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I. Tableau de prairial an 4.

(N. 303) »BUREAU CENTRAL DU CANTON DE PARIS.

Rapports généraux de la Surveillance pendant le mois prairial an 4 de la république française [20 mai 18 juin 1796]. <<

Extraits.

»1 prairial an 4. Esprit public. La nullité presque totale des assignats, le brigandage affreux qui s'exerce sur cette monnaie, et qui s'étend avec rapidité sur les mandats, le sur-enchérissement inconcevable des marchandises, l'opiniâtreté du commerçant, la difficulté de pouvoir se procurer les objets de 1ère nécessité, rendent le peuple presque insensible aux efforts du gouvernement pour rendre sa situation meilleure.

On ne peut concevoir que l'assignat, réduit dans sa masse à plus des deux tiers, tant par les rentrées, que par les produits des ventes et de l'emprunt forcé, soit porté à près de 9000' liv. contre une espèce d'or de 24liv., tandis que, lorsqu'il y en avait deux fois davantage en circulation, il ne fallait que 2 à 4000 liv.

procurer.

pour se la

On conçoit encore moins que le mandat soit avili aussi impunément, tandis qu'une loi sévère prononce des peines contre ses dépréciateurs; les calculs sont à l'infini sur cette matière, les idées se confondent et se perdent, la patience échappe, et le peuple n'a plus qu'un sentiment, celui de sa misère et de son dénuement.

Dans ses murmures il provoque la sévérité du gouvernement contre l'agiotage, contre les paysans surtout, qui ont attiré à eux tout le numéraire, et qui l'enfouissent. Une remarque bien essentielle, c'est qu'il est notoire que dans toutes les campagnes qui avoisinent Paris, vous n'y trouvez rien pour des assignats, et, si l'on

en croit tous les rapports, il n'en circule pas un dans les départements; ce qui en reste, est tout entier à Paris; de là son discrédit total.

On désire ardemment, qu'ils soient tous retirés de la circulation, et l'on pense que le 1er messidor prochain sera l'époque où le gouvernement, en les faisant disparaître, ôtera cet aliment à l'agiotage.

Les groupes sont très-rares et très-clair-semés, grâce aux patrouilles et à leur activité; les cafés n'étaient pas beaucoup remplis, le beau temps et la saison appellent les citoyens, soit à la campagne, soit aux promenades; à dix heures du soir presque tous les citoyens sont rentrés chez eux. Le service se fait avec ordre et sévérité dans les camps aux environs de Paris. L'esprit qui anime le soldat est bon; celui des officiers, tant supérieurs qu'inférieurs, est ferme et décidé à faire exécuter strictement la loi, et respecter l'ordre et la discipline. Quelques soldats, quelques fois ivres, sont cependant rencontrés dans les rues de Paris longtemps après la retraite; il paraît résulter quelques inconvénients de ce vagabondage.

Des bruits ont couru, que les prisonniers de l'Abbaye s'étaient évadés; on ne doit pas s'étonner de ces bruits, et les amis des conjurés croient y trouver leur compte.

On s'obstine toujours à regarder Drouet comme un fou; mais Babœuf est un fou aussi, si on le juge d'après sa lettre au directoire. Si leurs amis pensent appitoyer sur leur sort, ils sont dans l'erreur; car l'opinion générale manifeste la plus vive indignation contre les auteurs des complots, et attendent tout de la fermeté du gouvernement, malgré les exclamations des patriotes exclusifs qui prétendent que le directoire s'est trompé, qu'il n'y a pas du flagrant délit et qu'on ne peut reprocher à Drouet que son trop grand zèle pour la république démocratique, et que, si les Cinq-cents font incarcérer les patriotes, ce n'est pas ce qu'ils peuvent faire de mieux.

Nonobstant ces propos recueillis dans les halles, on est d'accord quant aux louanges donnés au général de l'armée d'Italie, à la consistance que prend le gouvernement français dans son intérieur, et au respect qu'il commence à inspirer chez les nations belligérantes.

Spectacles. Le défaut d'un chanteur à empêché depuis trois jours le chant de l'hymne patriotique au théâtre de la République; le directeur s'en est expliqué, et les ordres lui ont été intimés pour que l'arrêté du directoire soit exécuté exactement. Il ne paraît pas qu'il y ait mauvaise intention de la part du directeur. Dans les spectacles les applaudissements sont prodigués aux sentiments,

et point aux sottises. L'esprit public est bon sous le rapport des mœurs, et paraît s'améliorer en politique. Les royalistes et les anarchistes gardent au moins le silence.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Limodin.<<

» 2 prair. an 4. Esprit public. Le peuple n'est occupé que de ses moyens de subsistance, il ne manifeste que des inquiétudes sur le renchérissement des denrées, il craint toujours de manquer de tout. Les marchés, les halles, les boutiques, les étaux des bouchers annoncent l'abondance; et cette abondance même devient illusoire et nulle pour le possesseur d'assignats.

Les bouchers ont fait courir le bruit, que la viande se vendrait au moins 300 liv. la livre, avant trois jours, parce qu'ils n'avaient point trouvé de bœufs à Poissy.

Les boulangers de leur côté crient à l'injustice de ce que le pain n'est taxé qu'à 37 liv.; ils disent qu'ils sauront bien franchir la barrière, et le peuple s'alarme.

Un homme s'est précipité du haut du pont de la Révolution. Les témoins de cet acte de désespoir ont dit que, quand on avait épuisé tous ses moyens d'existence, on était forcé de se donner la mort, préférable à la misère. On ne sait cependant pas, si c'est le motif de ce suicide. Il n'est pas inutile d'observer, que plusieurs jeunes gens se sont déshabillés sur le champ pour, avec les bateliers, aller à la recherche de cet infortuné; mais leurs efforts ont été infructueux.

Les surveillants du fb. Antoine annoncent, que ses habitants sont calmes et tranquilles, et livrés à leurs travaux; mais ils observent, qu'en général on y soupire après l'émission des mandats, le retirement des assignats, et une pacification générale; que leurs plaintes roulent sur la cherté excessive des denrées, et que l'agiotage et la hausse du louis les font gémir.

Passons à une classe plus calme et plus instruite, à l'esprit des habitués de cafés. Là on n'est pas indifférent sur la situation des finances, on n'y croit pas non plus à l'insouciance du gouvernement sur les effets de l'agiotage. On est persuadé qu'il s'occupe d'améliorer le sort des citoyens, non seulement de Paris, mais de tous les départements; qu'il est convaincu que la fortune publique souffre des atteintes portées aux fortunes privées; mais que les

grands intérêts, qui l'occupent, retardent seuls les opérations en finances.

De là on passe au traité de paix conclu entre la république et le roi de Sardaigne. Quelques-uns admirent le ton de fermeté et de dignité qui y règne, d'autres craignent que ces conditions dictées avec tant de sévérité ne poussent au désespoir les ennemis qui nous restent à combattre; mais ce qui est remarqué avec plaisir, c'est de voir le soin avec lequel on s'occupe d'enrichir la France des dépouilles de nos ennemis, d'arracher de leurs mains les chefs-d'œuvres des arts que la guerre respecte si peu, et que le vandalisme effrayant dont nous avons éprouvé les ravages n'aurait pas épargnés. Aussi, ajoute-t-on, l'armée commandée par Buonaparte n'est pas une armée révolutionnaire, mais républicaine, ce qui n'est pas la même chose. Tel est le résultat de l'esprit public.

Spectacles. Le théâtre de la République avait peu de spectateurs, mais composés d'hommes sages. Les traits qui rappellent à la vertu y furent applaudis, témoin ce vers: ,,Il est riche en vertus, cela vaut un trésor". Dans les anciennes pièces, où les mots trop crus de fille coquine, grouin ec. se répètent souvent, ces expressions sont sifflées; cela prouve en faveur du goût, et le goût peut ramener aux bonnes mœurs.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Bréon.<<

»3 prair. an 4. Esprit public. Malgré toutes les divagations de l'opinion publique, elle s'attache essentiellement à la situation actuelle des finances, au sort des assignats et au prix exorbitant du numéraire. Hier à dix heures du soir un groupe de quarante personnes était formé à la porte Martin. Après les murmures et les plaintes les plus confuses sur l'excessive cherté des denrées et l'augmentation de l'or, les malédictions contre l'agiotage et le gouvernement, que l'on accusait d'être auteur du discrédit des assignats et des mandats, plusieurs voix se sont élevées et annonçaient: que Baboeuf ne périrait pas; qu'il serait soutenu, et que, s'il fallait qu'il pérît, beaucoup de membres des deux conseils subiraient le même sort; et que, si Babœuf était coupable, beaucoup d'autres l'étaient autant que lui.

Dans un café rue Martin, en face du théâtre de Molière, un citoyen a annoncé que le bruit courait, que dans 8 jours les assignats ne vaudraient plus rien, que le louis était à 10,500, et qu'il·

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