Page images
PDF
EPUB

cation de la classe ouvrière et autres citoyens qui souffrent de la cherté excessive des denrées.

Rapport de Favrot. Dans les groupes des Tuileries les ouvriers, qui y étaient en grand nombre, se plaignaient de manquer d'ouvrage et disaient: „Il est temps que cela finisse, d'une manière ou d'une autre; gare à la faction qui nous affame depuis 18 mois." Dans d'autres groupes du même jardin, on parlait en faveur des mandats; tout le monde convenait de la nécessité et de la bonté de cette mesure, mais on paraissait craindre aussi qu'elle ne devînt illusoire par la perversité des agioteurs qui, disait-on, font perdre beaucoup aux promesses de mandats, sans que le gouvernement s'occupe de remédier à cet abus révoltant, et que, tant que le gouvernement cherchera à contenter tout le monde, il finira par ne contenter personne. Les ouvriers en général sont bien disposés à recevoir les mandats, mais ils sont bien résolus, disent-ils, à ne point faire quartier au premier marchand qui les refusera et qui voudra leur vendre au-dessus de la proportion.

Dans d'autres groupes du jardin national, on s'entretenait avec plaisir du retour de la paix, qu'on regardait comme très-prochaine et comme pouvant seule remédier à nos maux actuels.

Il y avait hier beaucoup de monde au boulevard des Italiens; plusieurs personnes murmuraient de ce que beaucoup de femmes se promenaient tenant à la main des éventails verts, sur lesquels se trouve une croix de Chevalier bien marquée. Dans un groupe de la rue Mouffetard on disait: „Il y a deux partis bien prononcés, celui des royalistes, et celui des démocrates; ces deux partis qui subsistent, conspirent pour renverser l'état actuel des choses; les premiers veulent rétablir le trône, les seconds veulent établir la démocratie pure; si l'un ou l'autre parti n'agit pas, c'est qu'ils craignent la force armée."

Hier les églises ont été bien remplies; les promenades, les danses des Champs-Elysées, tout annonçait un dimanche complet. Certaines prédictions fanatiques ont été dénoncées au bureau central, qui fera son possible pour les déjouer. On y a remarqué les maximes: Sans religion, point de gouvernement; hors de l'église, point de salut; le bras de l'Éternel s'appesantira contre ceux qui ont profané les saints temples etc.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.

Astier.<<

»16 germ. an 4. Esprit public. Groupes. Les plaintes, les murmures semblent y prendre un caractère d'exaspération, les mots d'insurrection y ont été même entendus. La mollesse dont on accuse le gouvernement conduit quelques têtes exaltées à manifester des regrets sur le régime de Robespierre.

Les différents rapports qui parviennent journellement ne laissent pas douter que quelques hommes exagérés ne cherchent à exciter un mouvement, que la police s'empressera toujours de déjouer; mais, s'il pouvait avoir lieu, tout annonce que ce mouvement serait dirigé contre les agioteurs, les marchands cupides, les émigrés, et non contre le gouvernement constitutionnel qui, quoi qu'on en puisse dire, a l'assentiment général dans les groupes.

Rapport de Mailly. Dans le fb. Marceau, une chanson ancienne, qui contient la censure de l'administration des 15/20, a fait dire à l'un des assistants que, semblable aux 15/20, le gouvernement n'y voit goutte, puisqu'il se laisse tromper par l'intrigue.

Quoiqu'on puisse inférer des sarcasmes lancés contre le gouvernement, tout annonce que le peuple chérit les lois de la république, et leur inexécution seule excite les plaintes.

Ces observations répétées journellement et qui, dans d'autres circonstances, accuseraient le défaut d'énergie de la police, conduisent le bureau central à observer, combien il est contrecarré dans sa marche, n'ayant pas même le mandat d'amener et le droit d'arrêter un voleur, qu'il est obligé de traduire devant les juges de paix surchargés de travaux, resserrés eux-mêmes dans des bornes étroites par le code des délits et des peines, persuadés d'ailleurs, qu'il est de leur ministère de voir tout avec les yeux de l'indulgence. Cette réflexion sera plus d'une fois présentée par le bureau central. 1

Cafés. Quoiqu'en général on paraisse content de la nomination du citoyen Cochon au ministère de la police, 2 on fait déjà de mauvais lazis sur son nom.

Spectacles. Toujours plus que de la froideur au chant des hymnes civiques. Hier, au théâtre de la République, les risées de

1 Malgré ces instances, ce ne fut que cinq semaines après, le 21 floréal, que le bureau central reçut la faculté de décerner des mandats d'amener, à la charge d'interroger de suite les prévenus, et de les renvoyer devant le juge-de-paix.

2 Cochon de Lapparent, nommé à la place de Merlin le 14 germ. (3 avril 1796), garda ce ministère jusqu'au 16 juillet 1797.

A. SCHMIDT, Tableaux. III.

10

plusieurs jeunes gens ont empêché d'entendre le couplet Amour

sacré de la patrie!

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Astier.<<

» 17 germ. an 4. Esprit public. L'esprit qui règne dans les groupes est le même depuis plusieurs jours; la misère arrache toujours des plaintes, les discours insidieux de la malveillance échauffent les têtes et, après avoir invectivé contre les marchands et les agioteurs, l'on finit par accuser de faiblesse le gouvernement qui, dit-on, ne prend pas des mesures assez promptes et assez éfficaces pour faire cesser le brigandage.

Rapport de Bouillon. Dans les groupes de la terrasse des Feuillants on s'entretenait de l'époque où les mandats seraient en émission, et l'on y témoignait de l'inquiétude sur leur succès, attendu que les promesses de mandats perdent chaque jour de plus en plus.

Un particulier, revêtu d'un habit bleu, disait en montrant la salle des 500: „A ces Messieurs appartient le droit d'avoir des indigestions, et vous, bon peuple, vous devez supporter l'inanition."

Rapport de Marie. Les groupes du Pont-au- change, pont Notre-Dame et la Grève, composés en grand partie d'ouvriers, étaient très-animés; quelques personnes paraissaient regretter le régime du temps de Robespierre; lorsqu'on leur observait, qu'on faisait alors couler beaucoup de sang, ils répondirent:,,C'est bien pis, aujourd'hui l'on meurt de faim et d'inanition." L'on s'y plaignait aussi de la fermeture des sociétés populaires, et l'on disait:,,Lafayette, Dumouriez, Pitt et Cobourg ont fait la guerre aux sociétés populaires, parce qu'elles étaient utiles au salut de la France; aujourd'hui on leur fait la guerre pour la même raison.“

Une patrouille de cavalerie a dissipé ces groupes vers les dix heures.

Suivant le rapport de Petit - Henry, au Pont-au-change, dans un groupe composé d'ouvriers, on disait qu'il y avait eu à Lille une insurrection, faite par le peuple qui s'était porté à la municipalité, demandant du pain, que des officiers municipaux avaient été tués, qu'on avait été ensuite chez les marchands en gros qui passaient pour royalistes dans l'esprit public, que plusieurs d'entre eux avaient été arrêtés et d'autres tués. L'on disait que l'on en ferait autant à Paris, si le gouvernement ne prenait pas des mesures pour améliorer le sort des malheureux.

Au café Valois l'on paraît peu craindre la surveillance de la police; les agents, disent les habitués, sont trop pauvres pour venir ici, ils n'ont pas de souliers, ils seraient bientôt reconnus. Au café Corazza on donnait des éloges à la conduite du ministre de la justice1 et on le voyait partir avec regret.

On parlait aussi avantageusement du citoyen Cochon, ministre de la police générale; néanmoins l'on blâmait ces fréquentes mutations.

Spectacles. Les coeurs y sont toujours froids aux accens du patriotisme. L'Orpheline, pièce patriotique, jouée hier au théâtre de la rue Feydeau, a été reçue froidement, si l'on en excepte deux couplets, l'un en faveur de la paix, l'autre contre l'agiotage.

Pour rapport

Les membres du bureau central.
Maisoncelle.<<

»18 germ. an 4. Esprit public. L'inexécution des lois est toujours le sujet et le refrain des plaintes; elles sont continuelles, et l'on remarque que les hommes mêmes qui ont profité du désordre crient plus haut que les autres.

Rapport du citoyen Marie. Au Pont-au-change, dans un groupe d'ouvriers, on disait hautement:,,Nous avons voulu un gouvernement républicain, nous le voulons et nous le soutiendrons; nous voulons le règne de la justice et de l'humanité pour les bons citoyens; mais nous voulons la terreur et la mort pour tous les scélérats ennemis de la chose publique."

La lenteur de l'émission des mandats est aussi un objet de plaintes; d'un autre côté l'on entend dire qu'on eût mieux fait de timbrer les assignats dont la planche est brûlée, que de créer des mandats qu'on pourra émettre à volonté.

Une taxe des denrées, une véritable répression de l'agiotage, tel est le désir constant manifesté dans les groupes. Dans un groupe du fb. Antoine les royalistes et les Chouans étaient désignés comme les seuls auteurs de la misère publique.

Quelques barils de harengs gâtés ont été jetés dans la rue Montmartre; la vue de ces marchandises avariées a fait éclater de vifs mécontements contre les hommes cupides qui laissent pourrir des comestibles, plutôt que de les vendre à juste prix.

1 Génissieu, nommé consul à Barcelone le 14 germinal, et remplacé de nouveau par Merlin de Douai.

La traduction devant un juge de paix d'un marchand de bottes qui avait refusé une promesse de mandats, a été applaudie de la majorité des spectateurs.

Il est des personnes qui assurent que l'émission des mandats n'aura pas lieu et que la paix va rendre cette mesure inutile.

Pour rapport

Les commissaires du bureau central.

Astier.<<

»19 germ. an 4. Esprit public. Les mandats, les bruits d'une paix prochaine, la résolution sur le séquestre des biens des émigrés, 1 voilà les principaux objets des conversations publiques.

Dans les groupes du fb. Marceau, composés d'ouvriers, on manifestait le désir pour qu'il n'y ait en circulation que de la monnaie républicaine et des mandats, que les lois fussent rigoureusement exécutées, et ça irait. Dans un groupe sur le quai de la feraille [?] on se plaignait de la lenteur qu'on mettait à faire sortir les mandats, que le peuple est disposé à soutenir efficacement au taux du numéraire. Un fait survenu dans cet endroit prouve cette disposition des esprits. Vers les 2 heures de l'après-midi, une grande foule s'était formée autour de deux particuliers, l'un forçait l'autre à recevoir une promesse de mandats comme numéraire. L'acheteur a été soutenu de tous ceux qui l'environnaient, plusieurs d'entre eux disaient: „On voudrait faire des mandats comme des assignats, mais nous les soutiendrons, et nous forcerons bien à les recevoir sans y perdre." Dans d'autres groupes, l'on se disait:,,Les rescriptions, qui tiennent lieu de promesses de mandats, perdent déjà 80 p/% Sans une certaine terreur, l'on ne viendra pas à bout de les faire recevoir."

Le bruit d'une paix prochaine, répandu dans le public, fait une heureuse diversion sur les esprits aigris par la misère; on la désire, cette paix, pourvu, toutefois, que l'honneur de la nation ne soit pas compromis.,,Si un tel bonheur peut nous arriver, s'écriaiton, au moins pourrions-nous respirer un peu à notre aise." D'autres disent à ceux qui se livrent à cet espoir consolateur, que jamais chose n'a été si terrible que celle qui aura lieu incessamment.

Rapport de Bouillon. Au Jardin des Tuileries les conversations étaient fort animées; on s'y entretenait de la résolution sur le séquestre des biens des émigrés; on y disait que cette discussion fai

1 La résolution du 18 germ. porta que le séquestre serait apposé les biens de ceux qui se refuseraient au partage avec la nation.

sur

« PreviousContinue »