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un des premiers devoirs du souverain envers ses peuples, et la partie du gouvernement civil la plus nécessaire pour le bon ordre et la tranquillité publique.

On peut dire des avocats qu'ils rendent les premiers oracles de la justice, puisque les contestations leur sont ordinairement déférées avant d'être portées dans les tribunaux réglés. C'est à leurs lumières que l'on soumet les droits les plus sacrés, pour les abandonner ou les soutenir, selon leur sentiment. Leurs concitoyens, les habitans des provinces les plus éloignées, tout ce qu'il y a de plus grand dans les différens ordres de l'état, les étrangers même, viennent les consulter comme les sages interprètes du droit. Ils exercent chez eux une espèce de magistrature domestique, fondée sur la confiance et l'estime de leurs cliens, et l'on voit souvent les deux parties divisées d'intérêt se réunir en prenant leurs conseils pour arbitres, et se soumettre à leur décision.

Le ministère des avocats n'est pas moins glorieux, lorsque, portant la parole dans le sanctuaire de la justice, ils défendent avec zèle et avec fermeté les intérêts qui leur sont confiés, soit qu'ils aient à soutenir les intérêts des princes et des grands de l'état, soit qu'ils aient à défendre la veuve et l'orphelin, et à protéger le faible contre une puissance injuste qui l'opprime. Ils ont toujours l'avantage d'être choisis pour mettre au jour la vérité, pour instruire la religion des magistrats, défendre la vie, l'honneur et la fortune de leurs cliens, et pour faire triompher la justice et l'innocence.

S'agit-il de ces affaires majeures, chargées de faits ou de titres, ou de diverses questions et moyens dont le détail serait trop long pour être fait de vive voix, les avocats, par leurs écrits, fournissent à leurs cliens les mêmes secours que par le ministère de la parole, et les défendent de loin comme s'ils étaient présens.

Les avocats sont aussi associés en plusieurs occasions aux fonctions des juges, soit lorsqu'ils sont choisis pour arbitres par leurs cliens, ou qu'il s'agit de certaines affaires dont la connaissance leur est attribuée par les ordonnances de

(1) Le mot d'Ordre s'appliquerait done mal à propos à ceux qui, quoiqu'ils portent le titre d'Avocats sont cependant assujettis à un cautionnement, signent des requé.

nos rois, soit enfin lorsque les juges ou le prince lui-même renvoient devant eux la décision de certaines contestations.

Cette qualité honorable d'avocat ne se donne point indifféremment à tous ceux qui voudraient s'ingérer d'en faire les fonctions; elle ne se donne présentement qu'à ceux qui, ayant pris successivement les degrés de bachelier et de licencié dans une faculté de droit, ont ensuite prêté serment dans une cour supérieure, telle que le parlement (et aujourd'hui la cour royale), ou dans quelque autre tribunal.

Quoique la fonction des avocats soit à peu près la même dans tous les tribunaux; cependant comme les fonctions sont plus ou moins honorables à proportion de la dignité du lieu où on les exerce, ceux qui ont prêté serment au parlement, ou dans quelque autre cour supérieure, tiennent un rang distingué de ceux qui n'ont prêté serment que dans un tribunal inférieur.

L'ordre des avocats est l'état de ceux qui ont embrassé cette profession. Dans quelques villes, les avocats réunis se qualifient de Collège; mais le titre d'Ordre est plus noble et plus convenable; c'est celui que les avocats au parlement de Paris ont toujours pris, et que le parlement même leur a donné dans toutes les occasions. Et en effet, les avocats, même en les considérant tous ensemble, ne forment point un corps politique, tel que les communautés et compagnies ; c'est seulement un état, une classe de personnes qui ne sont liées que par une qualité qui leur est commune, et qui les distingue des autres ordres, tels que la cléricature et la noblesse, qui sont les deux premiers ordres généraux de l'état (1).

Ce n'est pas assez d'avoir obtenu le titre d'avocat, il faut posséder les qualités du cœur et d'esprit, nécessaires pour en remplir dignement les fonctions et comme la meilleure manière de s'instruire à fond des choses, est de remonter jusqu'à leur origine, de les suivre dans leurs différens progrès jusqu'à leur état présent; pour bien connaître les règles qui doivent servir à former un avocat, il est à pro

tes, font taxer leurs frais et honoraires et en exigent le paiement en justice; toutes choses incompatibles avec la profession d'avocat.

pos de remonter jusqu'à l'origine de cette profession, de remarquer les progrès qu'elle a faits jusqu'à nous, et quelle a été chez les différens peuples, et dans les différens temps, la discipline observée entre les avocats.

Tous les hommes en général sont curieux de connaître leur extraction, et de rechercher leurs ancêtres, jusque dans les temps les plus reculés. Ils ne sont pas moins jaloux d'établir l'ancienneté de leur noblesse, et de rapporter les marques d'illustration qu'elle a reçues en différentes occasions.

Il serait donc étrange que les avocats fussent seuls indifférens sur la connaissance de leur origine : outre que leur profession est presque aussi ancienne que la société civile, elle a reçu dans tous les temps des témoignages éclatans de l'estime et de la considération publiques. On commencera donc par examiner comment

cette profession a pris naissance chez les peuples les plus anciens, ce que l'on a pu apprendre de la discipline qui y était observée, et des récompenses et des honneurs qui y'étaient attachés.

On verra que chez les Grecs cette profession acquit un nouvel éclat par le secours de l'éloquence.

Le barreau de Rome offre encore un champ plus vaste, et qui mériterait de faire seul l'objet d'une histoire particulière.

Mais comme on n'entreprend point ici de donner une histoire complète du barreau d'Athènes et de Rome, ni même de celui de Paris, on ne fera que parcourir sommairement les différentes époques de l'origine et des accroissemens du barreau, et l'on ne s'attachera principalement qu'à ce qui peut avoir quelque rapport aux règles nécessaires pour former un avocat.

CHAPITRE II.

ORIGINE DE LA PROFESSION D'AVOCAT CHEZ LES ANCIENS.

La fonction d'avocat est beaucoup plus ancienne que le titre d'avocat.

En effet, chez toutes les nations policées il y a toujours eu des hommes zélés et vertueux, lesquels étant particulièrement versés dans les principes du droit et de l'équité, aidaient les autres de leurs conseils, et défendaient en jugement ceux qui n'étaient pas en état de se défendre par eux-mêmes, ou qui avaient moins de confiance en leurs propres idées, que dans les lumières de ces généreux défenseurs.

Sous la loi de nature, et sous celle de Moïse, il n'y avait point encore d'avocats, ni autres personnes établies en titre pour défendre les intérêts d'autrui.

Il y avait cependant dès-lors des Tribunaux réglés: mais chacun s'y défendait en personne; ou bien ceux qui voulaient être appuyés de quelqu'un, appelaient avec eux quelques-uns de leurs parens et amis, de sorte

que souvent, au lieu d'un défenseur, il y en avait plusieurs.

Chez les Juifs il y avait des sages dont l'emploi ressemblait en quelque chose à celui de nos avocats consultans; ils étaient établis pour résoudre les difficultés qui s'élevaient parmi le menu peuple, sur quelque point de droit. Leur ministère était gratuit, ayant pour récompense quelque portion des dimes. Ils étaient considérés comme membres du corps des officiers de justice, et parvenaient à leur rang à remplir quelque place de judicature.

Les Chaldéens, les Babyloniens, les Perses et les Égyptiens avaient aussi leurs sages et leurs philosophes, qui éclairaient les autres hommes de leurs lumières. Ils parlaient sou vent en public; mais les plus diserts d'entre eux n'avaient que l'éloquence naturelle le talent de la parole n'avait point encore été réduit en art et en principes; c'est pourquoi l'his

toire ne leur donne point le titre d'orateurs.

Les Égyptiens défendirent même que l'on n'admit plus personne à défendre aucune cause de vive voix dans leurs tribunaux, depuis qu'ils eurent trouvé l'art d'écrire. La crainte qu'ils avaient qu'un orateur ne séduisît les juges par le ton pathétique de sa voix, par l'air composé de son visage, même par des larmes feintes, et par des gestes propres à émouvoir, leur fit ordonner que toute défense serait proposée par écrit.

Mais comme beaucoup de gens n'avaient pas l'usage des lettres, surtout dans un temps où l'invention en était toute nouvelle, il fallait nécessairement que ceux qui étaient hors d'état de se défendre eux-mêmes, soit faute d'avoir l'usage de l'écriture, ou d'être versés dans la connaissance des lois, eussent recours à ceux qui possédaient ces talens, lesquels en cette font enpartie faisaient la même fonction core présentement les avocats, lorsqu'ils défendent une affaire qui s'instruit par écrit.

que

CHAPITRE III.

ÉTAT DU BARREAU CHEZ LES GRECS.

JAMAIS nation ne fut plus féconde que les Grecs en sages et en philosophes; en législateurs, orateurs et autres savans en tout genre.

On admira surtout la sagesse de leur gouvernement, fondé sur les lois que Cécrops, Dracon et Solon donnèrent à Athènes; Lycurgue à Lacédémone; Nicodore à Mantinée; Zaleucus à Locre; et Minos dans l'ile de Crète. Ces lois furent trouvées si judicieuses, que la république romaine envoya des députés en Grèce, pour y puiser, comme dans la source, les principes des nouvelles lois qu'elle voulait établir.

L'éloquence, qui avait été jusqu'alors négligée chez les autres nations, fut cultivée avec soin chez les Grecs; elle fut par eux réduite en art et en principes.

Les orateurs haranguaient le peuple dans les places et autres lieux publics, sur différens sujets.

Périclès, l'un des orateurs d'Athènes, fut, à ce que l'on tient, le premier qui fit entrer l'éloquence dans l'exercice du barreau.

Depuis ce temps il fut d'usage, tant dans l'Areopage d'Athènes, que dans les autres tribunaux de la Grèce, de se faire assister à l'audience par des orateurs fameux (outre les amis que l'on avait coutume d'y amener) afin de donner plus de force et de poids à l'accusation ou à la défense.

Au commencement, ces orateurs pronon

çaient eux-mêmes les discours qu'ils avaient composés pour autrui; c'est ainsi qu'en usaient Thémistocle, Périclès et Aristides.

Antiphon fut le premier qui composa, pour quelques-uns de ses concitoyens, des oraisons qu'ils prononçaient pour soutenir leur droit en jugement.

Lysias, Isocrate et Démosthènes firent la même chose, quoiqu'ils prononçassent aussi quelquefois eux-mêmes leurs oraisons.

Quelque réputation que les deux derniers se soient acquise par leurs talens, ils ne furent pas exempts de reproche dans l'exercice de leur ministère.

Isocrate fut souvent cité en jugement, comme violateur des lois, pour avoir administré aux parties des moyens capables de surprendre leurs adversaires : ce qui fut cause qu'il cessa de ainsi composer pour autrui. Démosthènes, dans une même cause, composa une oraison pour chaque partie.

Æschine fit un meilleur usage de ses talens, s'adonnant tout entier à composer des oraisons pour la défense de ceux qui étaient accusés injustement, et qu'il leur donnait pour les réciter en jugement.

Les lois que Dracon et Solon avaient faites pour la discipline du barreau d'Athènes, continuèrent d'y être observées depuis que l'éloquence y eut été introduite par Périclès, de la même manière qu'elles l'étaient auparavant.

La première de ces lois regardait la condition des orateurs.

Il fallait être de condition libre; un esclave ne pouvait pas se présenter en jugement pour défendre quelqu'un, sa condition étant trop au-dessous d'un si noble emploi.

On n'y admettait pas non plus les infâmes, tels que ceux qui avaient manqué de respect pour leurs parens ; ceux qui avaient refusé de se charger de la défense de la patrie, ou de quelque fonction publique ; ceux qui faisaient quelque commerce scandaleux et contraire à la pudeur, ou qui avaient été vus dans des lieux de débauche; enfin ceux qui vivaient dans le luxe, et avaient dissipé la fortune que leurs ancêtres leur avaient laissée.

Ceux qui touchaient les deniers publics n'étaient point admis à haranguer le peuple, qu'ils n'eussent auparavant rendu compte de leur gestion.

Enfin les femmes étaient exclues du barreau, à cause de la pudeur qui convient à leur sexe.

L'enceinte du barreau et de tout l'aréopage était un lieu réputé si saint, qu'avant l'audience on l'arrosait d'une eau lustrale, pour avertir les juges et les orateurs qu'il ne devait y entrer rien que de pur. Les orateurs avaient pour principe, que leur ministère ne devait servir qu'à faire triompher la justice et la vérité; c'est pourquoi Périclès étant pressé par un de ses amis de jurer faux dans une cause, lui répondit: Amicus usque ad aras. (1)

Hyperides ne fit pas un si bon usage de son ministère, lorsque parlant pour la défense de la courtisane Phryné, qui était accusée du crime de lèse-majesté divine, et voyant que ses juges étaient prêts de la condamner, il la fit avancer au milieu de l'aréopage, et déchirant le voile qui lui couvrait le sein, les juges furent attendris par la beauté de cette femme, et séduits par les discours touchans d'Hypérides, de sorte qu'elle fut absoute.

Depuis ce temps on fit une loi à Athènes et à Lacédémone, pour défendre aux orateurs de faire aucun préambule ni autre discours tendant à émouvoir la pitié ou l'indignation;

(1) Plutarque, vila Periclidis.

on défendit aussi aux juges de jeter les yeux sur l'accusé, lorsque l'on s'efforcerait d'exciter en sa faveur leur commisération.

Au commencement de l'audience, un crieur public faisait souvenir les orateurs de se conformer à cette loi, afin que personne n'abusât de ces figures propres à émouvoir, pour gagner une cause injuste.

Ce réglement refroidit beaucoup l'éloquence des orateurs Grecs.

Comme il y en avait quelques-uns trop diffus dans leurs discours, le temps que chaque orateur aurait la liberté de parler fut limité à trois heures ; et pour observer ce temps, il y avait dans l'auditoire des horloges d'eau, appelées Clepsydres.

Il était encore enjoint aux orateurs de se contenir dans les bornes de la modestie; de ne point faire de démarches auprès des juges, pour les prévenir en particulier; de ne point agiter en public deux fois la même question; de s'abstenir des injures et paroles amères, et de frapper des pieds; de ne point troubler les juges lorsqu'ils étaient aux opinions; enfin, après l'audience, de se retirer tranquillement, et de n'attrouper personne autour d'eux.

Ceux qui manquaient à quelqu'une de ces bienséances étaient mulctés d'une amende de cinquante drachmes, quelquefois même plus considérable, selon les circonstances.

Le ministère de ces orateurs était d'abord purement gratuit. On les récompensait de leurs services en les élevant à leur tour aux charges de la république.

Antiphon fut, dit-on, le premier qui reçut de ses cliens une récompense pour le soin qu'il avait pris de leur défense.

Les autres orateurs, à son exemple, reçurent également de leurs cliens des honoraires en argent et autres présens. Ils se conduisirent cependant toujours plutôt par un principe d'honneur que d'intérêt, et ceux en qui l'on reconnut un esprit mercenaire, en furent repris vivement, comme on voit dans les Oraisons d'Eschine et de Démosthènes.

Telle fut la discipline du barreau d'Athènes, qui servit de modèle à celui de Rome.

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CHAPITRE IV.

ÉTAT DU BARREAU CHEZ LES ROMAINS.

A PEINE Romulus eut-il jeté les fondemens de la ville de Rome, qu'il comprit que sa domination ne pouvait subsister sans faire rendre à ses sujets une exacte justice. Il choisit pour cet effet dans le premier ordre des citoyens qu'on appelait les pères (Patres), un certain nombre d'hommes sages et remplis d'expérience, dont il composa le sénat, et ordonna que les autres citoyens du même ordre seraient les patrons et défenseurs des plébéïens qui formaient le second ordre, et qui devinrent leurs cliens.

Les patrons furent ainsi appelés, comme tenant lieu de pères à leurs cliens; et pour faire entendre que les cliens devaient avoir pour eux le même respect que les enfans ont pour leur père, les esclaves pour leur maître, et les affranchis pour ceux qui leur avaient donné la liberté.

Il y avait plusieurs devoirs mutuels et réciproques à remplir de la part des patrons et des cliens.

La fonction des patrons ne se bornait pas, comme aujourd'hui celle des avocats, à donner conseils aux parties dans leurs affaires contentieuses, et à les défendre en jugement; la qualité de patron formait un engagement beaucoup plus étendu ; c'était proprement un office de protection.

Dès que le patron avait accepté quelqu'un pour son client, et que celui-ci lui avait promis fidélité, le patron était obligé de le soutenir dans toutes les occasions, et d'y employer tout son pouvoir et son crédit; il était son conseil dans toutes ses affaires contentieuses ou autres affaires civiles, et son défenseur en jugement.

Ses cliens lui étaient plus chers que ses proches; il était même obligé de les défendre

contre ces derniers. Il pouvait porter témoignage contre ses proches, et non pas contre ses cliens. C'était un crime grave pour un patron d'avoir tourné en dérision quelqu'un de ses cliens.

Chaque patron avait fort à cœur de conserver ses clientèles, même d'en acquérir de nouvelles, et de les transmettre à ses enfans; de sorte qu'elles étaient comme héréditaires, d'honneur et de l'ancienneté de sa famille. et qu'il les regardait comme un monument

Les cliens, de leur part, étaient obligés de garder partout l'honneur et le respect qu'ils devaient à leur patron; de lui donner en toute occasion des marques de leur zèle et de leur attachement, moins par nécessité que par obligés de lui fournir de l'argent pour marier estime et par reconnaissance. Ils étaient même ses filles, racheter ses enfans lorsqu'ils étaient prisonniers de guerre, payer les peines pécuniaires auxquelles il pouvait être condamné, ou pour acquitter d'autres dettes.

Ils accompagnaient leur patron au barreau et dans les cérémonies publiques, et formaient pèce de cour. autour de lui un cortége nombreux et une es

respectivement s'accuser ni porter témoignage Enfin le patron et le client ne pouvaient préjudiciable; en sorte que les devoirs du l'un contre l'autre, ni faire aucun autre acte client envers son patron ressemblaient en queltenu envers son seigneur, ou plutôt à celui que chose à ceux dont parmi nous le vassal est d'un affranchi envers son ancien maître.

Dans les premiers temps, où les Romains étaient occupés à se maintenir dans leur nouvel établissement, ils étaient beaucoup plus adonnés à la profession des armes qu'à l'étude des lois et de l'éloquence; ainsi ceux qui fai

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