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n'avait osé les refuser, qu'on ne manquait de rien, qu'enfin ce temps était le règne de la bonne foi et du bonheur. Ces réflexions sont applaudies; quels sont les auditeurs? Des ouvriers, des femmes qui paraissent être marchandes en détail sur les carreaux des marchés et des halles, des individus qui sont payés de leurs marchandises et de leurs travaux en numéraire, ou pour qui le mandat a une valeur réelle, puisqu'il ne passe dans leurs mains qu'au cours.

Ce n'est pas dans ces groupes, où il n'y a qu'un esprit de mutinerie et de sédition, mais sans moyens et sans audace, qu'il faut chercher l'esprit public. Le véritable esprit publíc se trouve dans ces rassemblements paisibles où l'on pose en principe, que ce sont ceux-là qui ont fait la révolution, ou qui prétendent l'avoir faite, qui veulent le renversement du gouvernement républicain; et que les plus fermes appuis de la république sont ceux qui ont toujours évité les mouvements révolutionnaires. Examinez-les de près, vous verrez dans ces individus fondateurs de la république des hommes turbulents qui craignent le retour de l'ordre; examinez les autres, vous n'y verrez que des citoyens qui se plaignent des obstacles qu'apportent toutes les factions et tous les intérêts particuliers à l'affermissement de la constitution.

Les uns blâment avec la douceur et la tranquillité du raisonnement, les autres déchirent avec fureur toutes les autorités. Ceux-ci veulent tout désorganiser; ceux-là veulent des opérations claires, simples et méthodiquement basées sur les principes de l'intérêt public et général.

Tel est le fond de l'esprit public, tel est celui que l'on remarque dans les discours, dans les opinions de la majorité, et non dans ces groupes que la force armée harcèle et dissipe sans cesse.

En général, on se plaint de toutes parts; mais la tranquillité règne et ne paraît pas devoir être troublée. On s'occupe peu des affaires extérieures, ni de celles de la conspiration. Tous les esprits sont portés sur notre système de finances, et les efforts du corps législatif et ceux de l'agiotage. On espère, on attend.

Spectacles. Tout ce qui tend à désoler les terroristes, les Jacobins, les anarchistes, est accueilli favorablement; il n'y a ni désordre ni indécence; quelques spectacles oublient les chants patriotiques, on ne réclame point contre cet oubli; lorsqu'on les chante, l'on sort et l'on est très-froid et très-indifférent.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Cousin. << 1

Ce même jour, 18 messidor, les trois membres du bureau central,

» 19 mess. an 4. Esprit public. Les plaintes et les murmures sur la situation actuelle de nos finances sont suspendues par les nouvelles officielles de nos succès. Depuis quelques jours on paraissait insensible à toute espèce de nouvelles. Succès ou défaites, nouvelles vraies ou fausses, rien ne pouvait détruire l'espèce de stupeur et d'engourdissement qui enveloppait tous les esprits. Tout semble prendre une âme, et d'après les observations qui ont été faites, il n'y a pas même jusqu'au royaliste qui ne s'accoutume à voir nos triomphes par un bon côté, et qui n'approuve par intervalles quelques mesures du gouvernement.

Si ce n'est pas la joie, c'est au moins l'espérance qui a fait place à l'abattement. Toutes les réunions, cafés, groupes, sociétés particulières, offraient un tableau intéressant, et les avantages de la paix étaient démontrés comme si elle était proclamée. C'est alors, disait-on, qu'il sera facile à tous les esprits de se convaincre que la république française n'est pas une chimère, que la France était susceptible de s'appropier cette forme de gouvernement, et que le caractère de ses habitants peut non seulement s'y ployer, mais qu'il était fait pour être libre, indépendant et sans maître.

La nation Anglaise était vouée dans ses conversations à toutes les horreurs et à toute la misère que son gouvernement a, depuis quatre ans, soufflée dans la France; et cependant, on exprimait le désir de voir une paix générale.

Le spectacle hideux de l'agiotage, le concours prodigieux de ses suppôts, affaiblissaient les jouissances que l'on avait eues en parcourant les nouvelles de tant de succès. On cherchait les moyens que le gouvernement pourrait prendre pour adoucir le sort de tant de citoyens qui souffrent du discrédit du papier, on ne les trouvait que dans la fermeté qu'il saurait déployer, et l'on se rejetait sur la paix qui peut seule tracer aux gouvernants une ligne droite, de laquelle les dépenses multipliées de la guerre et des administrations, qu'elle nécessite, les forcent de s'écarter.

Les expressions sont plus mesurées, les blasphèmes et l'outrage ne couvrent plus le corps législatif; le calme, la tranquillité et la patience sont dans tous les groupes, et les déclamations violentes de quelques individus ne peuvent plus commander l'opinion publique.

Limodin, Cousin et Bréon, furent introduits à la barre du Conseil des Cinqcents, pour avoir signé des mandats d'amener contre plusieurs représentants (V. les notes aux rapports des 19 et 22 prairial). Après avoir entendu Limodin, le Conseil déclara, sur la motion de Cambacérès, qu'il n'y avait pas lieu à accusation contre les membres du bureau central. Voir le Moniteur du 22 messidor (10 juillet).

Spectacles. Le théâtre de la rue Feydeau était le seul qui fut rempli de spectateurs; l'hymne y a été chanté, et tout a été calme et tranquille. Les autres n'ont pas été troublés, et l'omission des chants patriotiques, dans quelques-uns, n'a donné lieu à aucune réclamation.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Bréon.<<

» 20 mess. an 4. Esprit public. L'esprit public est généralement bon, on ne remarque point de l'effervescence, point de frénésie et de vociférations. Les conversations sont réservées, froides et tranquilles. On dirait même, que chaque individu, en s'entretenant du discrédit des mandats, devient étranger à cette monnaie, et qu'elle n'est que celle du gouvernement, dont on calcule et les besoins et les inquiétudes.

Dans les cafés, on craint que tous les employés des diverses administrations ne donnent leur démission, vu l'impossibilité où ils se trouvent de pourvoir à leurs premiers besoins, par l'insuffisance de leurs appointements qui résulte du discrédit du papier. On craint que l'ignorance et l'improbité ne soient à l'affût, pour se présenter et occuper les places vacantes. On observe cependant que cette crainte est mal fondée, et l'on représente que, quelques professions que ces employés embrassent, ils se trouveront toujours avoir du papier. (Conversation du café Valois.)

On fait courir le bruit que les juges et les administrateurs ont donné leur démission; on va plus loin, on dit que les membres du directoire, indignés de voir la chose publique compromise, la forfune publique presque renversée, doivent sous peu donner leur démission; que, craignant le mauvais esprit des troupes campées aux environs de Paris, ils ont fait afficher un arrêté dans les camps par lequel ils invitent ceux qui sont disposés à quitter le service, à retourner dans leurs foyers. Ces bruits se répandent, affligent et jettent la terreur dans tous les esprits des bons citoyens. C'est au café Corraza que ces nouvelles se débitent et se recueillent.

Le mandat loin d'augmenter perd, et cependant l'espoir reste. On ne peut pas croire que le corps législatif soit insensible à la situation actuelle. On ne doute pas de l'activité du directoire; on dit partout, qu'il sollicite sans cesse des mesures, et qu'il ne déguise pas aux membres du conseil des 500 tous les rapports qui lui sont faits de tous les départements; que le corps législatif est

instruit que, si l'on ne remédie promptement aux désordres de l'agiotage, toutes les parties de l'administration générale vont rester dans une stagnation funeste. Les marchands publient que, quelques efforts [que fasse] le gouvernement, les mandats n'atteindront jamais 10f, et qu'avant de se fixer à ce taux, ils éprouveront beaucoup de variation. On observe qu'il ne s'en vende qu'à fur et mesure pour parer aux premiers besoins, ce qui suppose que la confiance en eux n'est pas absolument perdue; car, autrement, les portefeuilles se videraient à la bourse et notamment au perron.

Au milieu de ce tableau de misère et d'inquiétude le libertinage le plus effronté et le plus scandaleux se montre au palais Égalité; les filles prostituées ne gardent plus de mesures, leurs propos, leurs actions font rougir la pudeur la moins farouche; c'est en plein jour, qu'on les voit se livrer à tous les excès de leur impudence. On attribue cette fâcheuse licence aux militaires qui ne quittent pas ce lieu de débauche, et qui communiquent leur audace à ces malheureuses, qui insultent le citoyen paisible qui ne répond pas à leurs provocations.

On dit que le général Moreau vient de remporter une victoire nouvelle. On parle d'une déroute et de 1500 prisonniers autrichiens, on attend la nouvelle officielle. Ces nouvelles suspendent les inquiétudes, en ranimant les espérances de la paix.

Spectacles. Dans quelques-uns les hymnes patriotiques ont été omis, sans réclamation de la part du public.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Bréon.<<

» 21 mess. an 4. Esprit public. On prétend dans le public, qu'il existe une compagnie de capitalistes qui veulent former une banque nationale, que pour réussir dans leur projet ils jouent contre le gouvernement à la baisse des mandats, que par ce moyen ils viendront à leurs fins et se feront donner le brevet exclusif d'une caisse, semblable à celle qui existait sous le titre de caisse d'escompte. On se rappelle que les billets de caisse d'escompte n'éprouvèrent jamais de perte, que cette caisse d'escompte fit face à tous ses engagements; et, sous ce rapport, on envisage l'établissement d'une banque confiée à des négociants ou capitalistes comme devant tarir les sources de l'agiotage. D'un autre côté on observe que les circonstances ne sont pas les mêmes, et que le sort des

finances ne peut être confié, sans risques, à une compagnie qui pourrait être la victime des spéculateurs, n'ayant pas les mêmes ressources que le gouvernement qui se trouve, malgré ses efforts, le jouet de la cupidité. Telles sont les réflexions que l'on faisait sur ce projet de banque désignée sous le nom de banque nationale.

On parle sans passion, sans parti, de la mise en arrestation du représentant Drouet; on ne se permet que cette seule réflexion, c'est qu'il a trouvé plus de défenseurs dans le conseil des Anciens que dans celui des 500; on attendait tout le contraire dans les petits groupes épars sur les places publiques. Ce conseil des Anciens est composé de royalistes, Drouet est une victime;" on n'en dit pas davantage, et on se sépare.

Le public fait des plaisanteries sur les patrouilles qui rôdent au palais Égalité; on prétend qu'elles sont fréquentes quand le mandat paraît prendre un peu de crédit, et qu'elles disparaissent quand il perd, que les patrouilles sont plutôt les soutiens de l'agiotage que les appuis du gouvernement.

Les plaintes se grossissent sur les propriétaires de maisons qui veulent exiger du numéraire ou donner congé. On demande toujours l'exécution des lois sur les mandats.

En général, on ne témoigne pas beaucoup de confiance et de respect pour la cause des 500, on se tait sur le compte des Anciens, et on loue le directoire dont la conduite prouve qu'il ne protége aucun parti, qu'il ne connaît que la constitution, et l'on ajoute que, s'il avait de bonnes lois à faire exécuter, nous nous en sentirions bientôt.

Tel est le résultat exact des observations recueillies dans les groupes, cafés, et lieux publics.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Bréon.<<

» 25 mess. an 4. Esprit public. L'entretien général a roulé sur les mandats et les finances. On attendait avec impatience le résultat du comité général; rien ne transpire et l'état d'incertitude,

1 Le 20 messidor, il fut mis en état d'accusation par le conseil des Anciens; mais, avant d'être traduit devant la haute cour convoquée à Vendôme, il s'échappa de sa prison, le 30 thermidor.

A. SCHMIDT, Tableaux. III.

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