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prochaine ou la suivante, correspondant à la ci-devant fête de Noël. Des partisans du culte catholique veulent faire dire la messe de minuit dans le quartier St. Méry [Merry]; on dit que les nouvelles sociétés du Panthéon et du café Chrétien veulent profiter de cette circonstance pour opérer leur mouvement séditieux. On ajoute que la sûreté des deux Conseils, du Directoire exécutif et des autorités constituées est menacée, et qu'en général cette action doit être dirigée contre les auteurs ou acteurs des journées des 1er, 2, 3 et 4 prairial. En ne croyant qu'à une partie de ces rapports, je pense qu'il faut prendre les mesures qu'exige la prudence. Doubler les postes, augmenter les patrouilles, mettre la force armée en réquisition, faire prévenir les dépôts voisins, ordonner une grande surveillance à la garde du Directoire exécutif, se concerter avec les chefs de la garde nationale parisienne: voilà, cit. Général, les mesures préparatoires qu'exige la circonstance; je vous invite à les prendre et à y ajouter toutes celles que votre prudence vous suggérera. Je vous prie aussi d'inviter le Commandant temporaire de la place, à déférer aux réquisitions qui pourront lui être faites par le bureau central de police, que je charge de redoubler de surveillance et de vous donner avis, directement, des mouvements dont il pourra s'apercevoir.<<

>> Le ministre de l'Intérieur au bureau central des municipalités du Canton de Paris. Paris, le 2 nivose an 4.

Le

Ce que vous m'avez annoncé ce matin, C., n'aura pas lieu, suivant les apparences, dans le sens où le mouvement se présentait; mais je crois devoir vous prévenir que, ce soir, le Directoire exécutif a reçu avis que les associés au Panthéon devaient se réunir demain, armés de sabres, pour se rendre auprès du Directoire, et pour le défendre en cas d'attaque de la part des royalistes. Directoire a témoigné ni craindre aucun mouvement, et n'avoir pas besoin de ce secours; la société a dû s'assembler ce soir; vous me direz sans doute demain, quelle aura été sa résolution. Il a dû y avoir ce soir quelques mouvements au théâtre des Italiens; les Jeunes gens y ont acheté les billets jusqu'à 300 liv.; on dit que leur intention était, après le rideau baissé, de s'emparer d'Ellevion et de Gavaudan pour les empêcher d'aller à l'armée. 1 Vous serez instruits de ce fait, et vous me ferez part du résultat des rapports.

1 Tout ceci s'appuie sur un rapport inclus signé Bezaud.

Veillez demain sur St. Méry; empêchez surtout la messe de minuit. . . .

On dit qu'un nombre d'individus se cache pendant la nuit dans les bateaux des bains sur la rivière; on prétend que ce soient des émigrés ou des Chouans. Mettez une surveillance, afin de pouvoir dans la journée de demain être assuré du fait et opérer dans la nuit suivante, s'il y a lieu, en requérant une force armée suffisante.<<

>> Le ministre de l'Intérieur au département de la Seine. 2 nivose an 4.

Je vous instruirai toujours, cit., de tous les rapports qui me seront faits sur les dangers qui menacent la tranquillité publique, parce que je suis sûr que vous me seconderez de tout votre zèle pour déjouer la malveillance. On m'a prévenu ce soir, qu'un mouvement devait éclater cette nuit ou la nuit suivante; j'ai pris tout de suite les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité, en me concertant avec le général de l'armée et avec le Bureau Central. J'espère que le rapport qui m'a été fait sera sans fondement; mais je suis positivement instruit que les catholiques de St. Merri1 veulent faire dire la messe de minuit demain; je me suis fortement prononcé contre ce projet, et ce rassemblement nocturne, j'espère que, si la permission vous en est demandée, vous le refuserez, et que vous veillerez à ce que ce rassemblement n'ait pas lieu. Je vous prie de me faire part de tout ce qui vous parviendra pouvant inspirer quelque crainte; de mon côté, je vous tiendrai au courant sur ce que j'apprendrai.«

Une feuille séparée contient l'ordre: »écrire au dépt sur le mouvement, le prévenir du rassemblement du Panthéon, proposé pour aller armé au Directoire pour le défendre.<<

1 On pourrait-lire Medari; c'est que l'auteur avait d'abord, en écrivant, confondu St. Médard et St. Merry.

(N. 298) RAPPORTS JOURNALIERS DU 3-30 NIVOSE (24 DÉC. 1795-20 JANVIER 1796).

» Paris le 3 nivose l'an 4 de la république française.

Esprit public. La surveillance nous donne aujourd'hui quelques détails intéressants sur l'opinion publique, dont nous allons transmettre les principaux faits par une analyse succinte.

Il est dit dans les rapports, que le calme a régné hier dans Paris; mais ce calme n'est, d'après l'agitation des esprits, que celui de l'impuissance, ainsi que du désespoir occasionné par la misère extrême, qui afflige et tourmente à l'excès la masse indigente et malheureuse, et surtout la classe des pauvres rentiers, dont le sort déplorable ne leur laisse plus d'autres ressources que celle de la mendicité, vu les sacrifices sans nombre qu'ils ont faits depuis si longtemps, en vendant leurs meubles et effets, pièce à pièce, pour subsister.

Les inspecteurs ne cessent de nous entretenir des funestes effets de l'agiotage, lequel, en dévorant toutes les fortunes publiques et privées, établit en quelque sorte la disette, disons plus, la famine au milieu de l'abondance.

De ces tristes et fâcheuses circonstances sortent nécessairement les projets liberticides combinés avec perfidie par les facteurs 1 de toutes les factions, dont, malgré des vues sans doute opposées, le but est de renverser la république.

A cet égard un inspecteur rapporte que dans Paris les malveillants et les royalistes fomentent et forment des projets de contrerévolution; il ajoute que l'on dit qu'ils se rassemblent dans certaines maisons, non désignées, pour insinuer au peuple, à la faveur de l'extrême cherté de toutes choses, l'espoir d'une insurrection. 2

Un second inspecteur déclare que de toutes parts on maudit la république; qu'il n'y a qu'un cri, celui de demander le nécessaire, faute de quoi, ajoute cet agent, le peuple, qui regrette le régime royal, ne voudra pas reconnaître davantage le gouvernement actuel.

Affiches. Il paraît une nouvelle 3 affiche qui a pour titre ,,Les Patriotes de 89 au peuple." L'auteur y accuse Cadroy, représentant, d'avoir organisé les massacres du Midi. Une seconde, ayant pour titre „Le Gardien de la Constitution de l'an 4 par Jolivet,"

1 Autre rapport: »frondeurs.<<

2 Autre rapport: »l'esprit d'insurr.<<
3 Autre rapport: >>première.<<

servant de prospectus à un journal qui doit paraître tous les jours.1 Le rédacteur de cette affiche, au dire d'un de nos inspecteurs, a déjà écrit avant le 13 vendémiaire en faveur des jeunes gens et des sections de Paris.

Cafés. Ces lieux, où la discussion des événements politiques est reléguée, ne cessent d'être le théâtre des opinions pour et contre, sur la guerre et les finances. Au sujet de la guerre, les uns prétendent que les Autrichiens avancent à grands pas, chassent les Français d'outre Rhin, battent nos troupes à plate couture, désorganisées autant par les revers, que par la misère et la désertion. D'autres, d'après une lettre adressée à un représentant du peuple, prétendent qu'il y a eu une sanglante affaire à l'armée de la Moselle, et que, la victoire ayant balancé longtemps, les Français ont fini par rester maîtres du champ de bataille et ont poursuivi l'ennemi, la bayonnette dans les reins. Sur l'objet de la finance, et spécialement de l'emprunt forcé, les avis sont également très partagés. Les bons patriotes le regardent comme l'unique moyen de sauver la France; les mécontents comme la mesure la plus pernicieuse. Sur ce fait un inspecteur rapporte ce qui suit:

Les Chouans, royalistes et agioteurs forment le projet, à l'aide des classes de la société fatiguées de la misère, d'écraser l'inventeur du projet, ses conseillers, et les membres de la police; il ajoute que, conformément à ces desseins infâmes, il circulait hier dans Paris des députations, et qu'il a recueilli ces particularités dans quelques groupes, et particulièrement dans les cafés du jardin Égalité.

Le bruit se propage plus que jamais, qu'il se forme une rivalité très-dangereuse entre les deux conseils. On prétend même que celui des Cinq-cents renversera celui des Anciens, et que dès lors le pouvoir exécutif, restant sans force, tombera de lui-même, d'où il résultera les effets cruels d'une réaction très-funeste.

On parle encore d'une déclaration de guerre faite à la Hollande par le roi de Prusse, qui doit, dit-on, recevoir un renfort de la Russie.

Spectacles. Ont été tranquilles, à la réserve du théâtre de la rue Favart, 2 où l'affluence de monde était hier si considérable, qu'il y a eu un grand nombre de montres et portefeuilles volés à l'entrée du spectacle, jusqu'au chapeau d'un factionnaire, qui lui a été pris sur sa tête. Dans l'intérieur de la salle, pendant la représentation, plusieurs traits faisaient allusion au départ des

1 V. Deschiens p. 161. Moniteur du 18 fruct. an VII. A cause de ce journal, Jolivet fut condamné plus tard à la déportation.

2 Autre rapport »théâtre Italien,« ce qui revient au même. A. SCHMIDT, Tableaux. III.

2

citoyens Helvion1 et Gavaudan, artistes; ils ont été universellement applaudis, principalement dans Philippe et Georgette; lorsque Mons. de Bonnefoy est obligé de renoncer à la main de sa maîtresse, Chenard a dit: „Et ce jeune 2 Bonnefoy, que va-t-il devenir?" Gavaudan a répondu: „Eh bien! il va chercher fortune ailleurs.“ Du reste, il ne s'est manifesté de la part du public que des regrets; aucun genre de sédition n'a été remarqué, pas même à l'apparition des deux acteurs qui ont été demandés, et qui ont obtenu les plus vives acclamations.

Un inspecteur déclare qu'au foyer du théâtre des Amis de la patrie, vingt jeunes gens avec une femme ont tenu sur le départ de Helvion et Gavaudan les propos les plus indécents, accompagnés d'invectives contre le directoire exécutif.

Agiotage. Les agioteurs sont toujours en grand nombre au Palais Égalité; ils y continuent leur commerce avec plus d'audace que jamais. Le défaut de force armée ne permet pas de les saisir. D'autres assiégent les portes, demandant aux passants, s'il n'ont rien à vendre. Le louis s'est proposé, dit-on, à 6500 liv..

Prêtres. Les Sacerdociens, qui enragent des mesures prises pour assurer l'exécution de la loi contre les prêtres réfractaires, disseminent les contes les plus ridicules et les plus absurdes pour corrompre l'esprit public, qui est excessivement mauvais. Selon eux,,le Directoire a sollicité un comité général secret, pour aviser aux moyens les plus efficaces de faire fermer les temples, et d'empêcher de dire la messe. Le procès de Cormatin a été terminé par une pétarde, afin de ramener l'esprit des soldats envoyés dans la Vendée, lesquels, convaincus aujourd'hui qu'on les avait engagés dans la mauvaise cause, sont prêts à tourner casaque, et à faire l'acquit de leur conscience. La déportation prononcée est une chose de convention, pour endormir tous les partis; mais Cormatin ne tardera pas à reparaître, comme Cambon, Vadier, Pache et autres, et le ciel qui, très-évidemment, le protége, le reproduira triomphant."

Enfin on termine toutes ces extravagances par dire que deux commissaires ou députés, chargés d'accompagner la fille de Capet jusqu'à Bâle, ont essayé de la violer en route.

Toutes ces absurdités, appuyées de la monstrueuse licence que l'on tolère chez les écrivains périodiques et pamphlétaires, de ces placards dégoûtants dont les murs de Paris sont tapissés, tels que celui contre Cadroy, adressé déhontément aux héros des deux

1 Il y eut donc trois formes de ce nom: Helvion, Elvion, Ellevion.
2 Autre rapport: »pauvre.<<

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