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I

65 millions. Les intérêts industriels en jeu paraissent à eux seuls suffisants pour justifier une telle dépense. A ces intérêts s'ajoutent ceux, également très considérables, qui sont relatifs à l'alimentation régulière des nombreux canaux d'irrigation de la basse Provence et à l'extension 'éventuelle de la zone arrosable. Il convient aussi d'ajouter que le réservoir de Serre-Ponçon permettra d'obtenir une notable atténuation des crues.

Je ferai remarquer en passant que la capacité prévue pour ce réservoir représente assez exactement le cinquième du volume d'eau débité par la Durance dans une année moyenne. Cela justifie, pour les rivières de régime analogue, l'affirmation formulée plus haut, d'après laquelle on peut déjà obtenir une régularisation importante d'un cours d'eau avec un réservoir dont la capacité est égale au cinquième du volume d'eau moyen annuel.

Les frais de dévasement de ce réservoir seront très élevés. Je les ai évalués à 600.000 francs par an, mais ils ne représenteront qu'une faible fraction de la valeur de l'énergie qui sera récupérée en aval du barrage.

Le projet de Serre-Ponçon est à l'étude depuis une quinzaine d'années. La principale difficulté que l'on rencontre est due à la grande profondeur du rocher de fondation sous le lit de la rivière. Des sondages exécutés en 1899 ont montré que la profondeur maxima est d'au moins 42 mètres. Des sondages complémentaires ont été entrepris en 1912, mais ils ont été interrompus par une cause accidentelle. Il y a lieu d'espérer qu'ils seront repris et terminés prochainement.

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Barrage du Verdon. En vue de remédier aux pénuries d'eau agricoles de la basse Durance on a mis à l'étude, vers 1902, le projet d'un barrage à établir, à proximité de Gréoulx, sur le Verdon, important affluent de la Durance. Ce barrage aurait 53 mètres de hauteur utile et retiendrait 95 millions de mètres cubes d'eau. Ce projet, dont l'initiative est due aux représentants des populations agricoles de Provence, ne prévoit aucune utilisation industrielle des eaux du Verdon, ce qui, à mon avis, est une erreur. Il faut remarquer, en effet, que la

Durance fournit habituellement toute l'eau nécessaire aux arrosages et que c'est seulement une année sur deux environ, et pendant quelques semaines, qu'il pourra être nécessaire de faire appel à des réservoirs pour assurer complètement l'alimentation des canaux. Dans ces conditions, le réservoir de Gréoulx ne serait utilisé que d'une manière très intermittente, circonstance qui paraît de nature à justifier assez difficilement la dépense de 15 à 16 millions qui représente le coût de l'ouvrage. En tout cas, l'utilisation industrielle de la chute du barrage apporterait, au point de vue financier, un allégement très appréciable, dont on aurait bien tort de se priver.

Un autre barrage a été prévu sur le Verdon, à Caréjuan, à une cinquantaine de kilomètres en amont du précédent. La retenue aurait une hauteur de 75 mètres, et une capacité utilisable de 140 millions de mètres cubes. Il est prévu que ce réservoir serait d'une utilisation mixte. Tout en régularisant, dans une large mesure, le régime de la basse Durance au point de vue agricole, il permettrait l'utilisation, au barrage même, d'une chute fonctionnant avec un débit maximum de 20 mètres cubes et pouvant atteindre une puissance de 15.000 HP. De plus, la régularisation du régime du Verdon qui serait obtenue en aval, serait intéressante pour les autres utilisations industrielles de cette rivière.

Enfin, il faut remarquer que la création du réservoir de Caréjuan rendrait possible, sans préjudice pour les usagers d'aval, la dérivation de l'importante source de Fontaine-l'Évêque, qui débite 3.000 litres par seconde à l'étiage et dont l'adduction est. projetée pour alimenter en eau potable Marseille, Toulon et une cinquantaine d'autres communes.

Cet exemple montre quels sont les intérêts multiples qui peuvent s'attacher à la création d'un réservoir.

Enfin, d'autres emplacements de réservoirs ont encore été étudiés dans le bassin du Verdon. Je citerai : 1° le barrage de La Martre sur l'Artuby, qui retiendrait 80 millions de mètres cubes et pourrait être établi dans des conditions très économiques; 2o le lac d'Allos, dont l'aménagement est à l'étude

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depuis fort longtemps, et qui permettrait de créer une réserve de 40 millions de mètres cubes, avec une dépense inférieure à deux millions.

Ces deux derniers réservoirs auraient, l'un et l'autre, le caractère de réservoirs d'appoint, utilisables au cours de pénuries d'eau exceptionnelles. Celui de La Martre ne se remplirait guère qu'une fois par an, et celui d'Allos exigerait en moyenne trois années pour son remplissage.

Dans mon ouvrage La Durance j'ai fait l'étude détaillée, pour une période de 38 années (1874 à 1911), du régime régularisé du Verdon à Caréjuan, dans l'hypothèse de l'existence simultanée des réservoirs de Caréjuan, de La Martre et d'Allos, représentant au total une capacité utilisable de 237 millions de mètres cubes. Les résultats qu'on aurait pu obtenir auraient été les sui

vants:

Le débit du Verdon à Caréjuan peut descendre à 5 ou 6 mètres cubes en été, et à peu près au même chiffre aux basses eaux d'hiver.

Par le fonctionnement combiné des trois réservoirs dont il s'agit, on aurait pu maintenir le débit du Verdon à 20 mètres cubes pendant les mois de juillet, août et septembre, et à un minimum de 15 mètres cubes pendant les neuf autres mois de l'année. Grâce à la sécurité que donneraient les deux réservoirs d'appoint, on pourrait user très largement du réservoir principal, sans avoir à craindre d'être surpris par une pénurie d'eau exceptionnellement longue.

Le réservoir de La Martre n'aurait guère été utilisé que pendant une année sur deux, et, pendant cette longue période de 38 années, on n'aurait eu besoin que de recourir quatre fois aux réserves du lac d'Allos. Mais ces deux derniers réservoirs, d'ailleurs relativement peu coûteux à établir, auraient leur utilité, puisqu'ils permettraient, concurremment avec le réservoir de Caréjuan, de maintenir à 15 mètres cubes le débit d'étiage du Verdon.

Cet exemple montre que l'on peut, dans certains cas favorables, pousser à un haut degré la régularisation du régime d'une rivière.

CONCLUSIONS

La régularisation du régime des cours d'eau, au moyen de réservoirs, présente de nombreux avantages au point de vue de l'utilisation des forces hydrauliques, de l'atténuation des crues, et, dans certains cas, au point de vue de la navigation et des irrigations. Mais cette régularisation ne peut s'exercer que sur les cours d'eau des régions montagneuses, les seules où il soit possible d'établir de grands barrages. Si l'on considère un cours d'eau important, c'est donc seulement dans les parties supérieurés de son bassin que l'on pourra apporter des modifications profondes à son régime. A mesure que la rivière ou le fleuve s'avancera dans la plaine, les effets de la régularisation iront en diminuant progressivement.

Encore faut-il remarquer, que même dans les régions montagneuses, on ne trouve qu'exceptionnellement des conditions favorables à l'établissement de réservoirs. Mais là où ces conditions existent, il importe de réaliser ces utiles ouvrages.

Malheureusement les réservoirs coûtent fort cher et on ne peut en construire que lorsqu'il est possible d'obtenir une rémunération suffisante pour les dépenses d'établissement.

C'est principalement pour ce motif que l'on a dû renoncer à construire des réservoirs pour empêcher les inondations.

C'est également l'élévation de la dépense qui s'opposera, en général, à la construction de réservoirs dans l'intérêt exclusif de la navigation, et même des irrigations.

Par contre, l'utilisation industrielle des cours d'eau facilitera dans une large mesure la création des réservoirs. Pour tout réservoir établi sur un cours d'eau de quelque importance, la chute du barrage a une valeur fort appréciable, et il faut tenir compte aussi des améliorations, profitables à l'industrie, le que Réservoir permettra d'apporter au régime des cours d'eau en aval.

Dans la régularisation des cours d'eau on doit donc avoir principalement en vue l'aménagement des forces motrices qu'ils peuvent offrir à l'industrie. Les autres avantages que pourront

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présenter les réservoirs : atténuation des crues, et éventuellement l'amélioration de la navigation et des irrigations devront, en général, être considérés comme des accessoires de l'aménagement industriel des cours d'eau.

J'en arrive donc à formuler la conclusion suivante :

La régularisation des cours d'eau, dans la mesure où il est possible de la réaliser par la construction de réservoirs, apparaît comme une œuvre de la plus haute utilité.

Elle doit avoir pour principal objet l'aménagement de nos ressources en houille blanche par l'amélioration du régime des cours d'eau, amélioration qui se traduira par une augmentation du débit utilisable et du coefficient d'utilisation, c'est-à-dire par une augmentation de la production d'énergie dans les usines et une diminution de son prix de revient.

Le régimé commandé par les besoins de l'industrie comportera une atténuation plus ou moins sensible de la plupart des crues, et sera favorable à la navigation et à l'irrigation, par l'augmentation des débits d'étiage.

Les réservoirs donnent lieu, principalement pour leur établissement, à des charges considérables, dont une partie devra être compensée par l'utilisation de la chute des barrages, une autre partie par les bénéfices à retirer de l'amélioration du régime industriel des cours d'eau, et le surplus, en cas de besoin, par des subventions de l'État ou des collectivités intéressées.

En raison de leur caractère d'intérêt général, ou tout au moins d'intérêt collectif, il est indispensable que l'étude des réservoirs pouvant être établis dans les régions montagneuses de la France soit faite par l'État, et il est désirable que les pouvoirs publics fassent procéder à une étude d'ensemble, pour parvenir ensuite à la réalisation des divers projets dont l'utilité aura été reconnue, soit par l'État lui-même avec le concours des intéressés, soit par voie de concession avec allocation de subventions.

Grenoble, 27 juin 1914.

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