Page images
PDF
EPUB

Esprit public. On parle partout d'un nouveau 13 vendémiaire, mais on n'est pas d'accord sur le parti qui le provoque; les patriotes en accusent la nuée de conspirateurs et de royalistes qui remplissent les maisons garnies, et auxquels la police ne fait aucune attention; les royalistes disent à leur tour que c'est le Panthéon qui fomente les troubles, et qui provoque la guerre civile.

L'on a entendu dire dans un café de la rue du Roule, par deux étrangers que l'on croit Belges ou Flamands, qu'il y avait deux membres du directoire sur lesquels on ne pouvait compter et qui favorisaient les terroristes; que l'on était sûr des autres; que les buveurs de sang voulaient remuer, mais que l'on saurait les contenir, et que l'on n'épargnerait pas l'émétique. Ce dernier mot, qui les faisait rire, était prononcé de manière à signifier que l'on se disposait à traiter les patriotes à Paris, comme on fait à Lyon; ils ont ajouté: Aux grands maux, les grands remèdes.

Des patriotes du midi disaient hier au café Corrazza que, si le gouvernement ne déférait pas aux instructions qu'ils étaient venus lui donner sur les derniers massacres du midi, et ne détruisait pas la compagnie du soleil, ils formeraient une compagnie de la lune, pour exterminer tous les Chouans et les royalistes.

On paraissait alarmé de la suspension d'armes convenue avec l'Autriche. On a répandu hier que le directoire y avait refusé son assentiment, et cela a tranquillisé les esprits, en persuadant que cette mesure n'avait pas été proposée par nos généraux.

On lisait sur une affiche, au palais Égalité: Manufacture de cire1 à frotter, au Luxembourg.

Houdeyer.<<

Rapport spécial sans date, évidemment du 12 nivose an 4.

[ocr errors][merged small]

»Société du Panthéon. Café Chrétien. J'ai suivi exactement le café Chrétien, où, inter pocula, et une fumée épaisse de tabac que les habitants du midi résidants depuis très-longtemps à Paris y faisaient, j'ai reconnu le fonds de leurs intentions bien mieux que dans la vaste enceinte du Panthéon. Dans cette enceinte l'on tâche de faire paraître des ridicules, afin d'en venir à son but; mais dans le petit coin réservé du café, l'on y débite tout ce qu'il y a de plus clair contre le gouvernement, pensant qu'il n'en sortira

1 Encore un jeu de mots dirigé contre les Sires composant le directoire.

rien, et que cela servira seulement de mot d'ordre à tous les chefs de la réunion. Cela ne réussit pas mal; et hier j'ai obtenu dans ee petit comité, plus que dans l'assemblée, le secret de l'état. Le résultat de la séance prouve bien où l'on en veut venir; mais, comme il n'est pas temps encore, on n'ose pas se démasquer. Pour voir ces hommes tels qu'ils sont, voici comme on doit les regarder. Ils font tout ce qui leur est possible pour d'abord se placer exclusivement, et, s'ils y réussiraient [sic] alors ils déploieraient leur volonté; et ils feraient alors si bien que, se montrant à découvert, ils prouveraient vigoureusement qu'ils ne veulent pas du gouvernement actuel, qu'ils disent être très-inquisitorial, ni de la constitution de 1795, la dernière, mais bien voici le mot de l'énigme de celle de 1793; parce qu'alors, suivant leur goût, les Sans-culottes, sans moyens, mais se disant bien patriotes, seraient en place. En effet, quoi de plus ridicule que de voir actuellement sans place des hommes qui ont fait la révolution, et qui, quoique ayant déjà mis du foin dans leurs bottes, voudraient être les seuls, pendant toute leur vie, capables de remplir les places. Et encore comment? Sans doute, toujours en augmentant le titre; car vous ne pourriez pas donner à un de ces Patriotes par exclusion, qui p. ex. aurait été commis, une place de garçon de bureau, mais bien celle de chef; à celui-là, qui aurait été lieutenant, une place de caporal, mais bien une place de Commandant de place; car ils ne voudraient pas accepter ces emplois, en ayant eu de supérieurs. Ainsi donc, toute cette ambition culbutera tout ce que l'on a fait jusqu'à présent. Je l'ai dit, leur intention est le retour de la constitution de 1793. Je laisse au magistrat à voir ce qu'il doit faire. Hier Roussillon, après avoir lu les journaux les plus perfides, mais toujours prêts à soutenir la représentation nationale, a dit:,,Jusqu'à quand tarderonsnous à dire aux représentants, si les représentants sont ...; les représentés le sont pour le moins autant." Et par suite de ses vociférations il a dit que tels hommes en place étaient aussi patriotes que Cobourg, et que celui-là voulait de la constitution de 1791, parce qu'il y avait un roi; qu'enfin tout tendait au plus affreux despotisme." L'on a dit que le ministre de la justice [Merlin de Douai] était plus grand Tartuffe que celui de Molière, qu'il forçait tous les employés patriotes à sortir de ses bureaux, qu'il les traitait indignement; on en dit autant de Benezech; il n'y a pas d'amertume que l'on ne fasse boire aux gens en place. Lorsque Fréron, qui sera nommé ministre de la police,1 sera en

1 Cette espérance des patriotes", nourrie le 11 (V. le rapport qui précède), fut frustrée le 12, par la nomination de Camus.

place, cela ira mieux; l'on dit qu'il soutiendra les jeunes gens; cela n'est pas vrai, puisqu'il vient d'en faire fusiller 1500 à Marseille. Enfin, tant que ceux qu'ils veulent porter aux places n'y seront pas, ils ne seront pas contents. Mais, demande-t-on, comment se peut-il que des individus qui depuis fort longtemps sont à Paris vivent sans revenu et à rien faire, et qu'ils dépensent jusqu'à 400 liv. pour leur dîner, comme s'en est vanté l'un d'eux avant-hier? De quel côté un Féru, Marseillais, contre lequel Fréron avait obtenu un décret d'arrestation, et que ce Féru porte aux nuées aujourd'hui comment, et de quel côté, ce Féru reçoit-il de l'argent pour ses dépenses excessives? Est-il bien? A-t-il de la protection? Je n'en sais rien. L'on a parlé aussi de Lebois; mais, crainte de gâter les affaires, l'on a mieux aimé ne travailler qu'en secret et n'en rien dire à la société. Hier1 à 9 heures 1/2 il a été conduit chez le juge de paix de la section de l'Ouest, et il y a subi interrogatoire. Ce juge de paix a été nommé par le Directoire, à l'instigation du ministre de la Justice; et l'on peut juger par la phrase ci-dessous, combien il est royaliste. En parlant de Le Bois, dans une lettre qu'il écrivait à Merlin de Douay, il dit: „C'est un jeune homme de 27 ans qui a de l'énergie, et il est bien malheureux qu'il soit porté à cet excès; il serait bien mieux placé, s'il voulait embrasser toute autre cause."<

»13 nivose an 4. Continuité d'agitation et de mécontentement. La classe indigente et malheureuse, constamment fatiguée de sa pénible position et de ses souffrances interminables, ne peut se défendre d'un sentiment profond d'indignation et de haine contre ceux qu'elle regarde comme les auteurs de ses maux. Les agioteurs principalement sont exécrés, le nombre en augmente toujours. Ces fripons, non contents de se livrer à cet infâme commerce, font encore le métier de voleurs. Les gens de campagne sont vus de trèsmauvais oeil, ainsi que le corps de tous les marchands en général, notamment les boulangers et les bouchers, dont la cupidité et les prévarications présumées excitent toujours les plaintes et les murmures. Le public exaspéré se répand en propos injurieux contre les agents des subsistances et les autorités constituées. Le gouvernement lui-même n'est pas épargné. On parle beaucoup des sociétés de patriotes qu'on dit très-nombreuses. Ces réunions donnent lieu à beaucoup de conjectures et d'inquiétudes; on va jus

1 Evidemment, le 11. V. le rapport qui précède.

qu'à dire que ces sociétés ne sont composées que de terroristes et Jacobins ressuscités, dont on craint l'influence et les maximes pernicieuses.

L'arrivée des députés prisonniers en Allemagne a satisfait le public, qui les a accueillis au sein du corps législatif avec des marques non-équivoques d'une véritable allégresse.

Un inspecteur rapporte que les patriotes et les royalistes. mêmes s'accordent à dire, que le gouvernement persiste à dissimuler les effets désastreux de la guerre dans la Vendée.

Il y a eu hier une grande discussion à la société du Panthéon au sujet du ministre de l'Intérieur, par lequel cette société a été dénoncée comme ayant mis en question dans son sein, si on maintiendrait la Constitution et le directoire exécutif; il a été décidé, qu'il y aurait aujourd'hui une séance extraordinaire, et qu'elle serait pour envoyer une députation au directoire, pour démentir ce fait et y dénoncer les agents du ministre comme faisant de faux rapports.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.
Houdeyer.<<

»13 nivose an 4. Café Chrétien. Les habitués n'étaient pas en grand nombre hier, à cause de l'assemblée du Panthéon. L'arrestation de Lebois fait toujours le sujet de leurs discours. „Pourquoi, disent-ils, arrêter un écrivain patriote, et protéger les journalistes chouans, le Courrier français, celui de Paris, le Messager du soir etc.! Au reste, il n'est pas étonnant que cela soit ainsi, puisqu'on favorise ouvertement les scélérats, tels que RicherSérisy1 et d'autres. Mais, patience! sous peu nous serons

vengés."

Il paraît que leur intention est toujours d'exciter un mouvement, puisqu'ils engagent ouvertement les ouvriers à s'enrôler dans leur société.

Royalistes. Ils se sont beaucoup réjouis au palais Égalité, et dans les sociétés particulières, de l'issue du discours de Thibaudot [Thibaudeau] sur la vérification des élections du nouveau tiers. Cela donne un grand espoir, disaient-ils, pour le rapport de l'exécrable loi du 3 brumaire, bien digne des massacreurs de Vendémi

1 Rédacteur de l'Accusateur public, compris dans l'affaire Lemaître.

aire." Le jugement du jury d'accusation dans l'affaire de RicherSérisy les a également comblés de joie; ils le regardent comme un soufflet donné au directoire qui, disent-ils, a fait arrêter nuitamment tous les membres du tribunal.

Ils disaient hier au théâtre de la rue Feydeau, que les députés longtemps prisonniers en Autriche, et rentrés au Conseil des 500, étaient de nouveaux Roitelets, qui venaient s'établir pour s'engraisser.

Ils accusent la marche du gouvernement d'être révolutionnaire, et en prennent à témoins la loi du 3 brumaire, celles de la réquisition et de l'emprunt forcé.

Esprit public. L'on parle toujours dans le public de l'affaire de Jobaymé. L'on ne revient sur ce sujet. . que pour faire comprendre, que cette affaire de parti peut avoir des suites fâcheuses pour la tranquillité publique; car personne n'en parle de sang froid, soit pour, soit contre; on y met autant de chaleur qu'on en mettait autrefois pour Marat et pour Brissot.

.. On a prétendu au café Corrazza, que le ministre de l'intérieur avait fait insérer dans un journal, que l'on rencontrait des coupe-têtes dont la figure sinistre annonce le désir du retour de l'anarchie, et que l'on distinguait parmi eux Jourdan d'Avignon. Cela a été trouvé d'autant plus ridicule, qu'il est de notoriété publique, que ce Jourdan a été guillotiné. Ce qui a pu donner lieu à ce quiproquo, c'est qu'effectivement il y a maintenant à Paris un autre Jourdan, qui fréquente le café Chrétien, et qui est aussi dangereux que l'autre.

Beaucoup de citoyens blâment le gouvernement de ne point sévir contre ses détracteurs, et disent que c'est sa faiblesse qui enhardit ainsi les terroristes et les royalistes.

On reproche au gouvernement d'avoir favorisé la rentrée des émigrés que l'on accuse d'être la principale cause des progrès excessifs de l'agiotage; et l'on attend avec la plus grande impatience la nomination du ministre de la Police1 pour surveiller tous ces ennemis de la chose publique.

Le recouvrement de l'emprunt forcé fait renaître la confiance dans les assignats; le peuple commence à espérer que dans deux mois ils ne perdront pas moitié. Les agioteurs sont déconcertés. On craint que beaucoup d'entr'eux, surtout les plus riches, n'échappent à cet emprunt, leur fortune n'étant point à découvert. On cite un nommé Renard, 2 rue St. Pierre Montmartre, qui n'est point 1 Il s'agit de la journée du 12, où l'on ne savait pas encore la nomination de Camus.

2 Autre rapport:,,Regnard."

« PreviousContinue »