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que cette mesure ne servit qu'à perpétuer leur usage. Il ne fut aboli que sous le règne de Constantin. Ce sont autant de subtilités fatigantes, et dont le droit romain fourmille.

L'autorité des premiers magistrats et l'organisation des tribunaux furent aussi des obstacles à ce que la marche de la justice, relativement aux contrats, devint uniforme. Le juge qui interprétait les conventions suppléait à la loi, et cette prérogative ne pouvait, dans la constitution roinaine, appartenir qu'au premier magistrat. Ce fut une de ces causes qui fit, en l'an 387, créer un préteur pour le charger du département de la justice, exercée jusqu'alors par les consuls. Il était obligé de se conformer aux lois; mais dans tout ce qu'elles n'avaient pas réglé, il avait un pouvoir absolu. Il exerçait sa juridiction soit en rendant seul, ou avec des assesseurs, ses jugements sous le nom de décrets, soit en renvoyant les parties devant les juges qui, dans certains cas, étaient tenus de se conformer aux formules qu'il prescrivait, et alors les actions étaient appelées stricti juris, et qui, dans d'autres cas, pouvaient juger suivant l'équité; c'étaient les actions dites bono fidei.

«Chaque préteur faisait, à son entrée en charge, afficher l'édit par lequel il déclarait la manière dont il rendait la justice. Sous le règne et par les ordres d'Adrien, le jurisconsulte Julien fit de tous ces édits l'extrait dont fut composé celui qui, sous le nom d'édit perpétuel, servit de règle.

« Cette autorité des préteurs, égale à l'autorité de la loi dans tout ce qui n'y était pas réglé, le renouvellement annuel de ces magistrats, la différence dans leurs lumières et dans leurs principes, avaient été autant de causes qui s'étaient opposées à ce que les décisions fussent uniformes. Ainsi les lois romaines, relatives aux contrats, nous sont parvenues embarrassées de formules et de distinctions sans nombre. Les simples pactes, les stipulations, les contrats, y forment autant de classes séparées. Les obligations sont ou civiles ou prétoriennes les obligations prétoriennes se subdivisent encore.

"

« Les causes qui ont introduit à Rome et qui y ont maintenu ces formules et ces distinctions, n'existant point en France, les contrats n'ont été considérés dans ce dernier pays que sous les rapports qui naissent de leur nature, et dès lors on à pu les diviser en un petit nombre de classes. « Les parties s'obligent mutuellement, et alors le contrat est synallagmatique ou bilatéral,

a

« Si entre les contractants il n'y a d'engagement que d'un côté, il est unilatéral.

«Si l'engagement de l'un est regardé comme l'équivalent de l'engagement de l'autre, le contrat est commutatif.

« Il est aléatoire si l'équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte.

«Le contrat est de bienfaisance si l'une des parties procure à l'autre un avantage gratuit.

«Il est à titre onéreux si chacune des parties est assujettie à donner ou à faire quelque chose. « Cette division, facile à saisir et qui renferme tous les genres de contrats, était nécessaire à placer à la tête de ce titre, pour faire connaître que le Code rejette ou regarde comme inutiles toutes les autres distinctions et divisions établies par les lois romaines; c'est à la fois un point de doctrine et de législation.

Conditions pour la validité des obligations. Après avoir ainsi distingué les divers genres de contrats. les premières règles à établir sont

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celles qui fixent les conditions essentielles pour leur validité. Ces règles, comme toutes celles qui concernent les conventions, ont été prises dans la nature même des choses, c'est-à-dire dans l'inspiration de l'équité, si on peut s'exprimer ainsi.

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L'équité ne peut reconnaître comme obligatoire une convention, si la partie qui s'engage n'y a pas consenti, si elle est incapable de contracter, s'il n'y a pas un objet certain qui forme la matière de l'engagement, si cet engagement n'a pas une cause, et si cette cause n'est pas licite. Du consentement.

« Le consentement n'est pas valable s'il n'a été donné que par erreur; il ne doit pas l'être davantage s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

« Pour que l'erreur soit une cause de nullité de la convention, il faut qu'elle tombe, non sur une qualité accidentelle, mais sur la substance même de la chose qui en est l'objet Il faut, s'il y a erreur sur la personne, que la considération de cette personne ait été la cause principale de la convention en un mot, il faut que le juge puisse être convaincu que la partie ne se serait point obligée si elle n'avait pas été dans cette erreur.

«C'est en suivant cette règle que l'on doit décider, avec Barbeyrac et Pothier, que l'erreur dans les motifs d'une convention n'est une cause de nullité que dans le cas où la vérité de ces motifs peut être regardée comme une condition dont il soit clair que les parties ont voulu faire dépendre leur engagement.

« Celui qui consent doit être libre; il n'y a point de liberté pour celui qui est forcé d'agir, soit par la violence de la personne même avec laquelle il contracte, soit par la violence d'une tierce personne.

«La violence qui prive de la liberté de contracter est caractérisée par la loi romaine, metus non vani hominis, sed qui in homine constantissimo cadat, metus majoris malitatis, metus présens, metus in se aut in liberis suis. Ley. V, VI, VIII, IX. ff. quod metus causa.

« Ces expressions in homine constantissimo ont été rendues dans leur véritable sens, en déclarant qu'il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et en donnant aux juges, pour l'instruction, qu'ils doivent avoir égard à l'âge, au sexe et à la condition des personnes.

«Il faut, comme dans la loi romaine, que ce soit une violence qui puisse inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.

«La loi romaine n'avait égard qu'à la crainte du père pour ses enfants; la crainte des enfants pour leurs ascendants, et des époux l'un pour l'autre, est aussi un sentiment trop vif pour qu'on puisse le présumer compatible avec une liberté suffisante.

«Mais ce serait en quelque sorte interdire les contrats entre les ascendants et les descendants, si la seule crainte réverentielle des descendants envers les ascendants était une cause suffisante de nullité.

«Le dol se compose de toutes les espèces d'artifices qui sont employés pour tromper: Labeo definit dolum, omnem calliditatem, fallaciam, machinationem, ad circumveniendum, fallendum, decipiendum, alterum, adhibitam. L. 1, §. II, ff. de dolo. Celui qui a ainsi extorqué le consentement ne doit pas en profiter; mais il faut que les manoeuvres pratiquées par l'une des parties soient telles, qu'i y ait évidence que sans ces manœuvres l'autrl partie n'eût pas contracté.

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[Disc. du projet de Code civil.]

Quoique dans le consentement il y ait eu erreur, violence ou dol, il n'en est pas moins vrai le contrat existe avec un consentement appaque rent, et que dès lors ce contrat conserve la même force que s'il était légitime, jusqu'à ce que ces exceptions aient été prouvées par celui qui les oppose. Ainsi le contrat n'est pas nul de plein droit; il faut que l'acte soit rescindé, c'est-à-dire déclaré nul par le juge.

« Il résulte de la nécessité du consentement de la personne qui s'oblige, que nul ne peut sans un pouvoir exprès en obliger un autre, et que celui auquel on aurait promis le fait d'un tiers n'aurait qu'une action en indemnité contre la personne ayant donné cette promesse, si le tiers refusait d'y accéder.

« Mais celui qui consent à s'engager peut contracter l'obligation non-seulement envers l'autre partie, mais encore envers une tierce personne. Il suffit que ce soit la condition d'une stipulation que l'un des contractants fait pour lui-même; telle est l'obligation contractée au profit d'un tiers par une donation alors l'équité ne permet point que la personne ainsi obligée ne remplisse pas la condition de son contrat.

« Si la tierce personne a déclaré qu'elle entend profiter de la stipulation, l'engagement devient réciproque, et dès lors il ne peut plus être révoqué.

De la capacité des parties contractantes.

« Ce serait en vain qu'une personne aurait donné son consentement à un contrat, si elle n'avait pas la capacité de s'obliger.

« La règle générale à cet égard est que toute personne à qui la loi ne l'interdit pas est capable de contracter.

"Les causes d'incapacité sont ou dans la présomption que ceux qui contractent n'ont pas un discernement suffisant,ou dans des considérations d'ordre public.

« Ainsi les mineurs sont regardés, à cause de la faiblesse de leur raison et à cause de leur inexpérience, comme incapables de connaître l'étendue de leurs engagements on peut contracter avec eux; mais s'ils sont lésés, on est censé avoir abusé de leur âge. Leur capacité cesse pour tout acte qui leur est préjudiciable.

L'incapacité du mineur n'étant relative qu'à son intérêt, on n'a pas cru nécessaire d'employer la distinction entre les mineurs impubères et ceux qui ont passé l'âge de la puberté.

« C'est à raison du mariage que l'âge de la puberté a été fixé. Suivant la loi romaine, l'homme était regardé comme impubère jusqu'à l'âge de quatorze ans accomplis, et les filles jusqu'à douze. On distinguait même cette puberté, qui suffisait pour rendre le mariage licite, de la pleine puberté qui le rendait plus conforme à l'honnêteté publique, et qui était pour les hommes de dix-huit ans accomplis et pour les femmes de quatorze. Le mariage n'est pas permis en France aux hommes avant dix-huit ans révolus, aux femmes avant quinze.

«Malgré l'incertitude du cours de la nature, il fallait pour le mariage une règle fixe; mais est-il nécessaire, est-il même convenable que cette incapacité résultant de l'âge soit appliquée d'une manière absolue aux obligations?

« La loi elle-mème reconnaît qu'un mineur peut, avant l'âge de dix-huit ans révolus, avoir un discernement suffisant pour contracter tous les engagements que comportent l'administration de sa fortune et là libre disposition de ses reve

nus, puisqu'elle autorise l'émancipation du mi-
neur qui a perdu ses père et mère lorsqu'il est
parvenu à cet âge, et puisqu'il peut même être
émancipé par son père, ou, au défaut du père,
par sa mère, quoiqu'il n'ait encore que quinze
ans révolus.

« La loi présume aussi dans le mineur âgé de
seize ans assez d'intelligence pour disposer par
testament de la moitié des biens dont peuvent
disposer les majeurs.

« Il faudrait donc, si l'on voulait prononcer, à raison de l'âge, une incapacité absolue de contracter, il faudrait fixer une époque de la vie; et comment discerner celle où on devrait présumer un défaut total d'intelligence? Ne faudrait-il point distinguer les classes de la société où il y a moins d'instruction? Le résultat d'une opération aussi compliquée et aussi arbitraire ne serait-elle pas de compromettre l'intérêt des impubères, au lieu de le protéger? Dans leur qualité de mineurs, la moindre lésion suffit pour qu'ils se fassent restituer ils n'ont pas besoin de recevoir de la loi d'autres secours, et, dans aucun cas, des gens capables de contracter ne doivent être admis à faire prononcer la nullité d'un acte qui serait avantageux à des mineurs, même impuberes.

Supposera-t-on qu'une personne ayant la capacité de s'obliger, contracte avec un enfant qui n'ait point encore l'usage de la raison, lorsqu'elle ne pourra en tirer aucun avantage? On n'a point à prévoir dans la loi ce qui est contre l'ordre naturel, et presque sans exemple.

« La loi n'admettant l'interdiction que pour cause de démence, il est évident que les interdits sont incapables de s'obliger.

« Au nombre des droits et des devoirs respectifs des époux se trouve l'inhibition à la femme, à celle même qui est non commune ou séparée de biens, de donner, d'aliéner, d'hypothéquer ou d'acquérir, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, sans le concours du mari dans l'acte, ou sans son consentement par écrit, et, en cas de refus du mari sans l'autorisation de la justice. Cette incapacité civile ne s'étend point au delà de ce qui est exprimé par la loi.

«Enfin, on a compris dans une expression générale l'incapacité de tous ceux auxquels la loi înterdit certains contrats; tels sont ceux qui peuvent être défendus aux administrateurs des communes, des hospices, etc. C'est l'objet de lois particulières, susceptibles de variations, et qui, par ce motif, ne doivent point faire partie du Code civil.

« Au surplus, l'incapacité du mineur, de l'interdit et de la femme mariée, n'a été prononcée que pour protéger et conserver leurs droits : elle ne peut pas leur être opposée par les personnes qui se sont obligées envers eux.

De l'objet et de la matière des contrats. <«< Il ne peut y avoir d'obligation sans qu'une chose ou un fait en soit l'objet et la matière.

« Si c'est une chose, elle doit être dans le commerce.

« Il faut aussi qu'il soit possible de la distinguer, et pour cela il suffit qu'elle soit au moins déterminée quant à son espèce, et que sa quotité puisse, d'après l'obligation, être fixée. Un meuble, en général, ne pourrait être l'objet d'une obligation, lorsqu'on ne pourrait savoir quelle en est l'espèce; il en serait de même si l'obligation avait pour objet du blé ou du vin, sans que l'intention des parties sur la quantité pût étre

connue.

« Mais si on vend un cheval, l'objet est déterminé quant à l'espèce et quant à la quantité: il est vrai que ce n'est encore qu'un être intellectuel; le créancier ne peut demander que d'une manière indéterminée la chose vendue, et le débiteur a le choix parmi toutes celles du même genre, pourvu qu'elles soient loyales et marchandes.

«Les choses qui n'existent point encore peuvent être l'objet de l'obligation, qui alors dépend de la condition de leur future existence. Il faut seulement excepter les conventions incompatibles avec l'honnêteté publique; telle serait la renonciation à une succession non ouverte, ou toute autre stipulation sur une pareille succession. Le consentement de celui sur la fortune duquel on stipulerait ne couvrirait pas un pareil vice.

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Il faut encore excepter les ventes sur lesquelles il y a des règlements de police rurale.

« Quant aux faits qui peuvent être l'objet d'une obligation, il faut qu'ils soient possibles, qu'ils puissent être déterminés, et que les personnes envers qui l'obligation est contractée aient, à ce que les faits s'accomplissent, un intérêt appréciable.

De la cause.

« Il n'y a point d'obligation sans cause: elle est dans l'intérêt réciproque des parties ou dans la bienfaisance de l'une d'elles.

On ne peut pas présumer qu'une obligation soit sans cause parce qu'elle n'y est pas exprimée. Ainsi lorsque par un billet, une personne déclare qu'elle doit, elle reconnaît par cela même qu'il y à une causé légitime de la dette, quoique cette cause ne soit pas énoncée. Mais là cause que l'acte exprime ou fait présumer peut ne pas exister ou être fausse; et si ce fait est constaté par des preuves que la loi autorise, l'équité ne permet pas que l'engagement subsiste.

Toute obligation doit être proscrite, si elle a été contractée malgré la défense de la loi, ou si elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public.

De l'effet des obligations.

Après avoir rassemblé les éléments nécessaires pour former une obligation valable, le consentement des parties, leur capacité, une chose ou un fait qui soit l'objet de la matière de l'engagement, une cause légitime, on a eu à règler quels sont les effets des obligations.

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C'est ici que se présente d'abord le principe qui sert de base à cette partie du Code civil, et qui s'y trouve exprimé en des termes clairs et simples. Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

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Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement, ou pour les causes autorisées par la loi.

« Elles doivent être contractées et exécutées de bonne foi.

« Elles obligent non-seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.

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Il n'est aucune espèce d'obligation, soit de donner, soit de faire où de ne pas faire, qui ne repose sur ces règles fondamentales: c'est à ces règles qu'on a recours pour les interpréter, pour les exécuter, pour en déterminer tous les effets. De l'obligation de donner.

« L'obligation de donner emporte celle de li

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vrer la chose, et de la conserver jusqu'à la livraison.

« Les soins que le débiteur doit apporter à la conservation de la chose sont plus ou moins rigoureusement exigés, suivant la nature des contrats.

« Les Romains avaient cru pouvoir distinguer les différents degrés de fautes qui se commettent dans l'exécution des conventions. La faute la plus grave était nommé lata culpa et dolo proxima. Ils distinguaient les autres fautes sous ces noms, culpȧ levis, culpa levissima. Dans les contrats qui ne concernaient que l'utilité des créanciers, tels que le dépôt, le dépositaire était seulement tenu lata culpa si le contrat, tel que la vente, avait été formé pour l'utilité des deux parties, le vendeur était tenu levi culpá: si, comme dans le prêt, l'avantage du débiteur avait été seul considéré, il était tenu culpa levissima.

« Cette division des fautes est plus ingénieuse qu'utile dans la pratique : il n'en faut pas moins sur chaque faute vérifier si l'obligation du débiteur est plus ou moins stricte; quel est l'intérêt des parties; comment elles ont entendu s'obliger; quelles sont les circonstances. Lorsque la conscience du juge a été ainsi éclairée, il n'a pas besoin de règles générales pour prononcer suivant l'équité. La théorie dans laquelle on divise les fautes en plusieurs classes, sans pouvoir les déterminer, ne peut que répandre une fausse lueur et devenir la matière de contestations plus nombreuses. L'équité elle-même répugne à des idées subtiles. On ne la reconnait qu'à cette simplicité qui frappe à la fois l'esprit et le cœur.

« C'est ainsi qu'on a décidé que celui qui est obligé de veiller à la conservation d'une chose, doit apporter tous les soins d'un bon père de famille, soit que la convention n'ait pour objet que l'utilité d'une des parties, soit qu'elle ait pour objet leur utilité commune, mais que cette obligation est plus ou moins étendue à l'égard de certains contrats, dont les effets sont expliqués sous les titres qui les concernent.

« C'est le consentement des contractants qui rend parfaite l'obligation de livrer la chose. Il n'est donc pas besoin de tradition réelle pour que le créancier doive être considéré comme propriétaire aussitôt que l'instant où la livraison doit se faire est arrivé. Ce n'est plus alors un simple droit à la chose qu'a le créancier, c'est un droit de propriété, jus in re· si donc elle périt par force majeure ou par cas fortuit depuis l'époque où elle a dû être livrée, la perte est pour le créancier, suivant la règle res perit domino.

«Mais si le débiteur manque à son engagement, la juste peine est que la chose qu'il n'a pas livrée au terme convenu reste à ses risques. Il faut seulement qu'il soit certain que le débiteur est en faute de ne pas l'avoir livrée; il faut qu'il ait été constitué en demeure.

Lorsqu'à l'époque convenue pour la livraison le créancier reste dans l'inaction, lorsqu'il ne fait pas au débiteur, pour le provoquer au paiement, une sommation ou un autre acte équivalent, on présume qu'il n'avait pas été dans son intention d'exiger cette livraison au terme; il est considéré comme ayant suivi la foi du débiteur, et la chose doit rester aux risques de ce créancier.

« Il avait été établi par la jurisprudence que cette présomption ne doit pas cesser dans le cas même où la convention porte non-seulement le terme de la livraison, mais encore que, sans qu'il soit besoin d'acte, et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure. Le créancier qui,

dans ce cas, ne remplit à l'échéance aucune formalité pour constituer en demeure celui qui doit, ne fait que se conformer à sa convention. On ne peut donc pas présumer qu'il y ait renoncé. Cette convention doit donc être exécutée.

"Les effets de l'obligation de donner ou livrer un immeuble sont réglés aux titres du contrat de vente et des priviléges et hypothèques.

"A l'égard des choses mobilières, quoique respectivement aux parties, le transport de la propriété s'opère à l'époque où la livraison doit se faire; cependant on a dù considérer l'intérêt d'un tiers dont le titre serait postérieur en date, mais qui, ayant acquis de bonne foi, aurait été mis en possession réelle. La bonne foi de cet acquéreur, la nécessité de maintenir la circulation libre des objets mobiliers, la difficulté de les suivre et de les reconnaître dans la main de tierces personnes, ont dû faire donner la préférence à celui qui est en possession, quoiqu'il y ait un titre antérieur au sien.

Il ne faut pas perdre de vue que ces règles du Code civil ne dérogent point à celles du commerce.

"

Obligation de faire ou de ne pas faire.

L'obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur.

Le motif est que nul ne peut être contraint dans sa personne à faire ou à ne pas faire une chose, et que, si cela était possible, ce serait une violence qui ne peut pas être un mode d'exécution des contrats.

« Mais si ce qui a été fait en contravention de l'engagement est susceptible d'être détruit, et si on peut faire faire par un tiers ce que le débiteur aurait dû faire lui-même, il suffit que ce soient des moyens possibles d'exécution de l'engagement pour qu'il soit juste de les autoriser, et le débiteur devra, outre la dépense, les dommages et intérêts qui pourront avoir lieu.

« Les dommages et intérêts peuvent être dus non-seulement à raison de l'inexécution, mais encore à raison du simple retard. Il faut, dans ce dernier cas, que le débiteur soit en demeure, et il y est constitué non-seulement par une sommation, par un acte équivalent ou par une stipulation formelle, mais encore par l'objet de l'obligation, lorsque la chose que le débiteur devait faire ne pourrait l'être utilement que dans un certain temps qu'il a laissé passer. On ne saurait douter que le débiteur ne soit en faute, lorsque le fait n'a pas été accompli en temps utile.

Règlement des dommages et intérêts.

« On entend par ces expressions, dommages et intérêts, la perte que le créancier a faite, et le gain dont il a été privé par l'inexécution de l'obligation; ils ne doivent pas en excéder les bornes.

« De là plusieurs conséquences.

« Les dommages et intérêts ne doivent pas s'étendre au delà de ce qui a été prévu ou de ce qu'on a pu prévoir lors du contrat.

« Si néanmoins le débiteur s'était rendu coupable de dol en manquant à son obligation, il devrait indemniser non-seulement à raison de ce qu'on eût prévu ou pu prévoir en contractant, mais encore à raison des conséquences particulières que le dol peut avoir entraînées. Le dol établit contre celui qui le commet une nouvelle obligation différente de celle qui résulte du contrat; cette nouvelle obligation n'est remplie qu'en réparant tout le tort que le dol a causé.

Mais dans ce cas-là même les dommages et

intérêts n'en ont pas moins leur cause dans l'inexécution de la convention; il ne serait donc pas juste de les étendre à des pertes ou à des gains qui ne seraient pas une suite immédiate et directe de cette inexécution. Ainsi on ne doit avoir égard qu'au dommage souffert par rapport à la chose ou au fait qui était l'objet de l'obligation, et non à ceux que l'inexécution de cette obligation aurait d'ailleurs occasionnés au créancier dans ses autres affaires ou dans ses autres biens.

« Ces règles suffisent pour guider le juge: il y eût eu de l'inconvénient à dire que les dommages et intérêts doivent, lorsqu'il n'y a point de dol, être taxés avec modération. La modération est un des caractères de l'équité; mais lorsqu'il est réellement dû des dommages et intérêts au créancier, il ne fallait pas que, contre l'équité, on pût induire de la loi que sa cause est défavorable.

« On a prévu le cas où la somme à payer à titre de dommages et intérêts, en cas d'inexécution, aurait été fixée par la convention même. On avait d'abord craint que cette fixation ne fût pas toujours équitable; on avait craint trop de rigueur de la part du créancier, trop de facilité ou d'imprudence de la part du débiteur, qui, ne prévoyant point d'obstacles à l'exécution de sa convention, n'aurait pas imaginé qu'il eût sérieusement à craindre de payer la somme à laquelle il se serait soumis.Il avait paru prudent de faire intervenir le juge pour réduire la somme qui excéderait évidemment le dommage effectif.

<< Mais cette évidence, comment la caractériser? Il faut supposer des conventions déraisonnables. Si on eût donné aux juges le droit de réduire la somme convenue, il eut aussi fallu leur donner celui de l'augmenter en cas d'insuffisance. Ce serait troubler la foi due aux contrats. La loi est faite pour les cas ordinaires, et ce n'est pas pour quelques exceptions que l'on devrait ici déroger à cette règle fondamentale, que les conventions sont la loi des parties.

« Il est néanmoins un cas où la loi générale a pu fixer les dommages et intérêts, et les parties sont obligées de s'y conformer; c'est lorsque l'obligation a pour objet le paiement d'une somme. Dans ce cas on présume toujours que la perte essuyée par le créancier, et le bénéfice dont il est privé sont compensés par les intérêts tels que les tribunaux les adjugent conformément à la loi.

« Il suffit que le capital n'ait pas été payé, pour que le créancier soit privé de ses intérêts: c'est une perte évidente, il n'a point à la justifier.

« Les intérêts ne sont dus que du jour de la demande, si ce n'est dans les cas où la loi les fait courir de plein droit si néanmoins il a été convenu qu'à défaut de paiement à l'échéance le débiteur devrait les intérêts, celui-ci sera tenu, par la force de la convention, de les payer.

« On ne peut nier que la faculté de stipuler l'intérêt ne soit par elle-même juste et avantageuse à la société. On a seulement à craindre l'abus que l'on peut faire de cette faculté.

« A Rome, l'intérêt, sous le nom de foenus ou usura, fut toujours permis: on chercha seulement à en réprimer l'excès par des lois qui en fixaient le taux.

« En France, une interprétation trop rigoureuse de textes religieux, et une fausse conséquence de ce que les métaux ne peuvent par eux-même produire aucuns fruits naturels, avaient conduit à une autre extrémité le créancier ne pouvait stipuler l'intérêt d'une somme, à moins qu'il no renoncât à exiger son capital; et pourvu que sa sûreté lui fût conservée, il ne devait être rem

boursé que quand il plaisait au débiteur. Il est vrai que cette doctrine n'avait pas été appliquée au commerce, et qu'elle avait pu y faire refluer des capitaux. Mais elle nuisait à la circulation générale; on ne pouvait, par aucun motif d'ordre social, la légitimer le nombre toujours croissant des transactions de tout genre avait rendu, malgré les lois, le prêt à intérêt d'un usage général, et ces lois n'avaient d'effet que de rendre le débiteur victime de la prohibition, en lui faisant payer un intérêt plus fort. Ainsi, loin de préserver la société des usures excessives, elles en étaient devenues le prétexte.

"

« Il était d'ailleurs facile d'éluder l'autorité du juge en confondant dans le titre le principal et l'intérêt.

« Il y avait même en France, à cet égard, diversité de jurisprudence.

« Le prêt à intérêt avait été autorisé dans le ressort de quelques parlements.

« Dans tous il était permis en certain cas de stipuler l'intérêt; ainsi on pouvait en tirer des sommes qui étaient considérées comme représentatives de fruits telles étaient les sommes dues pour aliénation d'immeubles, pour revenus. On pouvait aussi stipuler les intérêts au profit des mineurs.

«Dans d'autres cas l'intérêt des sommes dues courait de plein droit, quoiqu'elles ne fussent pas représentatives des fruits; tels étaient l'intérêt des sommes dues aux femmes ou à leurs béritiers pour leurs dots et leurs droits nuptiaux, aux cohéritiers pour les légitimes, pour les rapports, pour les soultes de partage, etc.

« Il était d'ailleurs bizarre que l'intérêt de l'argent fût, dans le cas de retard de paiement, considéré comme des dommages et intérêts, et que cette indemnité ne dût avoir lieu que par jugement, sans que les parties pussent éviter ces frais par une convention.

«On demande encore pourquoi, lorsque le débiteur avait laissé accumuler des intérêts, il n'était pas regardé comme faisant au créancier, par le défaut de paiement, un tort également susceptible d'être réparé par une indemnité, comme il y était condamné pour le retard dans le paiement des sommes principales.

« Ces règles, quelque diverses et incohérentes qu'elles soient, offrent cependant un résultat ; C'est que l'intérêt de l'argent était même considéré comme une chose en soi légitime, puisqu'en cas de retard de paiement les tribunaux ne pouvaient pas se dispenser de l'adjuger, puisque dans plusieurs cas on pouvait le stipuler, et que dans d'autres il courait de plein droit.

« Ces motifs, qui déterminérent en 1789 l'Assemblée constituante à autoriser la stipulation d'intérêt, ont aussi dù faire consacrer cette règle dans le Code civil.

« Il n'en est point qui ne soit susceptible d'abus; mais les mesures qui pourraient être prises, soit pour fixer l'intérêt, soit pour réprimer l'usure, sont susceptibles de varier, et dès lors elles ne peuvent ni ne doivent trouver place dans le Code.

« On a regardé comme une conséquence de la faculté généralement accordée de stipuler les intérêts, la faculté de les stipuler ou le droit de les demander en justice, même pour les sommes provenant d'intérêts échus; mais en même temps on a prévenu l'abus dont se rendent coupables les usuriers par des accumulations trop fréquentes des intérêts avec les capitaux, pour faire produire aux sommes provenant de ces intérêts de nouveaux intérêts. On a statué que les intérêts échus

des capitaux ne pourraient en produire, soit par convention, soit en justice, à moins qu'il ne fut question d'intérêts dus au moins pour une année entière.

« Les revenus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, et les fruits à restituer, ne doivent point être assimilés aux intérêts ordinaires des capitaux. Ces revenus peuvent produire intérêt du jour de la demande, quoiqu'ils ne soient pas dus pour une année entière il suffit qu'ils soient échus.

« Quant aux intérêts payés par un tiers en acquit du débiteur, la somme ainsi payée ne peut être considérée relativement à ce tiers que comme un capital qui peut par demande ou par convention produire intérêt.

De l'interprétation des conventions.

« La convention sert de loi aux parties; il faut donc, pour interpréter cette loi, rechercher quelle a été l'intention de ceux qui l'ont faite.

qu'ils

. Si elle est mal rendue par les termes qu'ils ont employés, il faut plutôt considérer la volonté que le sens littéral des expressions grammaticales In conventionibus contrahentium voluntatem potius quam verba spectari placuit. L. 219. ff. de verb. signif.

«Si la clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun. Quoties in stipulationibus consuetudinis, ambigua oratio est, commodissimum est id accipi quo res de quá agitur in tuto sit. L. 80. ff. de verb. oblig.

« Si les termes sont susceptibles de deux sens, ils doivent être pris dans le sens qui convient le mieux à la matière du contrat.

« Ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé.

«Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.

« Semper in stipulationibus et in cæteris contractibus id sequimur quod actum est, aut si non appareat quod actum est, erit consequens ut id sequamur quod in regione in quá actum est frequentatur. L. 219. ff. de reg. jur.

« On doit suppléer dans le contrat les clauses qui sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas exprimées. In contractibus tacite veniunt ea quæ sunt moris et consuetudinis. Leg.

«Dans le doute la convention s'interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation. In stipulationibus cum quæritur quid actum sit, verba contra stipulatorem interpretanda sunt. L. 38, § 18, ff. de verb. obligat.

« Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposé de contracter. Iniquum est perimi pacto id de quo cogitatum non docetur. L. 9, ff. de trans.

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Lorsque dans un contrat on a exprimé un cas pour l'explication de l'obligation, on n'est pas censé avoir voulu par là restreindre l'étendue que l'engagement reçoit de droit aux cas non exprimés. Quae dubitationis tollendæ causa contractibus inseruntur, jus commune non lædunt. L. 81, ff. de reg. jur.

« Ces axiomes doivent être invariables comme l'équité qui les a dictés. Ils furent à la fois l'ornement et le fondement de la législation romaine : ils ont dû être consignés dans le Code civil.

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