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qui résulte de cette ignorance de ce qui s'est passé, ajoute à la mauvaise humeur du public.

Dans les groupes qui s'étaient formés au jardin des Tuileries, on a remarqué que la malveillance avait cherché à profiter de la circonstance, pour aigrir les esprits et les provoquer à la sédition. Voici les propos qui ont été proférés et entendus. „Cela ne peut pas durer; il faut en finir; autant vaut mourir de toute autre manière que de mourir de faim."

Dans un autre groupe, des individus murmurant contre les autorités ajoutaient: „Il n'y a rien de décidé, ils ont tant gaspillé, ils ne savent plus de quel bois faire flèche." Le fanatisme le plus bête vient encore renforcer ces exclamations et, se mêlant dans la foule, persuade aisément que le mauvais temps est l'effet de la colère de dieu.

Ces propos fermentant dans toutes les têtes, et les comparaisons du temps de Robespierre à celui-ci, du règne de la terreur à celui des honnêtes gens, et les autorités et les citations tirées du journal de l'Ami du peuple voilà tout ce qui compose l'esprit de ces groupes.

Dans les cafés, on augurait bien de cette indécision du comité général, ou plutôt de sa lenteur dans l'examen de la question qui l'occupe. On l'examinait sous toutes les faces. Donnera-t-on un cours forcé aux promesses de mandats dans leur valeur nominale? N'auront-ils cours que d'après celui de la bourse? Qui déterminera le cours? Pourra-t-on assujettir le commerce et les marchands à suivre et à se conformer au cours déterminé par des lois? Faut-il des peines pour ramener la confiance et, surtout, la bonne foi? Telles étaient les questions que l'on se faisait, que l'on discutait, non sans continuer, comme on le fait depuis quelque temps, à verser le blâme sur le conseil des 500.

Cependant l'agiotage gagne toujours du terrain, la misère accroît les plaintes et les murmures des citoyens. Le jardin Égalité et la promenade des Champs-Elysées offrent le spectacle du plus hideux libertinage. Les soldats et les filles de débauches remplissent les cabarets et les lieux publics, et ce spectacle ajoute encore à l'irritation des esprits.

Spectacles. La plus grande tranquillité, la plus parfaite indifférence, point de conversations, ni sur les finances, ni sur le gouvernement; les affaires extérieures occupent peu, on se demande des nouvelles, et la seule réponse est,,rien de neuf." On a chanté les hymnes patriotiques sur très peu de théâtres. Excepté celui des Arts, les grands théâtres n'en ont point chanté, et le public n'y fait pas d'attention. Les femmes murmurent de la nécessité qu'on

leur impose de porter la cocarde, et du refus de la garde de les laisser entrer, si elles n'en portent pas.

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Les membres du bureau central.
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»27 mess. an 4. Esprit public. Les esprits s'occupent toujours des mandats, des moyens de subvenir à leurs dépenses, de faire honneur à leurs engagements, et de se mettre à l'abri de la misère et de l'infortune. Le mandat ne paraît plus pouvoir se soutenir, ni même atteindre le huitième de sa valeur nominale, d'après l'évaluation du prix de la livre du blé; il perd même tous les jours, et cet état irrite la classe la plus nombreuse, la plus souffrante. ,,Les législateurs ne savent plus où ils en sont", s'écrie-t-on, „après avoir fait des dépenses énormes; tout va finir par des promesses qui se réduiront à rien. Que ne laissait-on les assignats? Ils circulaient, et le nouveau papier est rejeté de toutes parts. Quel parti prendre?" Cependant, malgré cet état d'angoisse et d'inquiétude, on s'entretient partout des victoires et des succès de nos armées, on en parle même avec enthousiasme, on regarde cette campagne comme devant être la dernière, et la paix se présente avec tous ses avantages.

Dans les cafés, les paris se font que la paix sera proclamée avant l'hiver, que le gouvernement s'en occupe, et presse vigoureusement les puissances belligérantes, pour les amener à ce but si désiré. L'opinion publique se radoucit, et les individus suspendent un instant leurs inquiétudes pour sourire à l'espérance d'une plus heureuse situation.

La nouvelle, qui se répandait, de l'entrée des Français dans Francfort, le tableau que l'on faisait de la situation de nos ennemis, situation que l'on présentait plus affreuse que celle où nous étions sous les rapports du commerce et des finances, ne contribuaient pas peu à réconforter l'opinion et à l'attacher au gouverne

ment.

On s'entretenait aussi de la convocation prochaine des assemblées primaires pour la nomination des municipalités, on manifestait des craintes qu'elles n'engageassent quelques troubles; mais il paraît aussi, que les mesures les plus sages seront déployées pour empêcher non seulement le plus léger mouvement, mais même pour en faire sortir les choix les plus sages et les plus capables d'inspirer la confiance.

En général, et si l'on en excepte les finances et les mandats, l'esprit public se montre sous les formes les plus rassurantes; chacun, malgré ses inquiétudes, se pénètre de la nécessité de soutenir le gouvernement, et, dans les conversations qui ont été recueillies, il y a été remarqué plus d'humeur, de chagrin, que de malveillance. Spectacles. Il y avait très peu de monde et par conséquent beaucoup de calme et de tranquillité. Le théâtre de la Cité, où l'on représentait l'Intérieur des comités révolutionnaires, était rempli de spectateurs; et cette pièce, très-applaudie, n'a fait naître ni querelle ni lutte d'opinions, tout s'y est passé avec décence, et l'ordre n'a point été interrompu.

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Nous y insérons encore un bulletin sans date, qui, comparé avec le rapport du 25, peut être assigné au 26, ou à l'un des trois derniers jours de messidor an 4.

>> Si l'on examine de près l'esprit public, on reconnaît des Français qui sont amoureux de la gloire, dont l'enthousiasme, au récit des victoires et des nombreux et rapides succès des armées républicaines, atteste un attachement sincère et durable au gouvernement constitutionnel. Un étranger, spectateur de ces mouvements et de cette joie, ne concevrait pas le délire des conspirateurs et celui des puissances voisines, qui pensent détruire un gouvernement, une nation, dont les sentiments sont si vivement exprimés; il emporterait même l'idée, que rien n'est plus facile, rien n'est plus doux, que de gouverner un semblable peuple.

Mais, si l'on examine aussi l'esprit public sous les rapports de la situation des finances: les mêmes idées ne subsisteront plus. La misère représentée sous les formes les plus hideuses, le luxe sous les dehors les plus insolents, un papier discrédité par la cupidité, des lois méprisées, des agioteurs effrontés, des marchands qui repoussent le consommateur qui n'est porteur que de papiers, mille voix qui appellent la sévérité du gouvernement, le silence des autorités, la fortune publique et les fortunes privées livrées à l'insatiable avarice alors il concevra, que les ennemis du bon ordre et de tout gouvernement peuvent facilement profiter des circonstances pour tout troubler et renverser; que les puissances ennemies se

consolent des défaites qu'elles éprouvent au dehors, par les succès qu'elles peuvent remporter au dedans; et que, pour maintenir la tranquillité intérieure, il est indispensable d'employer la sévérité, la rigueur même, contre les dépréciateurs de la monnaie.

Aussi entend-on dans quelques groupes ces mots: „Eh, qu'importe la victoire, et des succès, à celui qui ne peut vivre! Que le gouvernement fasse respecter les lois et punir les réfractaires à ces lois."

On est étonné du langage effronté des agioteurs, qui sous la surveillance la plus active prétendent,,défendre leur place; qu'on ne les en tirera qu'à coups de canon, mais qu'auparavant ils extermineront tous les mouchards." Cette lutte de ces misérables est scandaleuse, et l'étonnement du public ne peut se rendre.

Un orateur insolent, amateur de l'anarchie et du code de 1793, a été arrêté au café Procope, au grand contentement des spectateurs et auditeurs.

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Le peuple est toujours dans une grande inquiétude sur les mesures que prendra le gouvernement, pour donner de la valeur aux mandats. Les marchands ne veulent plus vendre qu'en numéraire, et dans la plupart des départements on ne veut pas de mandats. Le public continue à vomir des imprécations contre le gouv. de ce qu'il ne fait rien pour réprimer la cupidité des agioteurs, et de ce qu'il ne taxe pas les denrées à un prix où la classe indigente puisse atteindre.

Commerce. Le prix du pain était de 50 à 70 francs la livre; on le vendait aussi en argent à raison de 3 sols.. A la halle aux farines, la vente ne se fait toujours qu'en argent, sur le pied de 3, 4 à 5 sols la livre.

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III. Bulletin du 18 thermidor an 4 (5 août 1796).

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Les nouvelles sur la paix, sur la situation des armées, sur la mort de l'empereur et l'assassinat du prétendant, sont reléguées dans quelques journaux; il n'en est plus question dans les conversations, dans les bals, les spectacles, chez Ruggieri; il n'est question

que de fêtes, de parties de plaisir, et de numéraire. Les affaires publiques, la situation et les embarras du gouv. n'occupaient personne. C'est dans ces endroits que l'on semble être en pleine paix et au sein de l'abondance; ce n'est pas là qu'il faut sonder l'esprit public; l'on n'y trouverait que celui de l'égoïsme et de la plus grande insouciance.

...

Dans les conversations, dans les cafés, on n'entend que ces mots:,,Toujours des victoires, et point de paix! Quand viendra-t

elle?"

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Voilà le dernier rapport de l'année 4. Il semble que les troubles de fructidor ont fait déplacer une grande partie des actes. Dans la nuit du 10 au 11 fructidor (du 27 au 28 août 1796), celle où Babœuf et ses complices devaient partir pour Vendôme, il y eut, dans divers quartiers de Paris, des mouvements qui n'eurent aucune suite. Dans la nuit du 23 au 24 fructidor (du 9 au 10 septembre) six à huit cents Patriotes ou Jacobins, conduits par des ex-conventionnels terroristes, se mirent à soulever l'armée du camp de Grenelle; le complot échoué, un grand nombre des conjurés, parmi eux Javogues, furent condamnés à mort et exécutés. V. l'Hist. parl. T. 37 p. 168 ss. Les dates indiquées par Thiers, hist. de la rév. fr. chap. 48 (le 12 et le 22 fructidor) sont fausses. Quant à l'histoire de la crise financière, on peut consulter l'un et l'autre de ces ouvrages.

Dès lors, il y a des lacunes considérables dans nos papiers. Aussi, les bulletins journaliers du bureau central disparaissent tout-à-fait. Au lieu d'eux nous trouvons des comptes décadaires, mensuaires et annuaires, rendus en partie par le bureau central, en partie par le commissaire du directoire exécutif près l'administration centrale du département de la Seine, et par cette administration centrale elle-même.

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