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déclarer, et ont, selon nous, démontré que l'innovation contenue au projet de Code, loin d'être utile, était dangereuse; loin d'être provoquée par l'opinion comme un bienfait, était repoussée par elle comme une calamité.

"Aucun autre titre du Code n'a éprouvé d'aussi nombreuses, d'aussi violentes contradictions.

« Et ces tribunaux réclamants, qui tous siégent dans les villes les plus peuplées, les plus industrieuses de la République, et où les transactions sont le plus multipliées, ne se sont point contentés d'attaquer en détail quelques parties du système présenté par le projet; c'est contre le système même, c'est contre cette théorie incomplète et désastreuse de 1771, c'est contre la résurrection du régime universellement abhorré, solennellement proscrit, des saisies réelles, que, de tous les points du territoire français, ces tribunaux se sont élevés avec un concert d'autant plus imposant, qu'aucune réunion n'avait pu le provoquer et l'effectuer.

« Et ce ne sont pas seulement quelques tribunaux dont on pourrait dire, comme de ceux de Bruxelles et de Douai, que des habitudes anciennes ont pu commander l'opinion, qui ont demandé la conservation du régime consacré par la loi de brumaire an VII; ce sont aussi des tribunaux que des habitudes devaient, au contraire, environner de préjugés opposés; des tribunaux dont les membres, dont les justiciables, avaient été élevés dans les principes consacrés par l'édit de 1771 et par celui des criées; ce sont les tribunaux de Paris, de Caen, de Rouen; c'est celui de Lyon, de Grenoble, de Poitiers; c'est celui de Montpellier, enfin c'est celui de Cassation, qui tous se réunissent pour demander la conservation du régime hypothécaire actuel; qui se réunissent pour l'affirmer, comme juges, et d'après leur actuelle expérience, que le principe de la publicité et de la spécialité des hypothèques est essentiellement conservateur de la propriété, créateur du crédit public et du crédit particulier, régénérateur de la bonne foi et des mœurs; ce sont ces mêmes tribunaux qui signalent comme le plus cruel ennemi de la propriété, du crédit et de la bonne foi, le principe de l'hypothèque clandestine et générale qui se trouve présenté dans le projet de Code.

« Une improbation aussi solennellement manifestée aurait seule, et abstraction faite de toute autre considération, imposé à la section le devoir d'examiner avec le plus grand soin les motifs d'une innovation qui inspirait autant de craintes; mais elle y était également obligée par la solennelle et longue discussion qui, pendant quatre années entières, occupant quatre législateurs, avait enfin donné à la France le système si simple, si facile, si complet, que renferment et développent les trente-six articles de la loi de brumaire an VII, que le projet veut abroger.

« Cet examen sévère lui était encore commandé par la seule existence de la loi, et par ce sentiment conservateur qui, après tant de secousses, de bouleversements, après les malheurs enfantés par la versatilité qui a flétri notre législation, doit animer l'ami du repos, surtout lorsqu'il s'agit d'innover dans une partie de législation qui régit tous les biens, qui est la base de tous les contrats, qui touche à tous les intérêts.

«La section s'est donc occupée, avant tout, de savoir si le système actuel serait conservé, ou si l'innovation présentée par le projet de Code serait adoptée.

Après plusieurs délibérations, les voix ont été comptées.

« Huit membres assistaient à la délibération. « Quatre d'entre eux ont opiné pour la conservation du système actuel, modifié dans quelques détails.

«Deux autres ont voté pour le projet; deux autres ont d'abord déclaré n'avoir point d'avis, et leur voix a cependant été comptée au nombre de celles qui votaient pour le projet.

C'est de cette manière qu'il s'est établi un partage dans la commission.

Il a été résolu que les deux projets seraient présentés au Conseil; le citoyen Bigot-Préameneu a été chargé de présenter les motifs qui déterminent les membres de la commission qui ont voté pour l'innovation que renferme le projet de Code.

« Je suis chargé de vous présenter les motifs qui ont déterminé les quatre membres de la commission à voter pour la conservation du système actuel modifié.

«Il n'y a qu'une opinion sur la nécessité d'un régime hypothécaire, d'un régime qui régisse particulièrement, qui protége spécialement, efficacement, les traités qui ont les immeubles pour objet. Dans les matières civiles, disent les rédacteurs du Code, où l'on suit plutôt les biens que la personne, il faut des lois hypothécaires; c'est-à-dire il faut des lois qui puissent donner sur les biens toutes les sûretés que l'on cherche.

"Nous ajouterons, avec les tribunaux qui ont traité cette question, et en empruntant les expressions du tribunal de Rouen, que la matière des hypothèques est, sans contredit, la plus importante de toutes celles qui doivent entrer dans la composition d'un Code civil. Elle intéresse la fortune mobilière et immobilière de tous les citoyens; elle est celle à laquelle toutes les transactions sociales se rattachent.

<«< Suivant la manière dont elle sera traitée, elle donnera la vie et le mouvement au crédit public et particulier, ou elle en sera le tombeau.

La France est agricole autant que commerçante; les capitaux sont aussi nécessaires à l'agriculture qu'au commerce; et la législation doit être telle que les capitaux puissent facilement arriver à cette double source de la prospérité nationale.

L'espoir de plus grands bénéfices promptement réalisés, des voies de contrainte plus rigoureuses, la rapidité des mouvements dans les fonds, la courte durée du prêt, la prompte rentrée des fonds, l'impossibilité où se trouve l'emprunteur de manquer à son engagement sans se déshonorer et s'exposer aux derniers malheurs, sont autant d'appâts qui attireront toujours au commerce un très-grand nombre de capitaux.

« Et bientôt illes absorberait tous au détriment de l'agriculture et des autres besoins de la société, si, dans les prêts hypothécaires et dans les autres transactions qui ont pour objet ou moyens les immeubles, l'intériorité des bénéfices n'était compensée par la facilité et la solidité du placement.

« Les immeubles entrent dans les transactions, soit pour être aliénés, soit pour être affectés au paiement d'une somme prêtée ou à l'exécution 'd'une obligation.

Le but à remplir, dans un régime hypothécaire, est donc de procurer à ce double genre de transaction la plus grande solidité, sans en altérer l'essence ni en embarrasser la forme.

« Si l'acquéreur trouve dans votre législation sécurité dans son acquisition, facilité, sécurité dans sa libération; si le vendeur y trouve le moyen de toucher promptementet sans frais le prix de l'immeuble non grevé qu'il aura vendu; s'il y trouve le moyen de faire payer en son acquit, promptement

et à peu de frais, les créanciers auxquels il avait affecté pour gage l'immeuble qu'il aura vendu; si, par l'effet de votre législation, le propriétaire d'un immeuble non grevé peut jouir de la totalité du crédit que lui assure sa propriété; si le propriétaire d'un immeuble dont la valeur est affectée à quelque créance, trouve dans votre loi le moyen de jouir d'un crédit égal à la valeur dont sa propriété surpasse l'engagement qui la grève; si le capitaliste qui voudra prêter, ou tout autre qui voudra contracter avec un tiers, trouve dans votre législation un moyen sûr, infaillible, de connaître la fortune de celui avec qui il traite; si surtout votre législation lui donne la certitude que la garantie qu'il a acquise ne pourra plus lui être enlevée; et si la conséquence nécessaire de toutes ces dispositions est qu'un homme de mauvaise foi ne pourra jamais vendre ce qui ne lui appartient pas, ni présenter au capitaliste un crédit men songer, nous ne dirons pas encore que la loi qui procurera tous ces avantages sera parfaite et ne présentera aucun inconvénient; mais nous affirmerons et nous prouverons facilement que, comparée à tout ce qui a précédé en France la loi de brumaire an VII, elle approchera le plus de la perfection, et offrira, sans aucune comparaison, beaucoup moins d'inconvénients.

« Nous en conclurons qu'en offrant plus d'avantages, et faisant courir moins de dangers aux propriétaires et aux capitalistes, elle appellera aux ventes d'immeubles un concours plus nombreux d'acquéreurs et que, par conséquent, elle contribuera puissamment à faire remonter le prix des biens territoriaux à leur véritable valeur; et que le capitaliste, trouvant sûreté, sécurité parfaite dans les prêts sur immeubles, se contentera d'un plus léger bénéfice; qu'un double avantage résultera de cette disposition : le premier, que les besoins de l'agriculture seront facilement satisfaits; le second, que l'intérêt de l'argent baissera à proportion que les risques du prêteur diminueront.

« Il sera facile maintenant de démontrer que tous ces avantages se trouvent dans le système hypothécaire créé par la loi de brumaire an VII, et qu'ils sont dus aux principes de la publicité et de la spécialité des hypothèques que consacre cette loi.

«Il sera aussi facile de démontrer que cette théorie n'est point nouvelle; que son institution remonte à la plus haute antiquité; qu'elle fut la loi générale de toute la Grèce; qu'elle y fut recueillie par les Romains, et conservée par eux jusqu'au temps de l'empereur Léon; qu'elle fut longtemps la loi des deux tiers de la France coutumière; qu'elle n'a jamais cessé de régir la plus grande partie des provinces dont les conquêtes de Louis XIV ont agrandi la France monarchique; qu'elle faisait jouir de la plénitude de ses bienfaits les populeuses, riches et heureuses contrées dont la France républicaine s'est agrandie, au nord et à l'est, par la conquête de la Belgique, du pays de Liége, et des départements du Rhin.

« Nous pourrons dire qu'à plusieurs époques les ministres les plus sages, Colbert entre autres, ont, à diverses époques, tenté de restituer à la France cette belle institution; et nous démontrerons qu'elle ne fut repoussée que par le malheur des temps, les préjugés, et plus encore par l'intrigue et par le besoin où se trouvèrent alors les grands seigneurs d'en imposer au public et de continuer à tromper leurs créanciers.

Nous démontrerons qu'aucun des bienfaits procurés par le système de brumaire an VII ne se trouve dans le système de 1771, renouvelé par le projet de Code.

« Et si quelques inconvénients sont attachés au système qui institue des hypothèques publiques et spéciales, nous forcerons les ennemis de ce système de convenir que ces inconvénients sont communs aux deux systèmes, et qu'ils sont bien plus graves dans celui des hypothèques clandestines.

« Enfin nous démontrerons que ce dernier système a des inconvénients qui lui sont propres, et dont la plupart non-seulement contrarient, mais anéantissent l'objet essentiel que doit se proposer tout législateur qui établit un régime hypothécaire. Théorie de la loi de brumaire an VII.

« La base du régime établi par cette loi pour les mutations d'immeubles et pour la conservation des droits hypothécaires est uniforme c'est la publicité des contrats translatifs de propriété et des actes constitutifs d'hypothèque.

<< Chaque acquéreur fait transcrire son contrat au bureau de la situation de l'immeuble vendu. « Chaque créancier fait inscrire son titre au bureau de la situation de l'immeuble affecté à sa créance.

« Le conservateur des hypothèques, outre les registres de transcription et d'inscription, tient un livre de raison, à l'aide duquel il découvre à l'instant le nom et la qualité du propriétaire actuel; il aperçoit d'un coup d'œil toutes les charges qui existent sur la propriété; et la publicité s'acquiert par les certificats en due forme que le conservateur délivre à toute réquisition, sous sa responsabilité, du nom du véritable propriétaire, de la situation et des charges de l'immeuble qu'il veut aliéner ou hypothéquer.

L'effet de la transcription est que, du moment qu'elle est faite, l'acquéreur devient propriétaire incommutable, sans pouvoir jamais être troublé pour des causes postérieures à cette même transcription, ni pour des causes antérieures dont la connaissance lui aurait été dérobée.

« L'effet de l'inscription est d'assigner au créancier le rang invariable qu'il doit tenir, et de lui donner la certitude que, sur l'immeuble qui lui est engagé, il ne sera préféré à aucun créancier que celui qu'il a su à l'avance être inscrit antérieurement à lui.

<< Voilà dans toute sa simplicité, mais aussi dans son énergie, la théorie de la loi de brumaire an VII. »

Le citoyen Tronchet dit qu'il aurait désiré que la discussion fût précédée de l'impression des deux rapports de la section de législation elle aurait eu plus de suite et de méthode. Il essaiera cependant d'exposer ses idées.

Le système de la loi du 11 brumaire, continuet-il, n'est qu'une invention fiscale qui, au surplus, n'a pas même le mérite de la nouveauté.

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Le préambule de l'édit de 1673 portait : « Les << plaintes que nous recevons depuis longtemps « de nos sujets, que les rentes que nos prédéces«seurs rois et nous avons constituées sur nos tailles, gabelles, aides, entrées, décimes et clergé, « dons gratuits et autres nos revenus, sont hors « de tout commerce, à cause de la difficulté qu'il « y a de les acquérir avec sûreté sans les forma«lités d'un décret, qui ne se peuvent faire qu'avec « de très-grands frais qui consument le plus sou«< vent la plus grande partie du principal, mais « encore un temps infini par la nécessité de pratiquer toutes les formalités, sans lesquelles les << propriétaires ne peuvent les vendre, ni les ac« quéreurs en jouir avec sûreté; ce qui nous au« rait porté à faire rechercher toutes sortes de

"

« moyens pour y remédier, en donnant à ceux

«

qui ont desdites rentes des moyens aisés et fa« ciles de les vendre et en disposer dans leurs be<< soins, et à ceux qui les voudront acheter, des << assurances de la propriété sans crainte d'y être << troublés, et sans être obligés aux dépenses et « longueurs des adjudications par décret. »

Depuis, on a défendu le même système, par d'autres raisons, il est vrai, mais toujours par des raisons qui ne sont que spécieuses, et qu'on ne peut considérer que comme de vains prétextes.

On a prétendu que Colbert avait assigné, pour cause du rejet de l'édit de 1673, l'intérêt des grands d'alors, qui ne voulaient pas qu'on pût porter un œil trop curieux sur leurs affaires.

Il est assez naturel qu'un ministre, dont le projet est repoussé, se venge par des injures, et suppose que ce rejet a été produit par des causes défavorables; mais il faut se rappeler qu'au contraire le gouvernement d'alors avait pris des précautions pour faire passer son édit, et qu'au moment où il l'a présenté, la voix des parlements venait d'être étouffée par un autre édit qui génait leurs délibérations. Au surplus, leur silence forcé a été inutile à la cour; la puissance de l'opinion a proscrit une loi qu'ils n'avaient pu se dispenser d'enregistrer.

Plusieurs raisons doivent faire aujourd'hui rejeter ce même système.

D'abord il introduit un impôt énorme (le proportionnel) et qui est nécessairement inégal, puisqu'il ne porte que sur une classe de citoyens.

Tous les citoyens sans doute doivent contribuer aux charges de l'Etat, mais chacun dans la mesure de sa fortune et sur ses revenus seulement; c'est ce qui rend justes les impôts mis sur les objets de consommation et les contributions foncières, puisque c'est le propriétaire du fonds qui vend les matières premières qui fournissent les consommations. L'impôt de l'hypothèque au contraire se prélève sur les capitaux; et ce qui le rend plus odieux encore, il se prend sur le malheur et absorbe les ressources de l'industrie. La fortune d'un citoyen se trouve dérangée, il est forcé d'emprunter pour faire honneur à ses engagements, et le fisc vient lui arracher une partie des secours qu'il se procure; car c'est toujours sur l'emprunteur que portent les frais du contrat. Un citoyen vend sa propriété pour en employer le prix à des entreprises utiles, à des spéculations commerciales, le fisc vient encore partager avec lui.

Mais quand on abandonnerait la partie fiscale de la loi du 11 brumaire, quand on consentirait à ne plus faire des hypothèques un moyen d'impositions, le système devrait donc être rejeté :

1° Parce qu'il ne remplit point l'objet des hypothèques et qu'il ne le peut pas ;

2° Parce qu'il n'est pas applicable à tous les contrats;

3° Parce qu'il ne l'est pas surtout aux contrats les plus importants;

4° Parce qu'il détruit l'essence et le caractère des contrats;

5° Enfin parce que dans l'exécution il produit beaucoup d'autres inconvénients.

Le citoyen Tronchet développe ses idées. Il prend les deux principaux contrats, la vente et le prét.

Dans la vente, dit-il, la transcription est superflue.

Est-ce pour assurer la propriété à l'acquéreur qu'on l'emploie?

La garantie de l'acquéreur résulte de l'anté

riorité de la date de son acquisition; et cette date est rendue certaine par le contrat.

Est-ce pour assurer au vendeur son paiement? La question est la même que pour le prêt, et le citoyen Tronchet y reviendra.

Est-ce pour que le tiers acquéreur ne se trouve pas trompé, en achetant d'un homme qui ne soit plus propriétaire?

L'expérience a prouvé que les moyens ordinaires de s'instruire de ce point de fait lui donnent des renseignements suffisants.

Est-ce pour que l'acquéreur paie avec sûreté ? L'acquéreur ne paie jamais avant de s'être assuré qu'il paie utilement.

Mais on fait valoir les avantages du système par rapport aux emprunts et à la grande sûreté qu'il donne au prêteur.

Quoi, le prêt est-il donc un contrat privilégié dont la loi doive s'occuper aux dépens de tous les autres ?

Mais cette sûreté même du prêteur, à laquelle la loi du 11 brumaire sacrifie tout, elle ne parvient pas à la lui assurer. Qu'on se place, en effet, dans la position la plus favorable, dans celle où l'immeuble, sur lequel l'hypothèque doit s'asseoir, est situé sous les yeux du prêteur et dans la commune où le contrat est consommé. Avec la plus grande diligence, il faut au moins quatre jours pour obtenir l'enregistrement; et cependant l'emprunteur, s'il est de mauvaise foi, tient toute prêté une obligation antérieure et peut-être fictive, qu'il présente et fait enregistrer avant celle qu'il a réellement souscrite.

Et qu'on ne dise pas que c'est ici une hypothèse imaginaire; elle est tellement fréquente, que les notaires, qui savent qu'on ne peut pas enregistrer un contrat soumis à une condition potestative, sont obligés, pour prévenir la fraude, de supposer le prêt exécuté, et de retenir les deniers jusqu'à l'enregistrement.

Quelle sûreté peut donc résulter d'une loi qui, pour la garantie des parties, les oblige de confier Icurs fonds à un homme qui n'a point le caractère de dépositaire public, qui se trouve même dans l'impossibilité de leur donner un titre? A la vérité, à Paris et dans beaucoup d'autres lieux, les notaires méritent la confiance des citoyens : mais en est-il de même partout, et surtout dans les campagnes? Si ces inconvénients sont réels lorsque l'emprunteur et le prêteur habitent la même ville, que sera-ce s'ils sont à une grande distance l'un de l'autre, et que, par une suite nécessaire, le délai de l'enregistrement doive être encore plus reculé ? Alors les fonds demeurent bien plus longtemps exposés. Quand on supposerait même que tous les notaires sont de bonne foi, il peut arriver qu'un créancier qui fera saisir chez eux, enveloppe dans la saisie des deniers que rien n'atteste ne pas appartenir au notaire qui se trouve son débiteur.

Les notaires de Paris réclament tous qu'on facilite davantage les emprunts, parce que, disentils, la loi du 11 brumaire ne fait que les entraver. Autrefois du moins le propriétaire, en se ménageant un privilége fictif, pouvait offrir dans son immeuble un gage certain sur lequel il trouvait des ressources. Aujourd'hui ce moyen lui échappe; le fisc vient se mêler de toutes les transactions, et on ne peut pas multiplier les contrats sans payer des frais d'enregistrement énormes.

Il est donc prouvé que la loi du 11 brumaire ne donne point et ne peut pas donner une sûreté réelle au prêteur.

Mais il y a bien d'autres contrats, tels que les

baux, par exemple, où l'hypothèque est nécessaire, et où l'on n'a pas la faculté, comme dans la vente et dans le prêt, de tenir les fonds en dépôt.

Il en est de même, et ce sont les transactions les plus importantes, auxquelles le système de la loi du 11 brumaire ne peut être appliqué sans dénaturer le contrat.

Tel est le mariage, par exemple: un père n'accorde pas toujours la main de sa fille à l'homme qui possède le plus d'immeubles; très-souvent il la donne à celui dont la bonne conduite, l'état, l'industrie, paraissent offrir une garantie suffisante. Il n'exige pas toujours l'emploi de la dot, parce qu'elle est quelquefois nécessaire pour faire prospérer les affaires des deux époux et leur ménage commun. Souvent c'est à cause des espérances du mari par rapport à la succession future de son père, que le mariage se conclut. Dans tous ces cas, ou il est impossible de se conformer à la loi du 11 brumaire, ou on ne s'y conforme qu'en contrariant les vues des familles.

On répond que quand le mari n'est point propriétaire d'immeubles, la loi du 11 brumaire donne du moins à la femme l'assurance de voir inscrire sa dot sur les immeubles qui pourront survenir.

Une telle assurance est bien illusoire. C'est contre le mari dissipateur qu'elle est établie or un tel mari se gardera bien de prévenir son épouse des changements qui seront survenus dans så fortune. Que si la femme le découvre par quelque autre moyen, il lui est bien difficile d'en tirer avantage, n'ayant sous la main ni le contrat de mariage qui forme son titre, ni les fonds nécessaires pour payer les frais d'inscription. Et quand elle parviendrait à forcer ces obstacles, voilà le trouble et la désunion entre les deux époux.

Supposons cependant, contre toute vraisemblance, que l'inscription puisse être prise: comment la spécialiser ? Les reprises des femmes sont indéterminées.

On a proposé à ce sujet de les évaluer et de les inscrire pour ainsi dire à forfait.

Il en résulterait d'abord un procès sur l'évaluation. Ensuite, peut-on prévoir les événements qui, peut-être, changeront l'état actuel des choses? Il est possible qu'une femme, dont les droits présents ne s'élèvent qu'à une modique somme de trois ou quatre mille francs, recueille une succession mobilière qui porte les reprises à deux cent mille. D'ailleurs, c'est détruire l'essence du contrat que de déterminer à l'avance les reprises, car le mari est indéfiniment engagé à restituer tous les biens qui écherront à la femme.

Le système de la loi du 11 brumaire ne détruit pas seulement l'essence des contrats les plus importants; il détruit l'essence de tous les contrats sans distinction, en prohibant l'hypothèque sur les biens à venir. En effet, il n'est point d'obligation qui ne doive être exécutée sur tous les biens du débiteur; les partisans de la loi du 11 brumaire en conviennent or il est difficile de concilier ce principe et cet aveu avec la distinction qu'on voudrait faire sous ce rapport, entre les biens immeubles et les biens meubles, et qui tendrait à n'appliquer le principe qu'à ces derniers. Cependant si les biens meubles à venir doivent répondre des engagements, pourquoi n'en serait-il pas de même des immeubles ?

On répond que c'est parce que l'hypothèque s'asseoit sur un immeuble, et suppose en conséquence qu'il est là.

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Telles sont les bases vicieuses sur lesquelles repose ce système.

Dans l'exécution, il entraîne beaucoup d'inconvénients, dont l'importance devient moins frappante auprès de l'inconvénient décisif d'admettre une théorie vicieuse dans son principe même.

Il est enfin ici une réflexion générale bien capable de faire impression sur le législateur, parce qu'elle intéresse les mœurs publiques :

La bonne foi est le seul pivot sur lequel roule le commerce entre les hommes.

La moralité est la garantie la plus sûre qu'ils puissent se donner :

C'est sur ces principes que contracte la moitié de la France pourquoi jeter dans l'autre une défiance qui ajoute à la démoralisation?

On a beaucoup parlé de la nécessité de faire cesser l'abus de la saisie réelle.

Elle était ruineuse, il est vrai, et surtout à Paris; mais cet abus venait de la complication des formes ainsi, pour faire cesser l'abus, il suffit de les simplifier. Déjà dans quelques parlements on y était parvenu. A Rouen, par exemple, l'ordre s'introduisait par un simple procès-verbal du commissaire.

Le citoyen Portalis dit qu'il proposerait de repousser également et le système de la loi du 11 brumaire et celui de la commission, s'il n'était persuadé que cette opinion ne serait pas adoptéc par le Conseil.

L'hypothèque en effet n'est pas inhérente aux engagements personnels; c'est une institution toute civile elle n'existe que par l'autorité de la loi, qui l'attache aux actes faits dans les formes qu'elle détermine, et par la force des jugements aussi les actes passés en pays étranger ne donnent-ils pas hypothèque.

En Provence, on avait conclu de ce principe que l'ordre des hypothèques doit être réglé par la date des actes.

Ce système était au surplus fondé sur la nature des choses. La société est composée d'hommes qui traitent les uns avec les autres; mais les transactions n'ont lieu qu'entre des individus qui se connaissent, qui ont pris sur leur fortune et sur leur probité respectives tous les renseignements que la prudence commande. Si la loi intervient pour les protéger, leurs affaires, qui ne sont que privées, prennent aussitôt le caractère d'affaires publiques, et en les soumettant à des règles, on empêche certainement beaucoup d'alliances, beaucoup de contrats qui n'ont rien de commun avec le prêt. Le système le plus naturel et le plus simple est donc de laisser chacun veiller par lui-même à ses intérêts, et chercher principalement sa sûreté dans la moralité de ceux avec lesquels il contracte.

Mais ce système ne trouverait pas de partisans dans le Conseil; il faut donc choisir entre les deux autres.

L'édit de 1771 est insuffisant; il promet une sûreté qu'il ne donne pas; car, en offrant des moyens de conserver des hypothèques, il n'avertit pas de celles qui existent au moment où l'on contracte.

La publicité établie par la loi du 11 brumaire serait certainement plus avantageuse, si l'on ne voulait pas en faire un principe absolu. Le citoyen Portalis l'admet, pourvu qu'on ne l'étende pas aux engagements qui naissent du mariage et de la tutelle.

Il est absurde, en effet, de vouloir donner de la publicité au fait du mariage, qui déjà est public. Quand on traite avec un homme marié, on n'ignore pas qu'il se trouve engagé dans le mariage : aussi en Provence les articles non publics du contrat de mariage donnaient-ils hypothèque, parce que, disait-on, chacun est averti par le fait de prendre ses précautions. La publicité que donnent les inscriptions est donc un bienfait inutile, puisqu'elle est acquise, et d'une manière bien plus certaine, par là notoriété.

A l'égard des tutelles, on doit se demander d'abord pourquoi la loi rend le tuteur responsable. C'est parce qu'elle veut venir au secours d'un pupille, qui ne peut se protéger lui-même.

La protection de la loi doit donc être efficace et utile or elle ne l'est pas, lorsque l'effet des précautions que la loi ordonné dépend de la fidélité de ce même tuteur, contre lequel elles sont établies, et surtout lorsqu'elles ont pour objet des engagements indéterminés.

Le fait de la tutelle est public: il n'est pas besoin d'en avertir des acquéreurs et des prêteurs. On leur sacrifie donc la sûreté du pupille, sans leur donner plus d'avantages.

Dans tous les autres cas, il est bon d'assurer la publicité quand elle existe déjà, cette précaution est superflue. Chacun sait si celui avec lequel il traite est marié, est tuteur, est comptable.

Ce n'est pas, au surplus, sous le rapport de l'impôt qu'elle établit, que la loi du 11 brumaire doit ètre attaquée.

Les impôts sont nécessaires, et ceux-là sont préférables, sans doute, qui se paient doucement, et qui sont perçus dans le moment où le redevable peut le plus facilement les payer or l'homme qui achète jouit évidemment d'un peu d'aisance; ['homme qui emprunte reçoit un secours qui le met dans une position commode : l'un et l'autre peuvent faire quelques sacrifices.

Ainsi, sous le rapport de la publicité, le système de la loi du 11 brumaire paraît devoir être maintenu, pourvu qu'on ne l'étende pas aux hypothèques légales.

Quant à la spécialité, on peut l'admettre à l'égard de tous les engagements, si ce n'est ceux qui, de leur nature, sont indéterminés.

On a observé qu'autrefois, au moyen d'un privilége fictif que le propriétaire se réservait, il parvenait à donner à l'emprunteur une sûreté même plus grande que celle qu'on peut espérer de la spécialité.

Mais la loi ne doit ni supposer, ni autoriser de simulation.

Le citoyen Treilhard répond d'abord au citoyen Portalis.

Il s'est reporté, dit le citoyen Treilhard, à la législation primitive, qui réglait l'ordre des hypothèques par la date des contrats.

Ce sont précisément les vices de ce système, reconnus par l'expérience, qui ont amené l'édit de 1771, et depuis la loi du 11 brumaire.

Il est certain que s'il suffisait de la date de contrats connus seulement des parties, pour établir l'ordre des hypothèques, il n'est personne qui ne dût craindre d'être dépossédé ou primé par des créanciers inconnus. On a eu tellement lieu de

s'en convaincre, qu'on a tenté de corriger du moins cet inconvénient par le moyen de la prescription en faveur des tiers détenteurs.

Dans l'impossibilité de soutenir ce système, on compose sur le système de la publicité, et l'on propose d'y soustraire les hypothèques légales.

Si la publicité est utile, il faut n'y rien soustraire. Il n'est pas sans exemple qu'un homme soit marié, quoiqu'il passe pour célibataire; il ne suffit même pas, après tout, qu'on sache qu'un homme est marié,` pour traiter sûrement avec lui; il importe encore de connaître l'étendue des engagements que son mariage lui impose.

Mais, dit-on, quelles lumières peut donner à cet égard l'inscription, puisque ces engagements sont indéterminés?

Cette objection a bien plus trait au système de la spécialité, dont le système de la publicité est très-indépendant.

Au reste, on a déjà indiqué, dans le cours de cette discussion, des moyens de rendre les hypothèques légales déterminées. Et enfin, quand elles ne le seraient pas, toujours les tiers pourront-ils vérifier si les biens du mari sont frappés d'hypothèques; avantage qu'ils n'ont dans aucun autre système.

Passant à l'opinion du citoyen Tronchet, le citoyen Treilhard observe que la longue durée de l'ancienne législation n'est pas un préjugé qui doive être ici de quelque poids. On sait d'abord qu'il est de longues erreurs. Mais celles dont on parle n'ont pas même l'avantage d'une possession paisible: souvent on a réclamé contre ce dangereux système des hypothèques; et d'Héricourt, dans son traité de la vente des immeubles, dit positivement, à l'occasion de l'édit de 1673, que le régime qu'il établit a toujours été désiré par les jurisconsultes les plus recommandables.

Il est inutile de s'arrêter sur ce qui a été dit des charges que la loi du 11 brumaire impose aux citoyens le citoyen Portalis a réfuté cette objection. Il a observé, avec raison, que les impositions qui se perçoivent dans les moments les plus favorables sont les meilleures. Si les droits d'hypothèque sont trop considérables, il faut les diminuer ce point n'appartient pas à la discussion.

:

On prétend que le système de la loi du 11 brumaire n'atteint pas son but; qu'il ne peut convenir qu'au prêt et à la vente.

Il convient également à tous les actes translatifs de propriété, même à titre gratuit.

On a dit que la loi du 2 brumaire ne donne ni au prêteur ni à l'acquéreur une sûreté suffisante, parce qu'il est possible qu'à l'aide d'une fausse obligation, on parvienne à les primer, et que s'ils veulent prendre des précautions contre cette fraude, ils sont forcés de laisser leurs fonds en dépôt, même sans avoir de titre.

Il y a deux réponses à cette objection :

La première, qu'il n'est pas présumable qu'un homme soit assez imprudent pour se permettre une fraude qui ruinerait à jamais son crédit, et qui l'exposerait aux peines du stellionat, puisqu'il aurait vendu et engagé comme libre un bien qui nę l'était pas ;

La seconde, qu'il est un moyen simple de se procurer ces sûretés: c'est de stipuler que l'acte ne recevra son exécution qu'après un délai, et seulement dans le cas où l'immeuble ne se trouverait pas chargé au delà des hypothèques qui ont été déclarées dans le contrat.

On réplique que ce dernier expédient ne peut être utile que lorsque l'immeuble est situé dans

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