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N° 1

NOTICE

SUR LA VIE ET LES OEUVRES

DE

M. Georges DE JOLY

Inspecteur général des Ponts et Chaussées, Professeur à l'École nationale des Ponts et Chaussées, Ancien Directeur des Ports maritimes au Ministère des Travaux publics,

Par M. DE ROUVILLE,

Ingénieur en Chef du Service central des Phares et Balises.

Le Corps des Ponts et Chaussées a été vivement affecté, au mois d'août dernier, en apprenant la mort de M. l'Inspecteur général de Joly; survenue après une longue maladie, que provoquèrent et aggravèrent d'incessants excès de travail ainsi qu'un dévouement absolu à l'œuvre accomplie depuis les hostilités, cette fin prématurée fut d'autant plus impressionnante qu'on y sentait une nouvelle et particulièrement triste conséquence de la guerre.

La carrière si tôt interrompue de M. de Joly n'en compte pas moins parmi les plus remarquables de notre Corps; elle porta cet éminent Ingénieur, après une existence admirablement remplie, jusqu'aux plus hautes fonctions administratives; elle lui a valu d'acquérir, chez ses collègues de tous les pays, un renom mémorable et de provoquer autour de sa tombe les témoignages. d'un regret aussi unanime que profond.

Georges de Joly est né le 25 octobre 1864, au Palais Bourbon, où son père (1) remplit longtemps les fonctions d'architecte de la Chambre des Députés.

1. Edmond-Théodore (1824-1892).

Sa famille, dont il a soigneusement conservé la généalogie dans ses ramifications étendues, était originaire de Pamiers (Ariège). On la retrouve plus tard dans le Rouergue, à Millau et à Saint-Rome de Tarn, mêlée aux aventures des guerres de religion. L'arrière-grand-père de Georges de Joly était magistrat à Toulouse. A propos d'un de ses arrière-grands-oncles, Hector de Joly, on rapporte qu'il fut mêlé à l'histoire anecdotique dans les conditions suivantes : cet avocat au Conseil du Roi assista Louis XVI dans la journée du 10 août 1792; ce fut lui qui tint dans ses bras le jeune Dauphin, alors âgé de sept ans, pendant que la famille royale se rendait, en longeant la terrasse des Feuillants, des Tuileries au sein de l'Assemblée législative. Le prétendant Naundorff trouva l'occasion de répéter, sous la Restauration, à Hector de Joly, les quelques mots qui auraient été échangés entre le Dauphin et celui qui le portait, dans des conditions où aucun témoin n'avait pu les entendre; ce rapprochement frappa tellement Hector de Joly qu'il crut dès lors à la légitimité des prétentions de Naundorff dont les partisans exploitèrent largement cet argument, et il refusa de servir la royauté restaurée sous le titre de Conseiller d'État qu'on lui offrait parce qu'il ne croyait plus aux droits de Louis XVIII au trône de France.

Avant même de se transporter à Paris, il y a plus d'un siècle, cette ascendance de vieille souche comptait donc déjà de nombreux serviteurs de l'État, et le dernier disparu de cette lignée, dont nous retraçons ici la figure, sut lui-même élever cette tradition familiale de dévouement désintéressé à la chose publique jusqu'au degré où l'on y consomme le sacrifice de sa vie. Le grand-père et le père de Georges de Joly ne devaient pas lui laisser de moindres exemples de dévouement et de patriotisme, en dehors de l'influence artistique dont leur commune profession d'architecte a certainement imprégné ses premières années, expliquant ainsi l'intérêt qu'il attacha toujours à l'aspect extérieur de ses œuvres et le goût qui présida à la mise au point de ses projets.

Jules et Edmond de Joly ayant été successivement appelés à

exercer leurs fonctions auprès du Corps législatif, on peut considérer que, pendant la période longue et mouvementée comprise entre 1827 et 1892, l'existence de cette famille s'est confondue avec notre histoire parlementaire, se mêlant même par moments à nos vicissitudes nationales.

C'est à eux qu'il fut donné, à plusieurs reprises, de créer, pour nos diverses assemblées, les salles nécessaires à leurs délibérations, de permettre, par exemple (1828-1832), à la Chambre de la Restauration, de siéger au Palais Bourbon sur le même emplacement que le Conseil des Cinq Cents; en 1848, à l'Assemblée constituante et à ses 900 membres de trouver provisoirement un abri dans la cour d'honneur de cet ancien

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hôtel du prince de Condé; ce furent chaque fois des tours de force professionnels et des prodiges de rapidité. Mais ce n'était rien encore pour l'architecte du Corps législatif auprès des tribulations que lui

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GEORGES DE JOLY (1864-1919)

valut l'«< année terrible » quand il fallut improviser, au grand théâtre de Bordeaux, les premières séances de notre Assemblée nationale, puis quand il fallut, en douze jours, la transférer au palais de Versailles, plus tard encore, quand il fallut permettre à la Constitution de 1875 de jouer matériellement par la coexistence de deux chambres susceptibles d'être réunies parfois en congrès. Edmond de Joly était passé maître dans ces transformations

magiques auxquelles il avait habitué son entourage et qui lui valurent d'être consulté pour les cas embarrassants de cette nature par les jeunes régimes parlementaires de l'Europe. On peut dire qu'il influa même sur la tournure des événements politiques quand il pesa, de ses objections techniques, sur les hésitations de M. Thiers qui préférait Fontainebleau à Versailles pour l'Assemblée nationale, car le chef du pouvoir exécutif n'eût peut-être pas trouvé, dans l'ex-résidence impériale, les avantages offerts par celle de Louis XIV pour triompher de la Commune. Ce fut enfin un véritable rôle diplomatique que fit jouer au père de Georges de Joly notre gouvernement de Défense nationale quand il lui demanda de négocier, avec le prince de Bismarck, l'évacuation militaire de Versailles pour y permettre les délibérations de la nouvelle assemblée; il déploya, dans cette mission si inattendue, une dignité et une maîtrise qui impressionnèrent le Chancelier de fer.

Tels furent les exemples et les souvenirs qui formèrent et encadrèrent la première enfance de Georges de Joly.

Son père lui fit faire ses études secondaires au lycée Louis-leGrand (1); il les termina au collège Stanislas, toujours dans les plus brillantes conditions, ayant remporté plusieurs prix au concours général.

Il fut admis à l'École Polytechnique avec le n° 6, en 1883, étant âgé de moins de dix-neuf ans.

Il en sortit quatrième, en 1885, et choisit la carrière des Ponts et Chaussées, de préférence à celle des Mines où il pouvait cependant prétendre. C'était encore l'époque où les récents programmes de M. de Freycinet ouvraient sur cette voie de larges perspectives.

M. de Joly entrait donc le premier de sa promotion dans le Corps auquel il voulait se consacrer, et il conserva ce rang pendant la presque totalité des trois ans qu'il donna à la vieille maison de la rue des Saints-Pères; une émulation assez vive mar

(1) Bachelier ès lettres en juillet 1881.

qua cependant le passage, à l'École des Ponts et Chaussées, de sa génération; cette émulation, l'Élève-Ingénieur de Joly contribua d'ailleurs grandement à l'aviver de sa propre ardeur.

On l'y voit se distinguer notamment en droit, en économie politique, en allemand, en composition littéraire; ses rapports de missions (dans les Basses-Pyrénées et le Service maritime du Nord) - une note sur les mines de fer espagnoles de Soumorostro, un mémoire sur les formes de radoub de Dunkerque lui valurent une mention particulière; ses projets d'architecture ne furent, bien entendu, pas ceux auxquels il portait le moindre intérêt, et son père pouvait se réjouir comme ceux qui croient vite aux prédestinations auraient pu s'amuser-de le voir, au concours de 1886 comportant, cette année-là, un projet de « phare du premier ordre », se disputer la meilleure note avec M. Blondel qu'il devait retrouver plus tard au même service des phares et balises pour s'y distinguer comme lui à tant de titres.

Il quitta l'École des Ponts en 1888, avec le n° 2, laissant le souvenir d'un élève hors ligne. Il fut chargé aussitôt (Arrêté du 23 juillet), selon l'usage attaché à son rang, d'une mission dans les pays scandinaves et en Russie.

L'Administration lui ouvrait vite la voie des relations avec

l'Étranger où les circonstances, ses aptitudes et sa réputation l'appelèrent tant de fois à recueillir des succès et des satisfactions d'un ordre rarement accessible aux fonctionnaires.

Rentré en France, il compléta sa première année de missions. tant au Secrétariat du Conseil général des Ponts et Chaussées qu'auprès de M. l'Inspecteur général Dupuy à qui était alors confiée l'étude des questions relatives à la résistance des ouvrages métalliques (1er février 1889—1er mai 1890).

Il quitta la résidence de Paris le 1er novembre 1889 pour celle de Vannes, où il fut nommé Ingénieur de l'arrondissement sud des services ordinaire et maritime du département du Morbihan; il se retrouva, comme dans sa première mission, sous les ordres de M. Georges Forestier, avec lequel des relations de famille le lièrent toujours; ces deux illustres Ingénieurs professèrent vite

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