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l'effort, le courage, la bravoure. Leurs noms resteront familiers et vénérés dans ces lieux où ils se perpétueront en un exemple toujours vivant et comme un titre de grandeur et de fierté. Nous les confions aux générations qui se pressent derrière nous; nous leur en remettons aujourd'hui la garde sacrée ; les voici :

D'Abbadie d'Arrast, Albert, Binet, Bloch, Borgoltz, Bourdé, Caillot, Chêne, Douvillé, Doynel, Dubas, Dubois, Dupont de Dinechin, Fallard, de Feuillet, Gouton, Hugues, Jeannin, Kuhn, Louvet, Le Marec, Maze, Meugnier, Milon, Morizot, Mothiron, Nicolet, Peruffo, Pivert, Rojot, Rothstein, Rousseau, Salandrouze, Le Moullec, Salleron, Schloesing, Seiglet, Stintzy, Talpin, Teissèdre, Tournefier, Vergnes.

Demeurez nos exemples et nos guides, et dormez dans la gloire, ô nos morts tombés pour la France!

M. LE TROCQUER, Ministre des Travaux Publics, prenant à son tour la parole, prononça le discours suivant :

Mesdames,

Mon cher Directeur,
Messieurs,

En pénétrant à quelque vingt ans de distance dans cette Maison qui m'est si chère, j'éprouverais déjà une particulière émotion faite de toute la puissance du souvenir. Combien cette émotion se fait plus forte et plus poignante en nous voyant ici tous réunis pour saluer la mémoire de ces héros qui furent nôtres et qui ne nous ont quittés que pour l'immortalité ! Et à cette heure où dans tout notre pays de France, par ces journées d'automne où la nature elle-même se pare de teintes d'or avant de disparaître, l'on s'apprête à célébrer d'un même cœur et ceux qui dans la défaite n'ont jamais désespéré, et ceux qui, par leur sacrifice sublime, ont réalisé l'espoir de la Patrie en réalisant la victoire, comment ne serais-je pas ému, moi à qui il est donné d'associer ici par le Gouvernement de la République le pays tout entier à

l'hommage que notre piété nous dicte de rendre à nos camarades morts au champ d'honneur.

O noms nouvellement gravés, qui viennent rejoindre sur cette pierre, comme ils se mêleront dans notre reconnaissance à ceux des aînés qu'un sort aussi glorieux y avait jadis inscrits; c'est une grande page de l'histoire de notre pays que vous tracez ainsi ! C'est un demi-siècle de souffrances d'abord, puis de travail énergique, d'espérance contenue, d'angoisse et de victoire enfin, qui s'évoque par vous sur cette stèle, dans cette calme cour où paraissaient ne devoir jamais pénétrer les bruits du dehors, mais où se développait à l'ombre des heures studieuses et des leçons savantes l'amour le plus profond et le plus élevé de la Patrie.

Dans la fréquentation journalière des maîtres de la pensée humaine, dans l'usage permanent de la raison la plus pure, dans la pratique constante de la méthode scientifique, ceux qui étaient ici avaient appris à aimer la vérité et à ne connaître que le droit qui la sert. Et ils ne les séparaient ni l'une ni l'autre de la France. à laquelle les attachait le lien filial le plus sacré, parce qu'ils savaient qu'elle est, cette France, l'abri de la vérité et la terre du droit.

Aussi le jour de l'agression se levèrent-ils pour défendre avec leur pays tout ce à quoi ils devaient la valeur de leur intelligence et la culture de leur esprit. Sur les champs de bataille, ils ont été les premiers devant le danger parce qu'ici aussi ils avaient appris ce qu'est le travail désintéressé qui n'a pour but que le progrès, parce qu'ils avaient appris que l'homme est peu de chose devant son œuvre et que, si par son sacrifice son œuvre grandit, son sacrifice n'est rien !

Oui, ils ont été les premiers au danger, les 310 citations à l'ordre du jour obtenues par les élèves et le personnel de l'École le prouvent.

Ce qui le prouve aussi, hélas ! c'est le nombre de ceux qui sont restés sur les terres sanglantes! 41 élèves sur 158 que comptait l'École en 1914 sont tombés, rejoignant dans une fin glorieuse les 24 Ingénieurs anciens élèves et les 5 membres du personnel qui ont fait don de leur vie à la Patrie.

Ah! Messieurs, que ces chiffres montrent, dans leur triste éloquence, combien furent profondes les blessures du pays! Certes bien des guerres ont déchiré le monde courbant des jeunes têtes qui ne devaient plus se relever. Mais jamais l'intelligence et la pensée ne furent à ce point meurtries. Et quelles œuvres ne pouvait-on espérer de ces jeunes cerveaux dont la lumière s'est éteinte!

Mais il nous faut dire aussi combien fut précieux leur rôle dans la bataille. Les qualités qui auraient pu donner dans la paix de si beaux résultats, ils en ont dans la guerre fait l'usage le plus fructueux pour la victoire. Et non seulement par les effets pratiques de leurs connaissances scientifiques, par l'habitude du travail qu'ils avaient acquise dans leurs fortes études, mais aussi par leur courage même, par leur action morale, par leur connaissance du devoir, par le souci de la haute mission que leur valeur et leur culture intellectuelles leur avaient dévolue.

Pour des pertes comme celles-ci, le pays ne connaît pas plus de réparations qu'il ne peut en être offertes à ceux qui les pleurent, et devant lesquels je m'incline.

On peut seconder l'effort de ceux qui relèvent les maisons en ruines; on peut aider la volonté et la ténacité laborieuses des paysans qui veulent ensemencer les champs labourés par les obus, mais les jeunes intelligences abattues, quelles mains peuvent en recueillir les débris!

La France, pour guérir la blessure que cause leur perte, ne peut compter que sur elle-même, mais elle a raison d'y compter. Déjà, par les portes d'où, le jour de l'appel du pays, sont sortis leurs aînés dont tous ne devaient pas revenir, les jeunes sont arrivés, ils sont unis dans le travail et l'action comme leurs devanciers le furent par le devoir, dans la bataille. Déjà, ils sont sur ces bancs apprenant de leurs maîtres, qui ont repris leurs taches interrompues, les bonnes disciplines; déjà ils recommencent à s'attacher à la recherche de la vérité et du développement de la raison.

La plus belle leçon qui pourra leur être donnée, c'est cette pierre qui s'en chargera. Lorsqu'ils traverseront cette cour, elle

leur rappellera ce qu'ont fait ceux dont elle porte les noms gravés; elle leur dira de s'inspirer toujours de l'exemple de dévoue ment et de volonté qu'elle commémore. Le devoir qui leur incombe de rendre notre pays toujours plus vivant et plus fort s'imposera alors à eux avec une force sans cesse renouvelée. Ils l'accepteront, j'en suis sûr, vaillamment et allègrement; leurs mains serreront le flambeau à eux confié par leurs aînés; et les parents des disparus, lorsqu'ils viendront ici s'incliner pieusement, verront dans les regards de ces jeunes gens briller la lueur qui illuminait les yeux qui se sont fermés, et ce sera pour eux la plus digne et la plus haute des consolations.

O morts glorieux, au nom du pays, je m'incline devant vous qui, par votre sacrifice sublime, avez fait que l'humanité soit libre et la France immortelle !

Sur ces belles paroles, au milieu de l'émotion générale, la cérémonie prit fin; il appartenait aux Annales d'en fixer le souvenir.

N° 34

CABLES

Par M. ARNODIN,
Ingénieur-constructeur.

Nous dénommons ici sous le nom générique de câbles les organes essentiels de la construction qui ont pour mission de soutenir le tablier du pont au-dessus du vide, organes dont le travail s'opère exclusivement à la tension, quelle que soit la nature des matériaux qui les composent.

ORIGINE

La découverte des câbles doit se rapprocher de l'origine de l'humanité, car elle dérive de l'observation de la nature même. Les lianes s'entrelaçant au-dessus des torrents et donnant passage aux oiseaux et autres animaux de la forêt nous fournissent les premiers exemples de câbles et de suspension, comme les éboulis de rochers s'arc-boutant au-dessus des rivières ont fourni l'inspiration des ponts de maçonnerie (Pont d'Arc sur l'Ardèche).

En fait, les voyageurs ont retrouvé aux Indes, au Thibet, en Chine et en Amérique, des ponts suspendus par des câbles en lianes, à usage de piétons et de bêtes de somme, dont la tradition paraissait remonter à la plus haute antiquité.

Lorsque les lianes, de durée éphémère, étaient usées, le pont se rompait, et on le reconstruisait ainsi plusieurs fois dans la même génération.

Plus tard, à l'apparition du fer, les hommes songèrent à remplacer les lianes par ce nouveau matériau plus durable et plus résistant. Le procédé restait le même. Quand le câble était

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