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moyen de compensation dans une guerre où la prudence pouvait craindre des désavantages dont la sagesse nous a préservés; il le fit pour mettre des entraves aux relations mercantiles de ces dominateurs des mers, qui font le commerce par la guerre, et la guerre par le commerce.

Mais cette occupation, qui, pour la première fois, portait, fixait nos armées aux extrémités du Nord, pouvait alarmer les puissances les plus attachées à notre cause par leur position, les plus unies à notre fortune par leurs intérêts, les plus fidèles à notre alliance par inclination.

Des difficultés se sont effectivement élevées, mais la sagesse, la modération, la confiance dans la foi du cabinet des Tuileries, son éloignement de toute idée révolutionnaire et désorganisatrice, ont écarté bientôt tous les nuages; et jamais nous n'avons été avec la Prusse dans des rapports mieux établis, dans une correspondance plus d'accord, dans une amitié plus intime.

D'un autre côté, si les changements qui ont été faits dans le Gouvernement français étaient appelés par l'expérience, indiqués par tous les bons esprits, désirés par les amis éclairés de la patrie, voulus par la nation entière, on ne pouvait songer à les opérer par la création d'une monarchie royale; et le titre impérial pouvait faire craindre de la part de l'empereur d'Autriche, du mécontentement, de la froideur. Le mécontentement pouvait s'aigrir, la froideur pouvait dégénérer en ressentiment, à l'aide des intrigues de nos ennemis.

De là l'incertitude sur la durée d'une paix récente, encore imparfaitement assise; de là la crainte de voir rallumer une guerre désolante, affligeante même pour le vainqueur.

Loin que nos institutions nouvelles aient produit de si funestes effets, l'empereur d'Allemagne et d'Autriche a vu, comme il le devait voir, dans l'établissement de la monarchie impériale en faveur d'une dynastie nouvelle, une garantie donnée à sa couronne, un motif de resserrer son alliance.

C'est dans l'organisation de notre Empire que le sage François II trouve un gage nouveau de sécurité et de paix, une raison pour écarter ses armées de nos frontières ou de celles de nos alliés, et pour ne pas tenir ses troupes sur le pied de guerre.

Enfin de tous les nuages que la jalousie ou la haine, la crainte ou l'espoir ont élevés, il n'est résulté que des explications heureuses, des assurances solides de la durée de la paix, du maintien de l'harmonie entre les deux empereurs.

La Bavière, la Saxe, Hesse-Cassel, Bade, Wurtemberg, l'électeur de Ratisbonne, tous les petits princes régnants en Allemagne, l'ordre équestre, ont donné à Sa Majesté des preuves multipliées d'intérêt, d'attachement et d'estime.

Les Drake, les Spencer-Smith, les Taylor, ont été chassés quand on a su que leur caractère diplomatique, honteusement profané par eux, servait à masquer les plus viles, les plus odieuses menées, et que le but de leurs intrigues était la guerre; la guerre dont la génération actuelle, lasse de combats et avide de repos, ne veut plus courir les dangers, dont elle redoute les malheurs, dont elle abhorre les artisaus.

Ayant la Prusse et l'Autriche pour alliés, où donc, Messieurs, chercherons-nous les éléments d'une coalition continentale?

Est-ce en Suède? Le jeune prince qui règne sur cet Etat, doué d'une chaleur de tête, d'une exaltation d'imagination, présents funestes pour

les rois, quand la raison ne leur commande pas, n'a pas su mûrir ses desseins par la prudence, a négligé d'appeler à ses conseils les sages dont la Suède abonde, et d'éclairer son inexpérience par les lumières de ses vieux ministres.

Aussi ce monarque a-t-il manqué aux égards dus à la France, et dans l'effervescence de ses résolutions n'a-t-il gardé aucune mesure avec elle mais en même temps son imprudente hardiesse n'a pas usé de plus de ménagements envers l'Autriche, et il a prouvé par l'inconséquence de ses emportements que ses démarches étaient sans calcul, ses projets sans maturité, ses volontés sans réflexion, ses passions sans guide.

Il avait même médité un traité de subsides avec l'Angleterre.

Il avait demandé au cabinet de Saint-James 48 millions en échange de 20 mille soldats; mais les ministres anglais, trafiquant des hommes en Europe comme des marchandises en Asie, évaluant les Suédois comme des Cipayes, ne voulaient donner que 16 millions, et le traité ne s'est pas conclu.

La Prusse d'ailleurs, intervenue dans la négociation, l'a arrêtée, en déclarant que sa conclusion serait le signal de son entrée dans la Pomérauie.

Et quand la sage prudence du cabinet de Berlin n'eût pas défendu le roi de Suède de ses propres erreurs, le sang des Suédois n'est pas de celui qui se marchande et se vend à l'intrigue ou à la tyrannie.

Si la France formait une prétention contraire aux intérêts, à l'honneur de la Suède, Stokholm verrait les descendants des soldats de Gustave s'armer pour la patrie; mais aussi elle les verrait irrités de voir leur sang mis à l'enchère, échangé contre les guinées anglaises, prouver par leur indignation que les guerriers suédois, dont les pères composèrent les armées de Charles XII, ne sont pas faits pour descendre à tant d'abjection et de bassesse.

Où donc chercher le centre, les éléments de cette coalition?

Serait-ce dans la Russie? Mais le roi d'Angleterre lui-même annonce qu'aucune liaison n'existe avec cette puissance. Il parle de correspondance, et une correspondance entamée n'est pas une alliance conclue.

D'ailleurs la Russie est une grande puissance sans doute, mais cette puissance ne peut rien contre l'Empire français.

Je vais plus loin. Si les Woronsoff, les Marcoff peuvent concevoir la pensée de vendre l'influence, la force de la Russie au cabinet anglais, Alexandre a de plus sages conseillers et forme de plus prudentes résolutions.

Il n'a pas oublié comment les Russes ont été, dans la dernière guerre, traités par l'Angleterre leur alliée, et comment se sont terminées, en Suisse et en Hollande, les expéditions faites par de grands généraux et de braves soldats, mais avec des plans inexécutables et sous l'influence d'une étoile funeste.

Enfin la froideur entre les cabinets des Tuileries et de Saint-Pétersbourg n'est point une inimitié.

Ils n'ont réciproquement aucun sujet réel de brouillerie, et ce qui depuis trois mois s'est passé entre les deux gouvernements fait assez connaître que dans cette conjoncture encore l'Angleterre aura conçu de vains projets, spéculé sur de fausses espérances, si elle a cru convertir sa correspondance en coalition.

Woronsoff peut avoir conçu un tel espoir. Mais qui ne sait que Woronsoff est moins Russe qu'Anglais; qu'établi en Angleterre, il a la volonté de s'y fixer; et qu'ennemi et désapprobateur de Paul Ier, il l'est également de la Grande Catherine?

Le cabinet de Saint-Pétersbourg connaît les vrais intérêts de son pays: il aura présent à la pensée l'insultante audace de Nelson, voulant dicter des lois dans le golfe de Finlande. Il ne pourra se dissimuler que l'attentat qui a été cominis dans la Méditerranée, par les Anglais, contre les frégates espagnoles, contre un régiment presque sans armes, contre des femmes et des enfants sans défense, menace aussi sur toutes les mers les vaisseaux et les sujets du Czar.

Il ne pourra se dissimuler que cet attentat provient du même esprit, des mèmes principes qui firent attaquer le Danemarck dans sa capitale, qui peut faire attaquer les escadres russes dans la Méditerranée ou dans la Baltique; esprit de vertige et de fureur qui, dominant dans le cabinet anglais, le porte à mépriser toutes les puissances du continent, à n'en ménager aucune, et à se regarder comme hors de l'état social, hors de la grande famille civilisée du monde.

Il n'existe donc aucune coalition menaçante ou possible; mais ce qui garantit le plus sûrement I'Empire français de toute crainte, c'est que s'il eût pu s'en former une, l'Empereur l'eût attaquée, battue, dissoute, et après la victoire il eût encore écrit au roi d'Angleterre cette lettre où il appelle l'humanité au secours de la raison et de l'intérêt du peuple anglais.

Redisons-le donc, Messieurs, un sentiment, et le plus honorable de tous, a pu porter l'Empereur à là démarche glorieuse qu'il a faite envers l'Angleterre.

Ce sentiment est le même qui, dans une autre situation, dicta à Sa Majesté la dépêche qu'elle écrivit avant de passer la Save et la Drave.

Il est le même qui inspira cette autre lettre au roi d'Angleterre quelques mois avant la bataille de Marengo.

Il est le même encore qui, après le gain de la bataille, fit offrir la paix à l'Autriche par le vainqueur.

Enfin, c'est le même sentiment qui, à la paix de Lunéville, a décidé Sa Majesté à sacrifier d'immenses conquêtes, et plus de 20 millions d'habitants soumis par les armes françaises.

C'est l'amour de l'ordre social de la patrie, le saint amour de l'humanité, si souvent professé dans de vains discours, si rarement mis en action, et qui toujours respecté par l'Empereur, toujours pris pour guide dans ses démarches, a été le gage et la consolation de ses succès.

Vous allez, Messieurs, en retrouver les touchantes et augustes expressions dans la lettre que je vais vous lire.

(L'orateur donne lecture de la lettre de Sa Majesté l'Empereur au roi d'Angleterre, et de la réponse du ministre anglais. (Voyez Sénat conservateur, séance du 15 pluviose).

Comparerai-je à présent, Messieurs, les deux monuments dont l'histoire s'est déjà emparée ? Vous ferai-je remarquer dans l'écrit français la franchise, l'élévation, la force dans l'esprit anglais, la ruse, la duplicité, la faiblesse?

Ici tout est précis et noble, tout est empreint de dignité et de grandeur : la guerre est menaçante, mais subordonnée à ce rare courage qui fait sacrifier l'attrait des conquêtes, l'éclat de la victoire, les illusions même de la gloire, aux cris de l'humanité, aux larmes de cent mille familles

nationales ou étrangères qui demandent la paix aux cieux et à leurs monarques.

Là, tout est hésitation et incertitude; on répond par des suppositions à des réalités; on oppose un avenir équivoque à un présent hors de doute; on oppose à une ouverture franche la possibilité d'une coalition qui, existat-elle, n'épouvanterait ni la nation ni son Empereur, qui, subsistante ou vaincue, ne ferait ni croître ni restreindre leurs prétentions, n'ajouterait ni ne retrancherait aux conditions de la paix écrites dans le traité d'Amiens.

Si, dans la communication qu'elle semble annoncer, l'Angleterre parle un langage plus digne de l'ouverture qu'elle a reçue, la paix peut renaître.

Mais si cette occasion unique, qui semble offerte par le maître de tous les empires, de rétablir la paix de l'univers, est manquée par l'Angleterre, l'Europe entière reconnaîtra que le cabinet de Londres seul a voulu, qu'il veut, qu'il voudra seul la guerre.

Et si la réponse par laquelle le roi d'Angleterre, en l'an vIII, repoussa les nobles ouvertures de paix faites par Sa Majesté est déjà jugée; si, pour la conduite des Anglais à cette époque, la génération actuelle est déjà la postérité; si une partie des grandes prospérités de la France et de la crise où est l'Angleterre résultent du refus fait d'entrer alors en négociation, j'ai lieu de penser, Messieurs, qu'une cause pareille produira de semblables effets; qu'un nouveau refus, non moins coupable que le premier, nous préparera de nouveaux avantages, et que la postérité qui, dans cette seconde circonstance, jugera le ministère anglais, prononcera entre l'Empereur de la France et le roi de la Grande-Bretagne, n'est pas loin de nous.

D'un autre côté, un si digne, un si honorable usage du pouvoir dont le peuple a investi Napoléon ler, excitera dans l'Empire un sentiment unanime de reconnaissance et d'amour.

Cette fois au moins nous aurons des grâces à rendre à ce cabinet britannique qui, par la publicité équivoque donnée à la plus franche des communications, a nécessité cette explication solennelle, cet épanchement sans réserve de l'Empereur envers son peuple. Nous féliciterons la France d'avoir acquis la preuve qu'en donnant le trône à Napoléon, les citoyens se sont donné un père jaloux de leur bonheur, économe des trésors de l'Etat, et avare du sang de leurs enfants. M. le Président répond en ces termes :

Messieurs les orateurs du Gouvernement, le Tribunat partage, depuis longtemps, les sentiments d'indignation que doit inspirer à l'Europe la cupidité insatiable du gouvernement anglais, qui, sans oser l'avouer d'une manière formelle, cherche à mettre au nombre de ses prérogatives l'empire absolu et exclusif des mers, et le droit de s'emparer du commerce et de l'industrie de tous les peuples.

On ne doit pas dès lors être étonné qu'il élude toute espèce d'ouverture de paix, qu'il accumule les obstacles, que les propositions les plus modérées lui paraissent inadmissibles, et que sa politique soit incertaine et vacillante.

Le Gouvernemeut doit être bien convaincu que le Tribunat concourra de tous ses efforts et de toute son influence au maintien de la gloire du trône et de l'honneur national offensé.

Sur la proposition d'un grand nombre de membres, le Tribunat donne acte à Messieurs les orateurs du Gouvernement, de la présentation, de la lecture et du dépôt sur le bureau du message de

Sa Majesté l'Empereur et des pièces qui y sont jointes; arrête que le tout sera ínséré au procès-verbal, imprimé au nombre de six exemplaires, et distribué à ses membres.

Le Tribunat arrête aussi que le discours prononcé par M. Regnauld (de Saint-Jean-d'Angély), l'un des orateurs du Gouvernement, et la réponse du Président, seront également imprimés au nombre de six exemplaires.

Il nomme, pour lui faire un rapport sur cette communication, une commission composée de M. Fabre (de l'Aude), président du Tribunat, de MM. Mouricault et Kock, secrétaires, de M. Faure, président de la section de législation, de M. Arhould, président de la section des finances, et des tribuns, MM. Gallois, Fréville, Pictet et Dacier. Cette commission fera son rapport dans trois ours en séance publique.

La séance est levée.

TRIBUNAT.

PRÉSIDENCE DE M. FABRE (de l'Aude.) Séance du 17 pluviose an XIII (mercredi 6 février 1805).

Le procès-verbal de la séance du 15 pluviose est adopté.

M. Peppe, membre du Corps législatif et de la société d'émulation d'Anvers, fait hommage au Tribunat d'un ouvrage ayant pour titre Dissertation historique et critique sur l'origine des Francs saliens et sur la loi salique.

Le Tribunat ordonné la mention au procèsverbal et le dépôt à la bibliothèque.

Un message du Sénat conservateur donne connaissance des nouvelles nominations notifiées au Sénat par le message de Sa Majesté l'Empereur, cen date du 12 de ce mois. (Voy. Sénat conservateur, séance du 12 pluviôse).

Le Tribunat ordonne la transcription au procèsverbal et le dépôt aux archives.

Un nouveau message du Sénat conservateur est ainsi conçu :

Sénateurs dont la nomination n'a point été notifiée au Corps législatif et au Tribunat.

M. Bonaparte (Lucien), entré au Sénat le 3 fructidor an X, comme membre du grand conseil de la Légion d'honneur, en vertu de l'article 62 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor précédent.

M. Abrial, M. de Belloy, M. Aboville, M. Fouché, M. Roederer, nommés par acte du Premier Consul, du 27 fructidor an X, conformément à l'article 63 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor.

M. Chaptal, nommé par acte de l'Empereur, du 19 thermidor an XII conformément à l'article 57 du sénatus-consulte organique du 20 floréal précédent.

M. Bacchioci, nommé par acte de l'Empereur, du 8 frimaire an XII.

M. Bévière, nommé par acte de l'Empereur, du 26 frimaire an XIII.

M. le Président. En exécution de l'article 105 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, j'invite MM. les membres du Tribunat à procéder au scrutin pour nommer, à la majorité absolue, les neuf candidats parmi lesquels le Corps législatif doit en choisir trois pour assister dans ses fonctions M. le procureur général de la haute Cour impériale.

Après trois tours de scrutin, les candidats nommés sont : MM. Faure, Albisson, Mouricault.SavoyeRollin, Favard, Pictet, Gallois, Grenier et Chabot (de l'Allier).

Le Tribunat arrête que cette nomination sera notifiée au Corps législatif par un message. La séance est levée.

SÉNAT CONSERVATEUR.

PRÉSIDENCE DE M. L'ARCHI CHANCELIER DE

L'EMPIRE.

Séance du 18 pluviose an XIII (jeudi 7 février 1805).

M. François (de Neufchâteau) présente le rapport suivant :

Messieurs, dans votre séance extraordinaire du 15. de ce mois, Sa Majesté l'Empereur vous a fait présenter, par son ministre des relations extérieures, un rapport d'un haut intérêt. Vous l'avez écouté avec l'attention profonde qu'exigeait du Sénat une communication si importante et si auguste. Une commission de cinq membres, nommés, au scrutin a été chargée de présenter au Sénat un projet d'adresse, pour exprimer à Sa Majesté Impériale les sentiments de gratitude, de respect et d'amour qu'a redoublé dans le Sénat ce nouveau témoignage de sa confiance. C'est sur ce grand objet que je viens vous entretenir, au nom de la commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe.

Le résultat de l'examen ne pouvait pas être douteux personne en France n'a pu lire, sans une émotion profonde, la lettre que Sa Majesté l'Empereur a adressée, le 12 nivôse dernier, au roi de la Grande-Bretagne.

La politique tortueuse marche dans les ténèbres. Elle a obligé l'Empereur de révéler un secret qui honore tout à la fois son caractère et son gouvernement.

Peut-être en éludant des offres si loyales, le cabinet de Londres ne s'est-il pas douté de l'avantage immense qu'il allait nous donner sur lui. Du moins Sa Majesté Impériale a prouvé qu'elle ne craint pas la lumière; et comme elle n'est point capable de combat're dans l'ombre, elle est digne en effet de négocier au grand jour.

Une première idée nous est venue à ce sujet. Si c'eût été le roi de la Grande-Bretagne qui eût provoqué l'Empereur, afin de recourir aux voies de la négociation, peut-être sa démarche eût-elle été sujette à être mal interprétée, car il a été l'agresseur; le public trop souvent complice de la mauvaise honte, accuse de faiblesse celui qui revient sur ses pas. Cependant d'autres circonstances pouvaient faire prévoir un autre résultat. On avait dit qu'on ne pouvait traiter en sûreté avec la République. A raisonner ainsi, on pouvait donc sans crainte se rapprocher de nous, quand nous vivons nous-mêmes avec plus de sécurité sous un pouvoir héréditaire. On pouvait être sûr que Sa Majesté Impériale se serait empressée d'écouter des principes de modération, et qu'elle n'aurait eu d'autre regret à cet égard que d'avoir été prévenue. Surtout elle n'eût pas voulu que l'on fit, en son nom, à une lettre franche et si bien motivée, une réponse vague, équivoque, évasive. A l'offre d'un traité direct, elle n'eft jamais répliqué par un appel à des puissances qui doivent y être étrangères. Mais nous n'avons point à partir de cette supposition. La pensée de la paix n'a pu éclore dans l'esprit des conseils du roi d'Angleterre. Quand ils en auraient eu l'idée, ils n'auraient pas cru inspirer assez de confiance pour paraître de bonne foi. Infracteurs du traité d'Amiens, ils n'auraient pas osé en proposer un autre. Voilà ce qui relève encore le prix de cette lettre à jamais mémorable écrite par Sa Majesté, c'est qu'il est impossible aux esprits les plus prévenus de ne la croire pas sincère.

D'ailleurs tout en est remarquable. Il en est pas jusqu'à la date qui n'ait dû faire naître une réflexion frappante. C'était le 2 janvier que S. M. I. préférait au droit du plus fort la puissance de la

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raison et les tempéraments d'une mutuelle équité pour régler la transaction entre l'Angleterre et la France. C'était donc au milieu des hommages touchants de la nouvelle année; c'était bien peu de jours après les fètes solennelles du sacre et du couronnement de Sa Majesté ; c'était après qu'au Champ-de Mars avait défilé sous ses yeux cette armée formidable qui lui répond de la victoire ; c'était alors, Messieurs, que son humanité sublime a conçu cette grande idée en faveur de deux peuples, dont l'un s'est reposé sur elle du soin de son bonheur, et dont l'autre, quoique ennemi, ne peut être insensible à la démarche spontanée qu'elle faisait pour son repos. Quelle conception vraiment royale et magnanime d'oublier toutes ses injures, de fouler à ses pieds tant de justes ressentiments, et d'immoler tout amour-propre afin de consacrer, par une paix universelle, l'époque fortunée de son avénement au trône impérial! quel beau présent à faire à l'univers entier, que ce noble projet de réconcilier deux peuples dont les querelles le tourmentent, et pour qui toutefois, comme le dit si bien SaMajesté elle-même, l'univers doit être assez grand! Sa Majesté a bien lu dans le cœur des Francais. Nous ne saurions douter que sa démarche ne réveille une estime cachée dans le cœur des Anglais. Oui, malgré les antipathies qu'on veut rendre nationales, les individus qui composent la famille du genre humain ont les mêmes affections. Le même sentiment jugera cette lettre à Paris, à Madrid, à Londres; et partout où seront des hommes susceptibles de s'attendrir sur les malheurs de leurs semblables, on doit apprécier la résolution d'un prince qui a voulu mettre sa gloire à faire cesser ces malheurs, ces saccagements, ces pillages, ces catastrophes, ce vaste enchaînement d'atrocités et de désastres, suite inévitable du fléau de la guerre.

On a vu des héros sensibles gémir sur leurs propres trophées; mais tout en pleurant leurs succès, ils n'en continuaient pas moins leur sanglante carrière. Napoléon est le premier qu'une pitié profonde pour les malheurs publics ait engagé à s'arrêter sur le chemin de la victoire. Qu'il est digne, Messieurs, de commander aux hommes, celui qui porte un cœur si humain ! celui qui sent si vivement que de tous les fléaux qui peuvent désoler ce globe, la guerre est le fléau que les peuples redoutent et détestent le plus ! Comment leurs conducteurs peuvent-ils l'oublier? Quand le ciel commande la paix, quand les nations la désirent, par quelle impiété envers Dieu et les hommes peut-on vouloir la guerre? La paix est le devoir des rois, puisqu'elle est le besoin du monde.

Que dis-je, Messieurs! cette paix est bien plus nécessaire encore aux bords de la Tamise qu'à tout le reste de l'Europe; la nation anglaise, si active et si éclairée, qui soumet tout à ses calculs, ne sait-elle donc plus calculer ses vrais intérêts? Si elle veut compter pour le présent et l'avenir, que peut donc lui valoir la prolongation du fléau de la guerre? Que peut-elle gagner à ces calamités qui menacent de l'engloutir, qui n'ont de chances que contre elle, qui peuvent entraîner vers sa destruction, tandis qu'elles ne peuvent effleurer la solidité de notre immense territoire? Jamais la France ne s'est vue dans une situation plus tranquille et plus redoutable Jamais elle n'eut moins à craindre des hasards de la guerre. Et lorsque c'est la France qui pourtant propose la paix, on se demande avec surprise quelle est done la raison puissante qui porte l'Angleterre à ne pas l'accepter d'abord?

Une chose est à observer; c'est que dans la réponse à la lettre de l'Empereur, le cabinet de Londres n'allègue rien qui ait rapport à la nation britannique. La guerre n'a pour les Anglais aucun motif qui leur soit propre. A en croire le lord Mulgrave, leur objet est de maintenir la liberté du continent. Eh! qui donc les en a chargés? Si cette liberté pouvait être en péril, comment serait elle affranchie en se mettant sous la tutelle d'un gouvernement insulaire ? l'indépendance de la terre serait-elle bien protégée par ceux qui veulent établir la servitude de la mer? N'est-ce pas insulter l'Europe de lui donner pour champions ceux qui ont fait pleuvoir leurs bombes sur la ville de Copenhague? ceux qui en pleine paix ont précipité dans la mer quatre navires espagnols? ceux qui ont fait servir le sacré caractère des ministres à stipendier des brigands et à payer des assassins? Voilà donc quels vengeurs s'arment pour assurer l'indépendance de l'Europe qui n'est réellement menacée que par eux ! L'Europe serait bien à plaindre, si son indépendance ne pouvait se réfugier qu'au sein des Iles-Britanniques. Le gouvernement de ces îles serait bien généreux d'exposer ce pays à sa ruine entière pour un objet qui, après tout, ne le regarde pas. Aucun peuple du continent ne saurait être assez aveugle pour se faire jamais illusion à cet égard; mais les Anglais eux-mêmes seraient-ils fascinés au point de se persuader que leur gouvernement doit s'élancer ainsi hors de sa sphère naturelle, impliquer leur ile et sacrifier ses ressources dans des connexions qui lui sont étrangères?

Le cabinet de Londres avait besoin de ce fantôme pour compliquer une querelle dans laquelle il est agresseur. Il lui faut un prétexte pour appeler à son secours des puissances intervenantes. Mais le traité d'Amiens n'a pu être conclu qu'entre la France et l'Angleterre. Les bases du traité d'Amiens sont les seuls fondements de la transaction à faire entre les deux Etats. Ce serait vouloir tout confondre d'appeler à l'arrangement de ces difficultés des princes qui n'y ont aucune espèce d'intérêt. Ces princes n'etant pas en guerre avec la France, n'ont pas besoin, sans doute, pour s'entendre avec elle, de choisir pour leur interprète une partie belligérante, surtout quand celle-ci persiste à repousser toute idée d'accommodement pour son propre compte. Avant d'être arbitre pour d'autres, il convient de régler soimême ses propres différends. Ce n'est pas à l'Europe que nous avons à faire l'Europe ne veut pas la guerre, et nous ne voulons que la paix.

Ah! loin de défendre l'Europe, la résolution du cabinet de Londres est une attaque à tous les peuples de toutes les parties du monde. Qui fait la guerre sans sujet, qui persiste à la guerre quand il a pu faire la paix, nuit à toutes les nations, même à celles qui ne sont pas les objets directs de ses armes. La guerre trouble leur commerce, détruit leurs subsistances, empêche leur bonheur, inquiète leur sûreté. L'auteur d'une pareille guerre est l'ennemi du genre humain. Il donne à tous les peuples le droit de le maudire, et celui de se réunir, soit pour le réprimer, soit pour lui arracher la puissance dont il abuse.

Mais ce n'est point d'ici que peut jamais partir ce vœu féroce d'une guerre d'extermination, ce vou que l'on nous a trop souvent adressé de l'autre côté de la Manche. Nous pouvions y répondre par la conclusion des opinions de Caton dans le Sénat de Rome. Mais la ruine de Carthage n'est point l'objet que se propose notre grand Empereur.Sagloire est de fonderet non pas de détruire.

Quoique l'armée française brûlât du désir de punir les violateurs de la paix, elle suspendait son courroux à la voix souveraine de Sa Majesté Impériale.

Cinq cent mille hommes sous les armes, accoutumés à vaincre quand Napoléon les dirige, attendaient impatiemment le moment du départ et le signal de la vengeance. Mais après avoir tout épuisé pour arrêter encore le gouvernement britannique aux bords du précipice où son aveuglement jette sa nation, si Sa Majesté Impériale est réduite à donner ce signat si terrible, malheur, malheur à ceux qui n'auront pas voulu entendre ces conseils pacifiques! Que le sang qui sera versé retombe sur leurs têtes! Qu'ils répondent à leur pays d'en avoir causé la ruine! Que la voix de l'Europe entière dépose hautement contre eux! Que leur mémoire soit livrée aux imprécations de la postérité! Enfin, que le juge suprême des peuples et des rois leur fasse expier les trépas de tant de valeureux guerriers, les alarmes de tant de mères, le désespoir et les souffrances de tant d'innocentes victimes, que la lettre de l'Empereur avait pour objet de sauver!

Mais que l'Empereur soit béni! qu'il soit l'objet de nos hommages et de notre rèconnaissance! qu'il soit récompensé par l'amour du peuple français! On admire en lui le héros; on vénère comme on le doit le grand législateur; mais c'est le pacificateur qui doit être adoré. Déjà, plus d'une fois, il a mérité par le fait ce titre, le premier de tous. Il l'obtient encore aujourd'hui par une intention dont la persévérance est un trait de son caractère, ce dont, quelle que soit l'issue de cette guerre, l'humanité lui tiendra compte. Nos armes étaient légitimes: maintenant elles sont pieuses. Notre cause était juste, dorénavant elle est sacrée. L'opinion du monde entier ne peut plus être corrompue. Quiconque aura lu cette lettre au roi de la Grande-Bretagne fera des vœux pour les succès du grand prince qui l'a écrite. Il suffira d'être homme pour être un de ses partisans. Qu'on juge à plus forte raison de ce surcroît d'enthousiasme qui va précipiter au milieu des batailles, et sur toutes les mers, le vol rapide de nos aigles, et enflammer encore cette ardeur martiale de nos invincibles armées!

Dans plusieurs grandes circonstances, le Sénat, le peuple et l'armée ont déjà réuni leurs vœux pour Sa Majesté Impériale; sans doute elle doit y compter plus que jamais. C'est la voix de la France qui s'élève, et qui assure à l'Empereur, pour la vie et la mori, la fidélité du Sénat, l'attachement du peuple et le dévouement de l'armée.

Messieurs, le monde entier le sait la France s'était reposée sur le traité d'Amiens; elle ne voulait pas la guerre; elle est en paix avec l'Europe: elle serait en paix avec l'Angleterre elle-même, si le cabinet britannique n'eût pas déchiré sur-lechamp le pacte respectable qu'il venait de signer. La nation française n'auraici qu'un sentiment.

Or c'est à vous, Messieurs, d'etre les premiers interprètes du sentiment national. Pour remplir ce devoir sacré, la commission vous propose le projet d'arrêté suivant.

Les dispositions suivantes font partie de cet arrété.

Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l'article 90 de l'acte des Constitutions de l'Empire, en date du 22 frimaire au VIII;

Après avoir entendu le rapport qui lui a été fait par sa commission spéciale nommée dans la séance du 15 de ce mois, sur la communication

donnée au Sénat dans la même séance par le ministre des relations extérieures, au nom de l'Empereur :

A d'abord arrêté de supplier Sa Majesté Impériale d'agréer les respectueux remerciements du Sénat, pour la communication qu'elle lui a fait donner par son ministre.

Sur cette communication, le Sénat considérant : Qu'après avoir déjà triomphé de tant de manières des factions intérieures et des ennemis du dehors, l'Empereur vient de remporter encore un triomphe plus éclatant, et peut-être plus difficile, en s'élevant au-dessus des ressentiments naturels que devaient inspirer à son cœur tant d'attentats et tant de haines, et en proposant la paix, en faveur de l'humanité, par sa lettre du 12 nívóse à S. M. britannique;

Arrête que la copie de cette lettre sera consignée dans ses registres, comme un monument glorieux pour le prince qui l'a écrite, et pour la nation qu'il gouverne;

Considérant ensuite que cette proposition, faite dans le moment où la France est dans la situation la plus redoutable, n'a obtenu des ennemis qu'une réponse qui paraît éluder tout projet de conciliation:

Le Sénat déclare que l'Empereur doit compter dans cette guerre sur tout son zèle, comme il doit compter sur la fidélité du peuple et de l'armée ;

Le Sénat arrête que le résultat de sa délibération et le rapport sur lequel elle est intervenue seront transmis à l'Empereur par M. le président du Sénat, qui est chargé de se retirer à cet effet devers Sa Majesté Impériale.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FONTANES. Séance du 18 pluvióse an XIII (jeudi 7 février 1805).

Le procès-verbal de la dernière séance est adopté.

On fait lecture d'un message par lequel le Sénat conservateur informe le Corps législatif des différentes nominations de sénateurs qu'il ne lui avait pas encore officiellement notifiées. Ce message sera inséré au procès-verbal, et la minute déposée aux archives.

Le Tribunat transmet également, par un message, les noms de neuf candidats qu'il a nommés dans la séance d'hier, et dans le nombre desquels le Corps législatif doit en choisir trois pour assister dans ses fonctions M. le procureur général de la haute cour impériale.

L'assemblée, consultée par M. le président, décide qu'elle s'occupera de ce choix dans la prochaine séance.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi présenté le 8 pluviose, concernant l'emploi des créances piémontaises en paiement de domaines

nationaux.

M. Malès, orateur du Tribunat. Messieurs, le projet de loi sur lequel je viens vous exprimer le vœu de la section des finances du Tribunat, a pour objet un grand acte de justice distributive dans les six départements réunis d'au delà des Alpes; il tend à y concilier des intérêts divers, relativement à l'emploi autorisé des capitaux de la dette constituée du ci-devant Etat de Piémont en acquisition de domaines nationaux.

A peine la loi du 5 ventôse dernier, qui ouvre cet écoulement à la dette du Piémont, a-t-elle été connue dans les six départements, que des réclamations très-pressantes contre son exécution

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