cet art. 111 de l'ordonnance de Blois, contre lequel les avocats avaient réclamé de tous temps: les avocats feront mention de leurs honoraires au bas de leurs consultations, mémoires et autres écritures : ils donneront un reçu de leurs honoraires pour leurs plaidoiries.

D'après l'esprit qui avait présidé à l'ordonnance il était à craindre sans doute qu'en se donnant ainsi le mérite apparent d'abroger le décret, on n'en maintint effectivement les odieuses dispositions comme usages observés dans le barreau relativement aux droits et aux devoirs

(1) L'histoire atteste que l'Ordre des avocats a souvent usé de ce droit pour faire cause commune avec la magis. strature dans la défense des libertés publiques, désertan:

des avocats, Le ministre avait fait sans doute cette réserve in petto, et certains membres des parquets ont bien su tirer parti depuis de ce rapprochement.

Mais un arrêt récent, rendu par la cour de Poitiers dans l'affaire du barreau de Melle, a dissipé les justes inquiétudes que l'équivoque rédaction de l'ordonnance pouvait laisser au

barreau.

Il s'agissait de l'application de l'art. 34 du décret qui punit d'une interdiction absolue et sans retour les avocats qui, sous quelque prétexte que ce soit, se coaliseraient pour déclarer qu'ils n'entendent plus exercer leur ministère près d'un tribunal. Les avocats de Melle, exposés de la part du président aux avanies les plus imméritées, n'avaient trouvé d'autre moyen de s'en préserver que de cesser de paraître aux audiences, et ils avaient été condamnés, en vertu du décret, par le tribunal faisant les fonctions de conseil de discipline. Sur leur appel, la cour de Poitiers décida que, d'après les circonstances de la cause, leur conduite était irréprochable et les déchargea de toutes poursuites.

La plupart des barreaux de France avaient délibéré dans cette affaire des consultations où chacun avait rapporté les exemples domestiques de semblables cessations d'exercice, toutes les fois que la dignité de la profession y semblait intéressée (1). C'est, en effet, dans ces

le palais lorsque le pouvoir absolu en avait chasse les véritables magistrats et n'y rentrant qu'à leur suite. Plus d'une fois les parlemens ont manifesté leur reconnaissance

traditions, et non dans les dispositions du décret impérial de 1810 qu'il faut chercher les usages du barreau.

Voici un arrêt du parlement de Normandie, jusqu'alors inédit, que les avocats de Rouen ont cité dans leur consultation donnée dans la même affaire :

<< Extrait du registre plumitif de la chambre des requêtes du palais du parlement de Rouen ce qui en suit :

may 1730.

» Du mercredi 17. jour de >> Sont entrés à la chambre Me. Lechevallier, syndic des avocats, accompagné d'un grand nombre de ses confrères, pour ce prié par le greffier de la part de la cour.

» Peu de temps après est entré à la chambre, M. de Pontcarré le fils, premier président en survivance, et invité par messieurs de prendre séance dans le banc de messieurs les présidens, ce qu'il a fait.

» M. de Châlons, sous-doyen de la chambre, a dit, parlant aux syndics et avocats:

» La cour me fait vous dire qu'elle vous a mandés pour savoir de vous-mêmes pourquoi vous avez cessé de suivre ses audiences depuis un certain temps, comme vous et vos prédécesseurs les ont toujours suivies de temps immémorial, ne sachant pas vous en avoir donné sujet. Vous pouvez même vous en expliquer avec confiance, la cour n'estant remplie que de bonnes intentions pour votre collége particulièrement pour ceux à qui j'en porte la parole,

pour ces généreuses résolutions, et, chose remarquable, jamais les magistrats intrus n'essayèrent de les punir. (Exemples lors de l'exil des parlemens, en 1753, 1771 et 1788.) Les gens du roi ont aussi reçu de cette manière les preuves de l'attachement du barreau, etc. Talon ayant été exilé par Mazarin pour avoir résisté à l'enregistrement de quelqu'édit bursal, tous les avocats se retirèrent du palais, et, par la suspension des affaires, forcèrent le ministre à révoquer son ordre. En dehors de ces coa litions politiques qui montrent quelle force tire la magistrature de son alliance avec le barreau, et lorsqu'il ne s'agissait que du maintien de leurs prérogatives, la re. traite des avocats du palais à souvent été pour eux un moyen, reconnu légitime, d'obtenir le redressement de leurs griefs. (Exemples en 1602 relativement à l'ordonnance de Blois, sur le règlement des honoraires; en 1730 pour la suppression d'une consultation sur les libertés de l'Église gallicane.) Dans leur consultation pour le bar

et elle se fera un vrai plaisir de vous en donner des marques en toute occasion. »

» A

le quoy syndic des avocats a répondu : « Nous avons l'honneur de représenter à la cour que, croyant n'avoir pas donné occasion à ce qui s'est passé lors du prononcé du 27 juillet 1728, cela nous aurait portés à cesser nos assiduités à ses audiences. Mais, puisque la cour nous fait l'honneur de nous parler dans les termes obligeans dont elle veut bien se servir, jours de suivre ses audiences avec plaisir, et nous osons l'assurer que nous continuerons tounous supplions la cour de vouloir bien ordonner que ladite sentence sera regardée comme non avenue, et que son ordonnance sera mise à la marge du plumitif à costé de ladite sen

tence. »

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reau de Melle, les avocats de Bordeaux citaient plusieurs précédens semblables de leur barreau. En 1754, le parlement de Bordeaux ayant fait un tarif pour les honoraires, les avocats quittèrent le palais et n'y revinrent que sur l'assurance que le règlement serait mis en oubli. En 1785, le président Dupaty ayant outragé un avocat, tous s'abstinrent désormais de reparaître à sa chambre, et il s'en plaignit sans succès à sa compagnie et au chancelier. En 1788, deux avocats ayant été exilés pour avoir fait certaines démarches relativement au parlement qui était luimême en exil, tous leurs confrères cessèrent de se présenter au barreau Le barreau de Bordeaux, pendant les cent jours de 1815, donna le même exemple, comme M. de Martignac lui en fit bonneur à la tribune de la chambre, le 12 février 1822; mais dans leur consultation de 1836, les avocats encore à Bordeaux n'ont pas jugé à propos de rappeler ce fait,

CHAPITRE XI.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

Il ne faut plus espérer que la dignité et l'honneur qui a esté jadis en l'ordre des advocats y demeure, au moins tant que ce beau réglement durera.

(LOYSEL, Dialogue des Advocats.)

MAINTENANT, examinons d'un seul coup d'œil et sous un point de vue général ce que nous avons analysé en détail. Voyons les prérogatives que les anciens temps avaient accordées aux avocats, prérogatives que nos temps leur ont ôtées: comparons rapidement l'ordonnance avec les anciennes traditions et avec le décret de 1810; en un mot, dans cette ruine de l'ordre des avocats, dressons le bilan de ses franchises.

Sler.- Sous l'ancien droit, l'Ordre des avocats existait comme corps: il s'assemblait sur la convocation libre du bâtonnier pour délibérer sur tous les intérêts communs.

Sous le décret, l'Ordre des avocats ne s'assemblait que de l'agrément du procureur général, pour l'élection de candidats au bâtonnat et au conseil de discipline; mais du moins le jour des élections il existait comme ordre.

Sous l'ordonnance, l'Orde n'existe plus, il n'y a plus aucune délibération, aucune résolution en commun, tout est concentré aux mains des chefs de colonne.

$2. Sous l'ancien droit, l'élection du bâtonnier se faisait en présence de l'Ordre assemblé : tous les anciens avaient droit d'y concourir. Les chefs de colonne étaient des députés élus par l'Ordre en assemblée générale.

Sous le décret, l'Ordre n'élisait pas directement; il n'avait que le droit de désigner des candidats parmi lesquels le procureur-général choisissait le bâtonnier et les membres du conseil ; mais l'unanimité dans les désignations pouvait amener nécessairement des choix conformes au vœu général..

Sous l'ordonnance, l'Ordre n'a plus même droit de résignation: les chefs de colonne ne sont plus les députés de tout l'Ordre. Ils seront choisis par les créatures des procureurs généraux ; et, grâce aux combinaisons de la répartition en colonnes, cette influence première pourra se reproduire perpétuellement dans le choix du bâtonnier et la composition des conseils de discipline.

$3. Sous l'ancien droit, l'Ordre avait sur ses membres plénitude de discipline. L'avocat inculpé pouvait toujours réclamer l'assemblée générale, et si, condamné par ses pairs, il en appelait au parlement, c'était en audience publique que son appel était jugé.

Sous le décret, le conseil de discipline décidait en premier ressort. L'avocat inculpé pouvait se pourvoir par appel à la cour royale ; le procureur général n'avait pas le même droit.

Sous l'ordonnance, les décisions du conseil de discipline sont sujettes à l'appel du procureur général, dans tous les cas, et, lorsque le procureur général n'appelle pas, la cour peut d'office, sur l'appel de l'avocat, aggraver la peine prononcée par le conseil. Les cours royales jugent ces appels à huis-clos.

$4.-Sous l'ancien droit, l'avocat suspendu ou interdit par une juridiction inférieure pouvait toujours en appeler au parlement.

Sous le décret, un avocat auquel un tribunal de première instance avait infligé les peines de discipline, pouvait également en appeler à la

cour.

Sous l'ordonnance, un tribunal de première instance peut, en dernier ressort et sans appel,

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