Page images
PDF
EPUB

DE L'ORDONNANCE DU 20 NOVEMBRE 1822,

CONCERNANT

L'ORDRE DES AVOCATS;

PAR M. A. DAVIEL,

AVOCAT A LA COUR ROYALE DE ROUEN.

Si de la part des advocats nous sont ci-après fait quelques remontrances concernant le faict de leurs charges, icelles lues et bien considérées en notre conseil, il y sera pourvu par nous amsi qu'il appartiendra par raison.

( Déclaration de Henri IV, du 25 mai 1602. )

A M. DUPIN.

MONSIEUR ET TRÈS-HONORÉ CONFRÈRE,

LORSQUE, en 1602, on voulut soumettre les avocats à un règlement humiliant pour leur délicatesse, on vit paraître, pour la défense de l'Ordre, un écrit intitulé: Très-humbles remontrances dressées par un jeune advocat qui a recueilly les raisons des anciens. Ce jeune avocat était Laurent Bouchel, dont les ouvrages de jurisprudence nous sont restés sous le titre de Thrésor du droit français (1). A son exemple, je réclame aujourd'hui contre le règlement nouveau imposé à notre Ordre. Si l'on trouve étrange que j'aye osé entreprendre de défendre la cause de tous les avocats, je répondrai avec lui, qu'ayant soigneusement recueilli les antiques traditions du barreau, sans hasarder de mon chef aucun principe innovateur, je n'ai fait que servir de secrétaire à

(1) C'est dans cet ouvrage qu'au mot Avocal se trouvent

mes anciens. Comme lui sans doute, grâce à ce respect religieux pour ce qui fut jadis, j'échapperai à tout reproche de témérité.

En m'autorisant de cet exemple, j'imite aussi le vôtre, monsieur; plus d'une fois, cherchant dans le passé les moyens de réduire au silence ceux qui ne veulent reconnaître la vérité que là où ils voient la sanction du temps, vous leur avez prouvé, par les emprunts les plus heureusement faits à l'histoire ou aux auteurs des vieux temps, que la liberté et la raison sont les plus anciennes légitimités; et que, quand il s'agit de leur cause, on ne demande jamais en vain à l'antiquité des autorités pour la défendre. Aux yeux de ces hommes, si justement appelés les contemporains du passé, le soin que j'ai pris de m'appuyer

les remontrances contre l'art. 161 de l'ordonnance de Blois,

sans cesse sur les témoignages des temps anciens, doit entièrement légitimer cet écrit ; et, puisqu'ils proposent perpétuellement la jeunesse d'autrefois comme modèle à la jeunesse d'aujourd'hui, ils ne pourront me blâmer d'avoir entrepris en 1822, lorsque déjà j'ai fait quelques pas dans la carrière du barreau, ce que Bouchel fit en 1602, lorsqu'il n'avoit encores commencé à plaider.

Votre nom, sous les auspices duquel vous m'avez permis de faire paraitre cet écrit, est

encore un appui bien puissant pour moi. En réclamant pour l'indépendance et la dignité de notre Ordre, je ne pouvais espérer de recommandation plus respectable que celle d'un homme qui, dans toute sa carrière, a donné l'exemple de la plus généreuse indépendance, et qui représente si bien en sa personne la dignité du véritable avocat. Je suis avec la plus haute considération, etc.

A. DAVIEL.

« Vous debvez vous efforcer de conserver à »> notre Ordre le rang et l'honneur que nos >> ancestres luy ont acquis par leurs mérites et » par leurs travaux, pour le rendre à vos suc» cesseurs. » La première lecture de l'ordonnance du 20 novembre 1822 me rappela vivement ce conseil de Loysel, dans son Dialogue des advocats, et pour qu'une protestation bien légitime suivit de près la publication d'un règlement si contraire à l'indépendance de l'Ordre des avocats, réunissant tous les documens qui attestent les anciennes franchises du barreau afin de les opposer aux dispositions d'une ordonnance qui, sous ombre de rétablir les vieux usages, ajoute de nouvelles entraves au règlement impérial de 1810, j'eus bientôt terminé mon examen. Dès le 1er décembre il était aux mains de Me. Dupin, dont je désirais que le nom prêtât à cet écrit une autorité qu'il ne pouvait recevoir du mien.

Mon dessein surtout devait plaire à un avocat si instruit de l'histoire de notre Ordre et pénétré des droits de la libre défense. Sa bienveillante approbation acheva de me décider; et l'on vit un simple stagiaire, armé il est vrai de preuves irrécusables, s'inscrire en faux, au nom de tous ses confrères, contre sa Grandeur Monseigneur le Garde des Sceaux de France, comte de Peyronnet, qui, dans le rapport au roi qui précède l'ordonnance, exaltant son œuvre dans les termes les plus magnifiques,

(1) Les conclusions de la réclamation du barreau de Paris, signée par cent vingt-trois avocats, au premier rang desquels figurent MM. Delacroix Frainville et Tri

avait si étrangement annoncé que le barreau lui devrait la restitution de ses antiques libertés.

Ma présomption a été bien justifiée lorsque, après la chute du ministère dont ce règlement n'était pas l'acte le moins déplorable, presque tous les barreaux de France ont adressé à la chancellerie des réclamations où sont consignés les griefs que j'avais, non pas aperçus le premier, mais le premier signalés (1).

Les auteurs qui ont écrit dans ces derniers temps sur l'ordre des avocats (notamment M. Isambert, dans son Recueil de lois (1822, p 340); M. Carré, Traité des compétences, tome I; M. Dalloz, Jurisprudence générale au mot défense), ont aussi reproduit honorablement mes observations.

Toutefois, subissant, plus justement que beaucoup d'autres, le sort des opuscules de ce genre, mon écrit courait grand risque de n'être bientôt plus connu que par ces mentions honorables, quand M. Dupin a bien voulu assurer son avenir en l'admettant dans sa collection des Lettres sur la profession d'avocat. Pour le rendre digne de figurer en si bonne compagnie, je l'ai revu de nouveau, et, dans ce second examen de l'ordonnance, je n'ai eu à retrancher aucune de mes premières critiques : l'expérience m'en a, au contraire, suggéré de nouvelles, car plus on compare ses dispositions avec les droits essentiels du barreau, plus on les reconnait défectueuses et oppressives.

pier, ont été insérées dans la Gazette des Tribunaux. du 4 décembre 1828.

Si l'Ordre des avocats était destiné à rester encore long-temps sous ce régime tel quel, que, du moins, ce soit sous toutes réserves et protestations contraires de fait et de droit, ou,

pour employer les expressions plus nobles d'un célèbre poëte italien,

Siam servi, si, ma servi ognor frementi.

CHAPITRE PREMIER.

DE L'ORDRE DES AVOCATS SUIVANT LE DÉCRET DE 1810.

PARMI cette foule d'institutions domestiques et de magistratures indépendantes, faisceaux puissans des droits privés, vrais républiques dans la monarchie, qui, sous l'ancien régime, sans partager la souveraineté, lui opposaient partout des limites que l'honneur savait si bien défendre, s'élevait au premier rang l'Ordre des avocats, lorsqu'il succomba avec tous les autres corps sous le niveau de la révolution.

La dictature impériale, qui put dissoudre jusqu'à l'association de la commune, acheva de réduire la société en un peuple d'administrés sous la main de fonctionnaires dans la dépendance absolue du gouvernement. Il n'y eut plus en France que le pouvoir, ramenant tout à lui par une monstrueuse centralisation, et les individus, dénués de toutes ces garanties, de tous ces centres de résistance que l'ancien régime avait si souvent opposés avec avantage au despotisme ministériel.

Lorsqu'en l'an XII on parut comprendre enfin que, pour rendre au barreau une considération aussi nécessaire à la dignité de la magistrature qu'à la bonne administration de la justice, il fallait écarter des tribunaux cette tourbe de défenseurs officieux qui déshonorait le sanctuaire, un problème difficile s'agita dans le conseil d'état soumettre les avocats à des conditions de garantie en les constituant en Ordre exerçant sur tous ses membres une salutaire discipline; mais, en même temps et à tout prix, éviter de leur rendre cette forte organisation intérieure qui, les liant entre eux par une honorable solidarité, assurerait leur

indépendance et peut-être ouvrirait à la liberté publique un dernier asile.

[ocr errors]

La loi du 22 ventôse ordonna qu'un tableau serait formé remettant à des règlemens d'administration publique à pourvoir à la formation de ce tableau et à la discipline du barreau : c'était le temps où, par un étrange contraste avec les assemblées législatives de la révolution qui avaient tout attiré à elles, le législateur se dépouillait chaque jour de quelque attribution essentielle pour en investir le pouvoir réglémentaire.

Le décret contenant règlement sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline du barreau ne fut publié que le 14 décembre 1810. Il porte la vive empreinte des défiances que l'ordre des avocats devait inspirer à un pouvoir accoutumé à mettre la volonté d'un seul à la place de tous les droits et de toutes les garanties.

Une commission formée des présidens et des procureurs généraux près des cours, et, dans les villes où il n'y avait pas de cours impériales, par les présidens et les procureurs impériaux près les tribunaux de première instance, assistés de six anciens avocats, procéda à la première formation des tableaux qui, de plus, durent être soumis à l'approbation du grand-juge ministre de la justice.

Toutefois, pour déguiser le pouvoir arbitraire donné à cette commission censoriale, le décret portait impérativement que seraient compris dans les tableaux tous ceux qui, aux termes de la loi du 22 ventôse an XII, avaient

droit d'exercer la profession d'a: ocat, pourvu néanmoins qu'il y eût des renseignemens satisfaisans sur leur capacité, probité, délicatesse, bonne vie et mœurs. A cette époque, en apparence du moins, les opinions politiques n'étaient pas, comme on l'a vu depuis, une cause de réprobation.

Les avocats inscrits au tableau composaient l'Ordre des avocats. Ce titre avait été rétabli, et, chaque année, l'Ordre s'assemblait pour l'élection du bâtonnier et des membres du conseil de discipline, ou plutôt pour la formation d'une liste double de candidats sur laquelle le bâtonnier et les membres du conseil étaient choisis par le procureur général; car on n'avait reconnu l'existence de l'Ordre qu'à condition de rester sous la tutelle des procureurs généraux.

Défense expresse aux avocats de s'assembler pour aucun autre objet que cette élection, sous les peines portées par le Code pénal contre les assemblées illicites; et, pour dernière garantie que l'empereur s'était réservée contre les conseils de discipline, contre ses procureurs généraux et contre ses cours, le ministre de la justice était institué grand - prévôt de l'Ordre des avocats, et le décret lui attribuait le droit exorbitant d'infliger, de son autorité, et suivant les cas, toutes les peines de discipline: censures, suspension, radiation.

Telles furent les précautions ombrageuses sous lesquelles s'opéra, en 1810, ce qu'on voulut bien appeler la restauration de l'Ordre des avocats.

Les avocats, dont ces mesures inusitées blessaient la fierté et offensaient tous les souvenirs, se plaignirent, dès le jour même, de la publication de ce décret, et n'ont cessé depuis cette époque de renouveler leurs réclamations (1).

Ils durent surtout espérer de faire reconnaître la légitimité de leurs plaintes, et de voir corriger un règlement défectueux, toutes les fois qu'ils entendirent le gouvernement du roi proclamer qu'il n'avait accepté que sous bénéfice d'inventaire l'héritage de l'empire, et que, répudiant les traditions despotiques, il voulait

(1) Rapport au roi sur l'ordonnance de 1822.

venir en aide à tous les droits, à tous les intérêts légitimes.

Sous le gouvernement impérial, l'occasion avait manqué de se prévaloir des dispositions asservissantes du décret, et de faire sentir aux avocats leur dure chaîne. Les commissions d'épuration qui procédèrent à la révision des tableaux n'exclurent réellement que ceux dont la délicatesse ou la capacité avaient donné de justes sujets de plaintes. Les avocats dont les sentimens politiques pouvaient être justement suspects au chef de l'empire n'en furent pas moins admis. Les magistrats, avant d'accorder audience à un avocat étranger à leur ressort, ne demandèrent jamais s'il avait une permission ministérielle; et surtout jamais le grandjuge n'usa de sa suprême juridiction discipli

naire.

Mais les procès politiques qui suivirent les réactions de 1815 mani estèrent en entier l'instrument de tyrannie. On vit des accusés implorer en vain le secours des défenseurs de leur choix, dont le ministre enchaînait le zèle; on vit des conseils de discipline, véritables commissions spéciales composées par les procureurs généraux, refuser d'admettre sur le tableau les plus honorables citoyens, à qui on ne pouvait faire d'autre reproche que de n'être pas de la même opinion politique que les membres de ces conseils. Pour la même cause de dissentimens politiques, on vit, lors des élections annuelles, certains procureurs généraux, repoussant constamment les vœux de l'Ordre, écarter avec une affectation manifeste les avocats qui, sur les listes de candidature, étaient recommandés par les plus nombreux suffrages. Enfin, on vit le garde des sceaux user de son droit prévôtal pour interdire des avocats qui, l'exercice de ce pouvoir extraordinaire autorise à le penser, n'auraient pas sans doute été condamnés par leurs juges naturels.

Quoiqu'un ministre, retenu long-temps. comme il le dit lui-même dans le rapport au roi qui précède l'ordonnance de 1822, dans la position la plus favorable pour bien juger de la légitimité des reproches adressés au décret, c'est-à-dire en style moins élevé, long-temps avocat au barreau de Bordeaux, ait prétendu que l'un des premiers sentimens qu'il éprouva lorsque Louis XVIII lui eut remis le porte

feuille de la justice, avait été de corriger un règlement défectueux, il est à croire que l'ordonnance réparatrice se fût fait encore longtemps attendre sans l'incident qui marqua, au mois d'août 1822, les élections du conseil de discipline au barreau de Paris.

L'Ordre des avocats s'était réuni, dans la forme accoutumée pour procéder à l'élection des trente candidats parmi lesquels M. le procureur général Bellart devait choisir le bâtonnier et les quinze membres du conseil de discipline, et le lendemain le bâtonnier, sortant d'exercice, remit au parquet une liste composée des noms les plus honorables du barreau : MM. Delavigne, Billecocq, Delacroix-Frainville, Gicquel, Tripier, Berryer père, Parquin, Lami, Dupin aîné, Persil, GauthierMesnars, Gobert, Conflans, Coffinières, Mauguin, Mérilhou, Berville, Gauthier-Biauzat, Grappe, etc., etc.

Suivant l'article 22 du décret, le procureur général devait faire les choix sur cette liste avant le 1er septembre, terme des fonctions du conseil de dissipline sortant; mais, au lieu de cela, on vit paraitre l'arrêté suivant, acte extraordinaire qui ne trouvait de justification ni dans le décret, ni dans les précédens:

- con

Le conseiller d'état, procureur général de Sa Majesté près la cour de Paris; vu la liste à lui adressée le 19 du présent, par M. le bâtonnier de l'Ordre des avocats, contenant les trente candidats pour le conseil de discipline qui devra exercer l'année prochaine ; sidérant que divers avis lui ont été donnés, desquels il résulterait, s'ils sont fondés, que des manœuvres et des intrigues ont été employees pour altérer la pureté des élections et ravir des suffrages à des membres éminemment estimables de l'Ordre; considérant l'état maque tériel du résultat du scrutin accrédite, jusqu'à certain point, ces soupçons, puisque, si l'on y trouve le nom de quelques anciens justement considérés, dont plusieurs au reste ne sont arrivés qu'à grande peine au dernier rang des suffrages, on y remarque avec surprise qu'on en a exclu, entre autres membres distingués de l'Ordre, d'anciens bâtonniers que toutes les

convenances, leur âge (l'un est presque octogénaire ), leur réputation sans tache, leurs excellentes opinions, et l'honneur qu'ils ont constamment fait à leur profession par leur conduite, leurs talens et les vertus qui caractérisent le véritable avocat, désignaient à la conscience, au bon sens et à la droiture d'intentions des électeurs; - considérant d'ailleurs que, pour l'honneur de l'élection même, si elle doit rester définitive, il importe de la purger de tout caractère douteux qui pourrait donner lieu à des jugemens indiscrets; considérant aussi que l'arrivée des vacances, en séparant l'Ordre et en dispersant les avocats en général loin de Paris, forme obstacle à ce que l'enquête soit complétée à temps, pour que le conseil de discipline puisse être nommé avant les premiers mois de la présente année judiciaire, et que pendant ce temps l'Ordre ne doit pas être privé d'administration;

» Arrête ce qui suit :

» Art. ler. MM. Gossin et Deglos sont délégués pour procéder à une enquête administrative de tous les faits qui se sont passés relativement à l'élection qui a eu lieu le 19 du présent mois, pour la candidature du conseil de discipline de l'ordre des avocats de Paris.

» 2. Aussitôt après la clôture de ladite enquête, elle sera remise sous les yeux du procureur général, pour aviser par lui, soit à la nomination du conseil de discipline, soit, si c'en est le cas, à telle autre mesure qui devra être déterminée par le résultat de ladite enquête.

>> 3. Jusqu'à ladite nomination, le conseil de discipline actuel et M. le bâtonnier continueront provisoirement leurs fonctions.

» 4. Le présent arrêté sera soumis à l'approbation de son excellence monseigneur le garde des sceaux.

» 5. Une expédition du présent arrêté sera adressée à M. le bâtonnier de l'Ordre des avocats.

» Fait au parquet de la cour royale de Paris, le 24 août 1822.

[ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »