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sent, enfin les détails multipliés de surveillance et d'entretien qu'elles entraînent, en rendent l'administration plus pénible et plus onéreuse que le produit n'en est assuré.

Leur aliénation, conseillée par la nécessité de simplifier l'administration des établissements auxquels elles sont affectées, est surtout commandée par celle de leur procurer des revenus invariables et fixes comme leurs besoins.

On peut en dire autant de tous les bâtiments et des usines.

A l'égard des autres natures de biens en fonds de terres affectés au prytanée français, leur dispersion dans un grand nombre de départements, leurs morcellements, leur éloignement du centre de leur administration en rendent la gestion extrêmement difficile, la surveillance excessivement dispendieuse ou nulle. Il paraît donc également utile de les aliéner.

Cette mesure, conseillée par l'intérêt particulier de l'établissement auquel ces immeubles sont affectés, est encore sollicitée par des considérations d'un ordre supérieur.

La section des finances pense en effet, Messieurs, que dans l'état actuel de la civilisatiou, où il est devenu facile de doter les établissements publics autrement qu'en immeubles, la puissance publique doit tendre à faire sortir sans secousse de leurs mains tous ceux qui peuvent encore s'y trouver.

On a depuis longtemps remarqué que ces biens sont les plus mal administrés et les moins productifs. Leur rentrée dans le commerce les ferait bientôt participer aux améliorations qu'on doit attendre de l'impulsion de l'intérêt privé. Elle serait encore utile à l'Etat, en multipliant le nombre des propriétaires, et favorable aux intérêts du trésor public, en le faisant jouir du produit de tous les droits de mutation et d'enregistrement dont l'immobilité de ces domaines les affranchit encore.

Nous ne doutons pas, Messieurs, que cette pensée n'ait déjà été émise dans les conseils de Sa Majesté; et peut-être en reconnaîtrez-vous l'empreinte dans le projet de loi qui vous a été présenté sur la dotation définitive de la Légion d'honneur.

La première rédaction du projet de loi que nous discutons, confidentiellement communiquée à la section des finances, exceptait de la vente, ordonnée par l'article 1er, les bois et forêts qui font partie de la dotation des prytanées français.

Cette exception avait paru sans doute nécessaire pour prévenir l'abus qu'on pourrait faire de la généralité des expressions employées par l'article cité pour se croire autorisé à tout vendre.

Elle pouvait aussi être fondée sur la différence existante pour l'avantage et la sûreté des produits entre la possession des bois et forêts et celle des autres natures d'immeubles. On ne peut en effet méconnaître que la première est exempte de beaucoup d'inconvénients qui rendent l'autre beaucoup plus dispendieuse, et moins productive. Nous les avons déjà énoncées plus haut.

L'exception paraissait donc sagement motivée. Cependant on ne la retrouve plus dans la rédaction définitive du projet de loi actuellement soumis au Corps législatif. La section, dont nous sommes l'organe, ignore par quelles raisons on l'en a fait disparaître. Mais en se livrant à de nouvelles réflexions sur cet objet, elle est restée elle-même convaincue que l'exception dont il s'agit, inutile à énoncer à l'égard des grandes masses de bois et forêts affectés s'il en est, au prytanée, eût été contraire au but de la loi pro

posée, si elle eût compris indistinctement tous les bois possédés par cet établissement.

En effet, Messieurs, la section a considéré que les domaines affectés à la dotation d'un établissement public, loin de perdre par cette affectation le titre de domaines nationaux, le recevraient de cette affectation même, s'il ne leur eût pas précédemment appartenu. Cette vérité, obscurcie dans les siècles de superstition et d'ignorance, est devenue une maxime de notre droit public; proclamée par la première de nos assemblées nationales, elle a reçu sa plus grande application par le fameux décret du 2 novembre 1789 et par ceux qui l'ont suivi.

Or les lois rendues sur la vente des domaines nationaux ont constamment prohibé celle des bois et forêts de la contenance de 300 arpents et au-dessus, et même celle des bois d'une moindre contenance qui se trouvent situés à une faible distance des grandes masses. Le projet que nous discutons ne contenant aucune dérogation aux lois existantes sur cette matière, lois qui ont été fidèlement maintenues, même dans les temps où la plus folle imprévoyance disposait de la fortune publique, la section des finances en conclut qu'on doit être assuré que, malgré la généralité des termes employés par le 1er article du projet, les forêts de 300 arpents, s'il s'en trouvé dans la dotation du prytanée, ne pourront pas être mises en vente.

A l'égard des forêts d'une faible contenance, et des bois épars appartenant au prytanée, on peut dire que, si leur possession est moins onéreuse que celles de beaucoup d'autres natures d'immeubles, leur administration n'en exige pas moins des soins très-multipliés et une surveillanee qui ne peut utilement s'exercer sur tant de points éloignés. On ne trouve d'ailleurs ni dans l'intérêt public, ni dans l'intérêt privé de l'établissement auquel ils sont affectés, aucuns motifs de les soustraire à une disposition qui doit opérer, en peu d'années, un accroissement énorme et toujours progressif dans les revenus de cette maison.

Ici, Messieurs, j'arrive à la seconde question relative au placement du produit des ventes en rentes sur l'Etat. Qui pourrait douter de l'avantage qui en résultera pour le prytanée?

Cet établissement jouit aujourd'hui d'un revenu d'environ 400,000 fr., qui, par les causes exposées plus haut, s'est réduit, en l'an XII, à moins de 250,000 fr. Ainsi les trois huitièmes du produit de ces immeubles ont été absorbés par des frais d'administration, d'entretien et de réparations dont la plupart se renouvellent chaque année.

Le capital d'un revenu de 400,000 fr., multiplié par 20, terme ordinaire, donnerait pour produit 20 millions. L'on pourrait se flatter que la chaleur des enchères élèverait même au-dessus de cette somme le prix des immeubles à vendre s'ils consistaient tous en biens ruraux; mais comme ils consistent en partie en maisons urbaines, nous croyons devoir partir d'un calcul beaucoup plus faible. Ainsi, en multipliant la somme de 400,000 fr., produit brut des immeubles du prytanée, par le nombre 16, terme moyen entre la première mise à prix à douze fois pour les maisons et usines, et à vingt fois pour les biens ruraux, ainsi que le prescrit la loi du 5 ventôse an XII, on aurait pour produit une somme de 6,400.000 fr.

Ce capital, placé en acquisitions de rentes sur l'Etat à 60 pour cent, taux supérieur au cours actuel, donnera au prytanée un revenu net de 528,000 fr., c'est-à-dire plus que le double de ce qu'il est aujourd'hui.

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Mais tant d'avantages présents ne seront-ils pas bientôt affaiblis par la différence que le temps amène insensiblement entre la valeur nominale des rentes en argent et leur valeur réelle. Cette crainte est fondée sans doute; mais la loi a prévu le danger, et les précautions qu'elle a prises suffiront pour l'éviter.

La huitième partie des arrérages de rentes sur l'Etat, dont l'acquisition sera faite par le prytanée, sera employée chaque année comme fonds d'accumulation, en acquisitions successives de nouvelles rentes. Ainsi le prescrit l'article 3 du projet de loi. On doit être sûr que l'exécution religieuse de cette disposition, toujours surveillée par le Gouvernement, fondateur et protecteur du prytanée, préviendra toute diminution sur les revenus de cet établissement. Il y a même tout lieu de croire que l'augmentation progressive de ce revenu suivra toujours, et pourra même devancer celle dont les immeubles sont susceptibles, en proportion du rehaussement du prix des denrées et des autres valeurs commerciales. Ainsi, au moyen d'une disposition dont l'effet infaillible doit être de doubler le montant de la rente dans une période de 160 ans, on peut être sûr que les ressources du prytanée seront dans tous les temps maintenues au niveau de ses besoins.

Au reste, ce n'est point devant le Corps législatif qu'il est permis d'élever des doutes sur la fidélité avec laquelle les rentes sur l'Etat seront toujours acquittées. L'ordre invariable existant dans l'administration du trésor public; la richesse du revenu public qui surpasse treize fois l'intérêt de la dette constituée de l'Etat; la loyauté de la nation et du Gouvernement offrent à cet égard toutes les garanties désirables. Vous avez donné vousmêmes, Messieurs, dans le cours de votre dernière session, un témoignage solennel de la confiance qu'on doit y avoir, lorsque vous avez décrété la loi relative à l'aliénation des maisons urbaines appartenant aux hospices de Paris, et au placement du prix provenant de ces ventes en acquisitions de rentes sur l'Etat.

Ce que vous avez fait, Messieurs, en faveur des hospices de Paris, vous croirez sans doute devoir le faire en faveur du prytanée; et vous associant aux vues de S. M. L'EMPEREUR pour la prospérité d'un établissement si digne par sa destination de toute la protection du Corps législatif, vous accorderez votre sanction à la loi qui vous est pro posée sur l'aliénation des immeubles qui forment sa dotation.

Tel est le vœu de la section des finances du Tribunat, dont nous avons l'honneur d'être en ce moment les organes auprès du Corps législatif.

M. le président s'étant assuré qu'aucun orateur du Conseil d'Etat ni du Tribunat ne se propose de parler sur le projet de loi, la discussion est fermée.

Elle s'ouvre de suite sur le projet de loi.

M. Duvidal, orateur du Tribunat (section de l'intérieur). Messieurs, le Gouvernement a présenté au Corps législatif un projet de loi dont l'objet est de rendre à la ville de Paris le produit du droit établi sur l'expédition des actes civils, à la charge d'acquitter toutes les dépenses relatives à l'expédition de ces actes.

Je viens, Messieurs, au nom de la section de l'intérieur du Tribunat, vous exprimer son opinion sur ce projet de loi.

Le droit dont il s'agit a été établi par une loi du 3 ventôse an III, qui détermine le mode de constater l'état civil dans la commune de Paris. Il est perçu par la régie de l'enregistrement au

profit du trésor public; cependant une partie des frais de cet établissement est supportée par la commune, et aux termes de l'article 12 de la loi mentionnée ci-dessus, elle est chargée de la fourniture de tous les registres.

Le produit de ce droit est peu important pour l'Etat, car le salaire des agents et employés forme un objet de dépense presque égale à la recette. Cette recette oblige la régie à une surveillance embarrassante, attendu qu'il faut qu'elle suive ses employés dans les bureaux des municipalités où ils sont confondus avec des agents soumis à une autre autorité et chargés d'un service tout différent; les attributions de la régie n'ont d'ailleurs aucun rapport avec tout ce qui concerne l'état civil.

Vous observerez en outre, Messieurs, que la loi du 3 ventôse an III n'est applicable qu'à la ville de Paris. Si le droit qu'elle établit est perçu dans quelques endroits, il y tourne au profit des secrétaires de l'état civil, et conséquemment à la décharge des communes qui, sans cette rétribution, se trouveraient obligées d'augmenter le salairé de leurs employés.

Cette différence entre Paris et le reste de l'Empire n'est fondée sur aucun motif de nécessité ni de convenance; il est probable qu'elle n'était point dans l'intention du législateur, et que la loi qui y donne lieu n'était que l'essai d'un système plus général. Sa Majesté n'ayant point pensé qu'il fût avantageux d'établir un pareil système dans tout son ensemble, il paraît naturel de remettre à cet égard Paris dans la même situation que les autres parties de l'Empire, et de rendre à cette ville le produit de ce droit perçu dans ses municipalités, en l'appliquant aux frais de la branche d'administration dont il tire sa source.

Vous avez déjà été instruits, Messieurs, que les frais sont presque égaux à la recette; mais supposant qu'il y ait quelque excédant, les nécessités de la ville de Paris réclament cette légère ressource, et le zèle des fonctionnaires publics qui en ont en main l'administration méritent que vous leur facilitiez tous les moyens de remplir dignement la tâche qui leur est confiée.

C'est par ces motifs que la section de l'intérieur du Tribunat vous propose l'adoption du projet de loi.

Le Corps législatif ferme la discussion et passe de suite à l'appel nominal sur les deux projets de loi soumis à sa délibération.

Celui relatif à l'aliénation des immeubles du prytanée de Saint-Cyr est décrété à la majorité de 170 boules blanches contre 67 noires.

Celui concernant l'expédition des actes de l'état civil de Paris, à la majorité de 231 contre 3. La séance est levée.

CORPS LEGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FONTANES. Séance du 9 pluvióse an XIII(mardi 29 janvier 1805). Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. Jaubert aîné, défenseur officieux près la cour de cassation, fait hommage au Corps législatif d'un mémoire en révision des jugements criminels rendus pendant la Révolution française.

Il sera fait mention de cet hommage au procèsverbal.

MM. Bigot-Préameneu et Treilhard, conseillers d'Etat, sont introduits.

M. Bigot-Préameneu présente un projet de loi relatif à l'attribution aux cours de justice criminelle spéciale du crime de rébellion envers toute force armée.

En voici le texte et l'exposé des motifs.

Motifs.

Messieurs, le projet de loi que nous sommes chargés de vous présenter a pour objet d'attribuer aux cours criminelles spéciales, établies par la loi du 23 floréal an X, la connaissance du crime de rébellion contre la gendarmerie, ou contre toute force armée agissant sur la réquisition d'une autorité compétente.

Vous vous rappellerez de quels désordres une grande partie de la France était affligée dans le temps où, sous le titre de premier consul, l'Empereur prit les rênes du Gouvernement. Les vagabonds étaient sans nombre; les grandes routes étaient infestées de brigands; des vols et des violences de tout genre avaient répandu la frayeur dans les campagnes, on y voyait s'y multiplier les incendies et des assassinats prémédités par des attroupements armés.

Il n'est maintenant personne qui ne mette au nombre des bienfaits les plus signalés rendus à la France, les mesures prises par la loi du 18 pluviôse an IX, pour faire cesser des maux aussi funestes et alors aussi incalculables dans l'avenir. Des tribunaux furent établis pour connaître spécialement de ces crimes, et la forme d'y procéder fut réglée de manière que les accusés et la société eussent respectivement une garantie suffisante.

Bientôt, Messieurs, vous avez recueilli le fruit de la sagesse qui vous avait fait adopter cette loi. Les tribunaux se sont conciliés, par leur humanité autant que par leur inébranlable fermeté, l'estime et la reconnaissance publiques, en même temps qu'ils ont frappé d'épouvante les brigands les plus redoutés. On peut regarder comme presque entièrement complet le rétablissement de l'ordre public les campagnes offrent, comme dans leur ancien état, le spectacle des travaux paisibles de l'agriculture et du bonheur qui les accompagne. Mais plus à cet égard les succès du Gouvernement ont été heureux, et plus il doit s'occuper avec soin de prévenir le retour des anciens désordres. On n'a point à craindre de voir s'altérer ou se refroidir le dévouement des cours criminelles spéciales; mais en même temps on doit reconnaître que si la punition des crimes par les tribunaux est un des plus grands moyens de les prévenir, ce moyen lui-même ne peut être assuré que par le concours d'une force armée qui mette, pour atteindre les coupables, un zèle à toute épreuve. Il faut des hommes qui ne craignent point de s'exposer jour et nuit pour livrer à la justice des gens qui leur opposent toute la résistance dont sont capables des scélérats, lorsqu'ils ont à sauver leur vie.

Non-seulement cette force armée concourt aussi d'une manière essentielle à la punition des crimes, mais encore elle produit, par la seule crainte que sa vigilance inspire, l'heureux effet de disperser des bandes de brigands, et de les mettre ainsi dans l'impuissance de continuer leurs attentats.

Lorsque par cette crainte on obtient non-sculement que les plus grands crimes aient cessé de se commettre, mais encore que de nouveaux brigands ne puissent ou n'osent se former, ce moyen de tarir le mal dans sa source, sans avoir aussi souvent besoin de recourir à l'appareil terrible des échafauds, doit être regardé comme base fondamentale de la tranquillité publique.

Il n'est aucun autre moyen de la maintenir, que celui de donner aux gendarmes, dans la prévoyance de la loi et dans la protection du Gouvernement, la garantie dont ils ont besoin

pour l'exercice de leurs fonctions. Les personnes conduites ou détenues par eux sont sous la garde de la loi même; ils sont les dépositaires les plus indispensables, et conséquemment les plus sacrés de la police judiciaire, civile ou militaire. Enlever de leurs mains les personnes confiées à leur garde, est un attentat contre l'autorité publique. Employer pour ces enlèvements des armes meurtrières, assaillir les gendarines par des coups qui leur causent la mort ou qui les y exposent, c'est un genre d'assassinat dont les conséquences sont tellement à craindre, que l'ordre social en serait ébranlé s'il restait impuni. Une telle impunité anéantirait sans retour la terreur qu'ils doivent inspirer, lors même qu'ils ne sont pas présents, ou sans qu'ils aient besoin d'employer leur force. Pour la maintenir, cette terreur salutaire, il faut que les méchants ne puissent pas être encouragés par un seul exemple de violences ou de voies de fait contre la gendarmerie, sans que les coupables en aient subi la peine.

Mais lorsque sur un grand nombre de points de l'Empire, il se trouve des gens assez audacieux et assez pervers pour attaquer les gendarmes dans leurs fonctions, lorsqu'il est constant que. plusieurs ont été tués, que d'autres ont été blessés plus ou moins grièvement, lorsqu'en même temps les coupables reconnus et dénoncés par eux à la justice n'ont point été condamnés, il n'est personne qui ne soit effrayé d'un désordre dont les progrès seraient aussi rapides que funestes; il n'est personne qui ne reconnaisse qu'en laissant dépérir ou s'affaiblir la force qui seule peut s'opposer aux méchants, et les mettre sous la main de la loi, c'est leur livrer la société entière; le Gouvernement s'est ainsi vu dans la nécessité de rechercher la cause d'un aussi grand mal, et le remède que l'on doit y porter.

On a observé que le crime de rébellion contre la gendarmerie est de la nature de ceux dont la connaissance a été attribuée, par la loi du 18 pluviôse an IX, à des tribunaux spéciaux. C'est dans les campagnes, c'est sur les routes publiques, que cette foi a voulu rétablir la sûreté ; c'est là que les scélérats out plus de facilité à commettre leurs crimes, c'est aussi là qu'ils ont plus d'audace, parce que les témoins y sont moins nombreux, parce que ces témoins sont plus faciles à intimider par la crainte des vengeances, ou enfin parce qu'ils trouvent dans le pays où ils ont leurs habitudes des parents ou d'autres appuis. Les moyens qu'ils avaient d'écarter les témoins étaient employés par eux avec autant de succès à l'égard des jurés; et le nombre toujours croissant des crimes et des procédures terminées sans condamnations n'offrait qu'un spectacle scandaleux, et devenait pour les scélérats une sorte d'encouragement. L'institution des jurés a été suspendue à l'égard de ces crimes, et la connaissance en a été attribuée à des juges revêtus d'une dignité imposante, et qui d'ailleurs sont au-dessus de toute crainte, soit par leur habitation dans les villes, soit par la fermeté qui doit constituer le caractère du magistrat. Cette forme de procéder a fait cesser le désordre. On ne saurait, après de semblables résultats, élever des doutes ni sur la cause du mal, ni sur le remède.

Il est également évident que tout ce qui vien d'être dit des crimes réprimés au moyen de la loi du 18 pluviose an IX s'applique aux violences et aux voies de fait contre la gendarmerie. C'est aussi dans les campagnes, c'est sur les routes publiques qu'elle fait son service le plus ordinaire, c'est là qu'elle ne peut compter sur au

cun autre secours que celui de sa propre force; c'est là qu'elle est le plus exposée aux enlèvements par violence; enlèvements auxquels ont le plus grand intérêt des complices, et en général tous ceux qui sont parents des personnes détenues, ou qui leur tiennent par d'autres rapports; c'est là que ceux qui ont assez de témérité pour se porter à de pareils excès et pour s'exposer aux peines sévères dont la loi les punit, ont aussi les mêmes moyens d'intimider les témoins et les jurés.

Il s'agit donc ici d'un mal de nature absolument semblable à celui contre lequel on a employé, en l'an IX, le seul remède qui ait pu réussir: il ne peut donc y avoir aucune incertitude sur la nécessité de l'appliquer.

La nature du crime de rébellion contre la gendarmerie a de tels rapports avec ceux dont la loi du 18 pluviose an IX donne la connaissance aux tribunaux spéciaux, qu'il semble au premier coup d'oeil que ce crime de rébellion pourrait y être regardé comme implicitement compris dans les expressions générales d'assassinats préparés par des attroupements armés. Mais une pareille interprétation ne pouvait être admise : une loi pénale doit être formelle et précise dans l'énonciation du délit comme dans l'énonciation de la peine les violences et les voies de fait contre les gendarmes peuvent être assimilées à des assassinats prémédités, en ce que ces militaires se défendent au péril de leur vie, et que les scélérats qui se réunissent pour les attaquer avec des armes sont présumés avoir eu le dessein de porter les excès jusqu'à la mort même. Mais les violences et les voies de fait que l'on a besoin de réprimer, présentent un caractère, un but et des modifications autres que le crime ordinairement désigné sous le nom d'assassinat prémédité. Ces violences peuvent être exercées sans armes; elles peuvent l'être avec armes, mais sans attroupement, et même par une seule personne elles peuvent avoir été accompagnées de blessures plus ou moins dangereuses; il est même possible que, suivant les circonstances, il n'y ait pas eu intention de tuer ni de blesser, et que néanmoins le crime de rébellion soit encore trèsgrave. Ce crime ne pouvait donc pas être regardé comme étant au nombre de ceux énoncés dans la loi du 18 pluviôse an IX; et quoique les mêmes raisons eussent dù l'y faire comprendre, il n'en est pas moins nécessaire de déclarer, par une loi expresse, que l'attribution donnée, en l'an IX, à des tribunaux spéciaux, s'étend à la connaissance des violences et voies de fait contre la gendarmerie; il n'est pas moins nécessaire de spécifier ce crime de manière que la peine prononcée par le Code pénal reçoive facilement son application; il ne peut rester aucune difficulté en rappelant, comme on le fait dans l'article 1er de la loi proposée, les articles du Code pénal où sont énoncées les circonstances auxquelles s'appliquera l'attribution donnée aux tribunaux spéciaux, en même temps que les juges y trouveront exprimée la peine qu'ils doivent prononcer. Les juges n'oublieront point qu'il ne s'agit ici que de régler la compétence, et que si on n'a point, dans la loi actuelle, compris d'autre cas, tel que celui de l'article premier du même titre du Code pénal, tous les délits du même genre n'en doivent pas moins être poursuivis; mais alors ce doit être par la procédure ordinaire devant les jurés.

La violence avec des armes entraîne des peines beaucoup plus graves que dans le cas où ceux qui l'exercent ne sont pas armés; il fallait

que les juges trouvassent, dans la loi, une explication précise de ce que l'on doit entendre par cette expression déjà elle est définie dans une loi du 13 floréal an X1, relative au jugement des contrebandiers, loi qui fait mention des porteurs d'armes en évidence ou cachées, telles que fusils, pistolets et autres à feu, sabres, épées, poignards, massues et généralement tous instruments tranchants, perçants ou contondants. Il y est expliqué qu'on n'y considère pas comme armes les cannes ordinaires, sans dards ni ferrements, ni les couteaux fermants et servant habituellement aux usages ordinaires de la vie. Cette définition et cette explication si nécessaires pour que l'on ne puisse pas supposer contre les prévenus une circonstance aggravante qui n'existerait pas, ne se trouvant que dans cette loi qui est particulière pour le crime de contrebande, il était nécessaire de les consacrer aussi dans la loi proposée.

La garantie donnée par cette loi à la gendarmerie devait également, et par les mêmes motifs, s'étendre à toute autre force armée agissant sur la réquisition d'une autorité compétente. Cette force armée remplit alors les mêmes fonctions; elle les remplit pour le même but, et peut-être même a-t-elle, plus que les gendarmes, le besoin d'être protégée, parce que son organisation n'est point aussi imposante.

C'est dans la loi du 18 pluviôse an IX, c'est daus l'analogie entre les crimes qu'elle a voulu réprimer et les nouveaux désordres qu'il faut prévenir, c'est dans l'heureux succès qu'a eu le remplacement provisoire des jurés par les tribunaux spéciaux que l'on a puisé les motifs de la loi qui vous est proposée. On avait seulement à choisir entre le mode d'organisation de ces tribunaux, réglé par la loi de l'an IX, et le mode adopté pour les tribunaux spéciaux établis par la loi du 23 floréal an X. Cette dernière organisation a dû être préférée. En effet, les tribunaux spéciaux, constitués en l'an X, ont été mis en activité dans tous les départements; au lieu que la formation des tribunaux spéciaux, créés en l'an IX, a été subordonnée au besoin qu'en aurait le Gouvernement. Or il se trouve plusieurs départements dans lesquels ils n'ont point été nécessaires, et où cependant les voies de fait exercées contre la gendarmerie rendent indispensable l'exécution de la loi proposée; il est plus convenable d'employer les tribunaux spéciaux existaut dans toute la France, que d'en établir qui n'auraient même pas, dans la répression du crime dont il s'agit, une cause permanente et suffisante d'occupation.

Il restait une mesure à prendre concernant les personnes déjà prévenues de ce crime, et contre lesquelles des procédures auraient été com

mencées.

On aurait pu, comme on l'a fait, en établissant les tribunaux spéciaux en l'an IX et en l'an X, et par plusieurs autres lois, leur renvoyer toutes ces procédures. Mais il ne s'agit point ici des crimes aussi multipliés que ceux qui ont été l'objet des précédentes lois; et on n'a point vu que l'intérêt public pùt être compromis, en exceptant du renvoi au tribunaux spéciaux cédures sur lesquelles un jury d'accus! déjà statué.

Tels sont, Messieurs, les motifs d je vais avoir l'honneur de vous don

Projet de loi.

Art. 1er. Dans les cas prévus par les art 5, 6, 8, 9 et 10 du titre 1er de la 4e secti

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En voici le texte et l'exposé des motifs.

Motifs.

Messieurs, le projet de loi que nous sommes chargés de vous présenter a pour objet d'attribuer aux cours criminelles spéciales, établies par la loi du 23 floréal an X, la connaissance du crime de rébellion contre la gendarmerie, ou contre toute force armée agissant sur la réquisition d'une autorité compétente.

Vous vous rappellerez de quels désordres une grande partie de la France était affligée dans le temps où, sous le titre de premier consul, l'Empereur prit les rênes du Gouvernement. Les vagabonds étaient sans nombre; les grandes routes étaient infestées de brigands; des vols et des violences de tout genre avaient répandu la frayeur dans les campagnes; on y voyait s'y multiplier les incendies et des assassinats prémédités par des attroupements armés.

Il n'est maintenant personne qui ne mette au nombre des bienfaits les plus signalés rendus à la France, les mesures prises par la loi du 18 pluviôse an IX, pour faire cesser des maux aussi funestes et alors aussi incalculables dans l'avenir. Des tribunaux furent établis pour connaître spécialement de ces crimes, et la forme d'y procéder fut réglée de manière que les accusés et la société eussent respectivement une garantie suffisante.

Bientôt, Messieurs, vous avez recueilli le fruit de la sagesse qui vous avait fait adopter cette loi. Les tribunaux se sont conciliés, par leur humanité autant que par leur inébranlable fermeté, l'estime et la reconnaissance publiques, en même temps qu'ils ont frappé d'épouvante les brigands les plus redoutés. On peut regarder comme presque entièrement complet le rétablissement de l'ordre public les campagnes offrent, comme dans leur ancien état, le spectacle des travaux paisibles de l'agriculture et du bonheur qui les accompagne. Mais plus à cet égard les succès du Gouvernement ont été heureux, et plus il doit s'occuper avec soin de prévenir le retour des anciens désordres. On n'a point à craindre de voir s'altérer ou se refroidir le dévouement des cours criminelles spéciales; mais en même temps on doit reconnaître que si la punition des crimes par les tribunaux est un des plus grands moyens de les prévenir, ce moyen lui-même ne peut être assuré que par le concours d'une force armée qui mette, pour atteindre les coupables, un zèle à toute épreuve. Il faut des hommes qui ne craignent point de s'exposer jour et nuit pour livrer à la justice des gens qui leur opposent toute la résistance dont sont capables des scélérats, lorsqu'ils ont à sauver leur vie.

Non-seulement cette force armée concourt aussi d'une manière essentielle à la punition des crimes, mais encore elle produit, par la seule crainte que sa vigilance inspire, l'heureux effet de disperser des bandes de brigands, et de les mettre ainsi dans l'impuissance de continuer leurs attentats.

Lorsque par cette crainte on obtient non-seulement que les plus grands crimes aient cessé de se commettre, mais encore que de nouveaux brigands ne puissent ou n'osent se former, ce moyen de tarir le mal dans sa source, sans avoir aussi souvent besoin de recourir à l'appareil terrible des échafauds, doit être regardé comme base fondamentale de la tranquillité publique.

Il n'est aucun autre moyen de la maintenir, que celui de donner aux gendarmes, dans la prévoyance de la loi et dans la protection du Gouvernement, la garantie dont ils ont besoin

pour l'exercice de leurs fonctions. Les personnes conduites ou détenues par eux sont sous la garde de la loi même; ils sont les dépositaires les plus indispensables, et conséquemment les plus sacrés de la police judiciaire, civile ou militaire. Enlever de leurs mains les personnes confiées à leur garde, est un attentat contre l'autorité publique. Employer pour ces enlèvements des armes meurtrières, assaillir les gendarmes par des coups qui leur causent la mort ou qui les y exposent, c'est un genre d'assassinat dont les conséquences sont tellement à craindre, que l'ordre social en serait ébranlé s'il restait impuni. Une telle impunité anéantirait sans retour la terreur qu'ils doivent inspirer, lors même qu'ils ne sont pas présents, ou sans qu'ils aient besoin d'employer leur force. Pour la maintenir, cette terreur salutaire, il faut que les méchants ne puissent pas être encouragés par un seul exemple de violences ou de voies de fait contre la gendarmerie, sans que les coupables en aient subi la peine.

Mais lorsque sur un grand nombre de points de l'Empire, il se trouve des gens assez audacieux et assez pervers pour attaquer les gendarmes dans leurs fonctions, lorsqu'il est constant que plusieurs ont été tués, que d'autres ont été blessés plus ou moins grièvement, lorsqu'en même temps les coupables reconnus et dénoncés par eux à la justice n'ont point été condamnés, il n'est personne qui ne soit effrayé d'un désordre dont les progrès seraient aussi rapides que funestes; il n'est personne qui ne reconnaisse qu'en laissant dépérir ou s'affaiblir la force qui seule peut s'opposer aux méchants, et les mettre sous la main de la loi, c'est leur livrer la société entière; le Gouvernement s'est ainsi vu dans la nécessité de rechercher la cause d'un aussi grand mal, et le remède que l'on doit y porter.

On a observé que le crime de rébellion contre la gendarmerie est de la nature de ceux dont la connaissance a été attribuée, par la loi du 18 pluviose an IX, à des tribunaux spéciaux. C'est dans les campagnes, c'est sur les routes publiques, que cette foi a voulu rétablir la sûreté ; c'est là que les scélérats out plus de facilité à commettre leurs crimes, c'est aussi là qu'ils ont plus d'audace, parce que les témoins y sont moins nombreux, parce que ces témoins sont plus faciles à intimider par la crainte des vengeances, ou enfin parce qu'ils trouvent dans le pays où ils ont leurs habitudes des parents ou d'autres appuis. Les moyens qu'ils avaient d'écarter les témoins étaient employés par eux avec autant de succès à l'égard des jurés; et le nombre toujours croissant des crimes et des procédures terminées sans condamnations n'offrait qu'un spectacle scandaleux, el devenait pour les scélérats une sorte d'encouragement. L'institution des jurés a été suspendue à l'égard de ces crimes, et la connaissance en a été attribuée à des juges revêtus d'une dignité imposante, et qui d'ailleurs sont au-dessus de toute crainte, soit par leur habitation dans les villes, soit par la fermeté qui doit constituer le caractère du magistrat. Cette forme de procéder a fait cesser le désordre. On ne saurait, après de semblables résultats, élever des doutes ni sur la cause du mal, ni sur le remède.

Il est également évident que tout ce qui vien d'être dit des crimes réprimés au moyen de la loi du 18 pluviose an IX s'applique aux violences et aux voies de fait contre là gendarmerie. C'est aussi dans les campagnes, c'est sur les routes publiques qu'elle fait son service le plus ordinaire, c'est là qu'elle ne peut compter sur au

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