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gnats qui resteraient dans leur portefeuilles; mais aujourd'hui, que l'on se voit porté sur le rôle pour une somme beaucoup plus forte, on crie et l'on jette feu et flammes.

Du reste, il faut encore redire ce que l'on a déjà dit dans le dernier rapport, que l'on se plaint de l'arbitraire qui règne dans la perception de cet emprunt. Par exemple, on citait hier, au balcon du théâtre Feydeau, un teneur d'hôtel garni, rue de la Loi, vis-à-vis la bibliothèque nationale, qui, disait-on, est imposé à 6000 v. en numéraire et, par conséquence, à 600000 liv. en assignats, et qui n'a pour toute fortune que les meubles de son hôtel garni. On cite encore la maison de Cinot et Charlemagne, qui a été imposée à 18000 liv. en numéraire. Enfin, les avertissements que l'on a envoyés aux prêteurs qui doivent composer la 16° classe, ont jeté l'alarme dans tout Paris; car plusieurs d'entre eux n'ont pas même, pour toute fortune, la somme exigée.

Il n'est sorte de calomnies que n'inventent les royalistes et les malveillants, pour avilir le gouvernement et inspirer la défiance au peuple. Selon eux, l'emprunt forcé est destiné à payer les indemnités du directoire et des deux conseils; l'armée n'en aura pas un sol; cet impôt reviendra tous les deux ans, et le travail du directoire sur cet objet est déjà tout préparé; ce n'est plus Babeuf qui rédige sa feuille incendiaire, elle sort de la plume de Barras, membre d'un directoire qui souffre l'existence de la société du Panthéon, dont le but est de faire renaître les Jacobins de leurs cendres; une nouvelle Vendée éclatera bientôt dans le Lyonnais; les jeunes gens de la première réquisition vont se déclarer en rébellion dans différentes parties de la France etc. etc.

Grand nombre de ces messieurs doivent se rassembler ce soir chez les acteurs et actrices des grands spectacles, et notamment chez celles des Français, Emilie Coulat, Mézeray, Lange etc. pour y faire les rois. On y mangera des gâteaux à la fève, que l'on vend publiquement au palais Égalité.

Si les royalistes, les agioteurs et les autres contribuables se déchaînent contre l'emprunt forcé, les ouvriers au contraire et la classe [indigente] du peuple ne cessent de répéter, que l'on ne saurait trop frapper sur tous ceux qui ont concouru, par quelques moyens que ce soit, au renchérissement des denrées et marchandises; ils craignent que le gouvernement ne se laisse toucher par les réclamations, et le bruit s'est déjà répandu que les ministres en sont accablés. On disait hier au café Corrazza, que l'un d'eux, consulté sur un avertissement de 6000 liv., avait répondu que cet avertissement avait été fait à la hâte, et que l'on ne devait pas le regarder comme obligatoire de la somme entière, mais comme un avis pour

donner quelque chose; qu'eux-mêmes en avaient agi ainsi, puisque, sur un pareil avertissement, ils n'avaient donné que 60000liv. en assignats. Ce bruit a tranquillisé beaucoup de contribuables.

Aujourd'hui ce n'était plus le représentant Camus que l'on disait être ministre de la police, mais bien Merlin de Douay; „si Merlin convient à la justice, disait-on, pourquoi le retirer d'un ministère qui est sa partie, puisqu'il est homme de loi, pour le mettre à la police qu'il ne connaît point, n'ayant jamais passé au comité de sûreté générale, où il aurait pu en prendre une idée." Le public veut pour cette place non seulement un homme qui ait du mérite, mais le mérite de la chose.

Les plaintes se multiplient chaque jour contre les dilapidations de l'agence des subsistances; un tanneur disait, par exemple, que l'administration comptait au moins une fois plus de suif et d'huile qu'il n'en fallait pour apprêter les cuirs.

Parmi les agioteurs qui font la hausse et la baisse, on cite Delfis, rue des Petits-champs n. 48, et Boscalis, rue des Filles St. Thomas.

Les marchands d'argent réunis en groupe se disaient hier: ,,Sous peu de jours nous allons avoir un grand coup, et qui réussira mieux que celui du 13 Vendémiaire."

Le citoyen Réal avait proposé l'établissement d'un jury en commerce, composé d'honnêtes négociants, pour asseoir une imposition justement répartie; le Journal des lois en fait sentir aujourd'hui la nécessité, et assure que le gouvernement sera forcé d'en venir à cette mesure.

Clubs antirépublicains. C'est dans ces clubs influents qu'on ne parle que de mesures violentes, qu'on accuse les deux conseils et le directoire d'une coupable indulgence, qu'on sollicite le retour affreux de la terreur; et cependant, ces mêmes clubs accusent les deux conseils et le directoire d'avoir conçu d'aussi criminels desseins.

Agioteurs. L'Ami de la loi invite la police à jeter un coup d'oeil sur ce cloaque où se rassemblent les agioteurs; ils y demeurent la nuit, ils y obstruent tous les passages, et détériorent la promenade. Il vaudrait mieux, dit le journaliste, rouvrir la bourse, que de souffrir le rassemblement illégal de cette tourbe dévorante de fripons et de filous.

Armistice. La nouvelle de la suspension d'armes entre les généraux républicains et ceux de l'empereur, annoncée à tous les corps composant l'armée de Sambre et de Meuse, ainsi qu'aux avantpostes, a été reçue avec les plus vifs témoignages de satisfaction; car les armées sont épuisées de fatigue, et au milieu de la saison

la plus dure, la plupart des soldats, qui les composent, se trouvent sans vêtement, et le plus souvent sans grain.

Affiches. L'intérêt personnel joue le plus grand rôle dans les dénonciations nombreuses qui tapissent les murs de Paris, et l'un des effets les plus déplorables de ces écrits est, d'exaspérer les anciennes haines, d'en faire éclore de nouvelles, et de réchauffer un germe de guerre parmi les citoyens, qui éprouvent le pressant besoin de vivre en paix, et de laisser l'administration se livrer toute entière au soin de maintenir la tranquillité intérieure.

Mœurs et opinions. Malgré le mécontentement presque général, Paris est toujours calme. Néanmoins des plaintes, des murmures continuent de se faire entendre. Le peuple malheureux et souffrant accuse, sans cesse, le corps législatif et le gouvernement. Il se plaint surtout de la tolérance de ce dernier envers la secte dévorante des agioteurs, dont le nombre s'accroît chaque jour. On parle toujours d'une explosion très-prochaine. Des Chouans et des soldats de la compagnie de Jésus sont, dit-on, en très-grand nombre en cette ville.

On dit hautement que les conseils ne contiennent pas dix membres du même avis, et qu'aucun de ceux qui les composent n'a en vue le bien public.

L'esprit de la société du Panthéon est toujours le même.

On a remarqué que beaucoup de boutiques ont été fermées aujourd'hui, fête des Rois.

La malveillance répand le bruit, que l'armée de Charrette, toujours victorieuse, s'approche de Rouen.

Le bruit court également, que les armées du haut- et bas-Rhin vont très-mal et manquent de tout.

On paraît regretter que le représentant Camus n'eût pas accepté le ministère de la police. La voix publique y appelle toujours le représentant Mathieu.

L'ordre et la tranquillité ont régné dans les spectacles.

Pour extrait

Les commissaires du bureau central.

Houdeyer.<<<

» Paris le 17 nivose an 4 de la république française.

Esprit public. Malgré la continuité de calme, et quoique le prix des denrées ait un peu fléchi d'après le rapport de quelques inspecteurs, assertion contredite par beaucoup d'autres, nous ne

pouvons pas pour cela présenter un détail plus consolant, que ces jours passés, de la situation des habitants de cette grande commune. L'agitation des esprits est toujours la même. La difficulté habituelle de la vie fait éclater de tous côtés des plaintes et des murmures. Les pères de famille et les pauvres rentiers sont plongés dans la plus affreuse misère.

Si nous jetons d'ailleurs les yeux sur les objets relatifs à l'ordre public, à la politique et aux finances, nous n'apercevrons pas les choses sous un aspect plus favorable.

On se plaint de voir Paris aussi sale et le pavé aussi mal èntretenu, et des vols qui se commettent avec une effronterie sans exemple.

Les agioteurs, plus multipliés que jamais, trafiquent ouvertement, avec l'impudence la plus atroce et la cupidité la plus effrénée, de toutes les fortunes publiques et privées.

D'une autre part, si l'on considère tous les dangers dont la république est entourée, on verra que le petit nombre des royalistes qui soient encore de bonne foi gémissent sur leur sort, regrettant les formes de l'ancien régime, et, préférant le calme de la servitude aux orages de la liberté, désirent le retour de ses anciens maîtres sans crise ni déchirement. Les aristocrates effrénés au contraire, sans cesse en proie aux prestiges de l'illusion, tourmentés de la passion de reconquérir leurs prérogatives et priviléges, se livrent à toute la fougue de leur imagination. Ceux-ci, animés sans relâche de l'esprit de vengeance, mettent en œuvre tous les moyens de séduction et font jouir tous les ressorts de la malveillance, pour avilir et dissoudre la république. En opposition aux sectateurs de la Royauté, si l'on veut faire attention aux nouvelles sociétés réunies au Panthéon, Maison de Noailles, et autres endroits, composées de patriotes exagérés, on reconnaîtra sans peine, que ces démagogues outrés voudraient que, comme eux, on eût en exécration tous les individus qui ne partagent pas leurs opinions; ils ne daignent pas même les apprécier, et, pour peu qu'un de ces malheureux proscrits dise ou fasse quelque chose de bon et juste opposé à leurs sentiments, ils l'égorgeraient sans pitié aux pieds de leur idole. Tel est l'esprit des conversations recueillies dans beaucoup de maisons particulières.

Cafés. Les entretiens des cafés ont particulièrement roulé sur la guerre, l'emprunt forcé, et la cherté des subsistances. Entre autres choses on y disait que la suspension d'armes n'avait été consentie par le directoire exécutif que pour parvenir à réorganiser l'armée de Sambre-et-Meuse, presque entièrement détruite par les défaites qu'elle a essuyées, qui ont coûté, ajoutait-on, plus de

50 mille hommes à la république. On prétendait encore que dans la Vendée nos troupes ne sont pas en meilleur état, et que c'est pour cette raison que le gouvernement garde le silence.

L'emprunt forcé, comme nous l'avons déjà observé plusieurs fois, est regardé par les uns comme une mesure salutaire, par d'autres il n'est considéré que comme un moyen d'opérer de plus en plus la dépréciation de l'assignat, de tolérer ouvertement l'agiotage, de soumettre le public à l'arbitraire, aux vengeances particulières, et finalement comme l'expédient le plus propre à ruiner sans ressources un grand nombre de citoyens.

Quelques inspecteurs rapportent que l'on rencontre dans les cafés un grand nombre de particuliers qui se lamentent de la dureté de leur position, et qui s'écrient avec amertume: „Avec mille écus de rentes, que nous doit la république, nous n'avons pas le moyen de nous procurer un morceau de pain.“

Spectacles. A celui de la République, l'orchestre a joué le chant du départ et l'hymne des Marseillais. Les jeunes gens ont fait beaucoup de bruit, et demandé les folies d'Espagne. Un militaire s'est fâché, et les a traité de chouans. La pièce, qui a commencé à l'instant, a terminé la discussion. 1

Pain. Les plaintes et les réclamations sans nombre, dont les distributions des boulangers étaient le sujet, commencent à devenir beaucoup moins fréquentes; c'est peut-être un des heureux effets de la réforme, qui vient de s'opérer, de plusieurs de ces boulangers dont le public était le plus mécontent.

Les commissaires du bureau central.
Houdeyer. << 2

1 Par un arrêté du 18, le directoire ordonna de faire jouer aux différents spectacles la Marseillaise, l'air Ça ira, Veillons au salut de l'empire, et le Chant du départ; mais il défendit le Réveil du peuple.

2 Dans la série des rapports, il y a ici une lacune de trois jours, causée probablement par le changement de ressort. (V. la fin du chap. II. de notre Sept. Partie. T. II. p. 442). Le nouveau chef, le,,ministre de la police générale de la république“, Merlin de Douai, adressa aux,,membres du bureau central de la commune de Paris“ la lettre du 17 nivose (7 janvier 1796). dont nous avons déjà parlé, et dans laquelle il dit entre autres:,,Comptant sur vous, et sur tous les bons citoyens, j'ai accepté; je suis en fonctions. Maintenant, citoyens, il nous faut marcher. Nous avons une immense cité à régénérer... Rendons Paris sûr, établissons-y la salubrité, donnons-lui des moeurs... Prévenez nos concitoyens de notre commune

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