DES

ANNALES DES PONTS ET CHAUSSÉES

AVIS

Les manuscrits présentés pour l'insertion dans les Annales sont soumis à l'examen d'une Commission dite Commission des Annales des Ponts et Chaussées qui se réunit à l'École nationale des Ponts et Chaussées, 28, rue des Saints-Pères.

Membres de la Commission:

M. LE GRAIN, Inspecteur général, Directeur de l'École Nationale des Ponts et Chaussées, Président.

M. PIGEAUD, Inspecteur général, Sous-Directeur de l'École Nationale des Ponts et Chaussées, Secrétaire.

M. THERON, Ingénieur en chef, Secrétaire adjoint.

MM. BOURGEOIS, Inspecteur général, Directeur du Personnel et de la Comptabilité. WATIER, Ingénieur en chef, Directeur des Voies navigables et des Ports maritimes. SCHWOB, Ingénieur en chef, Directeur général des Chemins de fer. MAGNIER, Ingénieur en chef, Directeur des Forces hydrauliques et des Distributions d'énergie électrique. GUILLAUME, Ingénieur en chef, Directeur des Mines.

MM. BIENVENUE; DE VOLONTAT; FONTANBILLES; DUSUZEAU; Delure; LE CORNEC; TUR; Silvain-DREYFUS; DE LA BROSSE; BRESSE; MONET; LELOUTRE; BABIN; VOISIN, Inspecteurs généraux de 1re classe. -SEIGNOBOS, Ingénieur en chef, Secrétaire du Conseil général des Ponts et Chaussées.

MM. COLSON; GODARD; BLONDEL; DESCUBES; LOCHERER; MESNAGER; D'OCAGNE; MOURET; VIDAL; LAROCHE; LE GAVRIAN; MARLIO; EYDOUX; MAILLET; OURSON; AURIC, Professeurs à l'École nationale des Ponts et Chaussées.

M. Jean PRADELLE, Bibliothécaire, fait fonctions de Secrétaire de la Rédaction des Annales.

NOTA: La Commission des Annales des Ponts et Chaussées n'est en aucune façon responsable des opinions émises et des théories développées par les auteurs; elle ne s'immisce pas dans les questions de priorité.

N° 1

LES CRUES DU FLEUVE ROUGE

ET LA DÉFENSE DU DELTA DU TONKIN

CONTRE LES INONDATIONS

Par M. A. NORMANDIN,

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées,

Ingénieur en chef du Tonkin.

INTRODUCTION

Le Tonkin comprend :

1o Une région montagneuse très peu peuplée et presque entièrement inculte, qui couvre les 75 °/% de sa superficie.

2o Une région moyenne de peu d'étendue, composée de vallées à faible pente, couverte de mamelons, et que la main-d'œuvre annamite met peu à peu mais très lentement en valeur; cette région n'est pas sujette aux inondations.

3o Le Delta, qui couvre 15 % à peine de la superficie du Tonkin, mais contient. l'immense majorité de la population et constitue la presque totalité de la richesse agricole du Protectorat. C'est un pays plat, à peu près uniquement cultivé en rizières et qui se trouve à plusieurs mètres en dessous du niveau des plus grandes crues des rivières qui le traversent. Les principales de ces rivières, et en particulier le Fleuve Rouge, sont endiguées (voir carte au 1/400.000, Fig. no 1). Les digues protègent une superficie de près de 700.000 hectares, peuplée d'environ 3 millions 1/2 d'habitants, soit une densité de 500 habitants au km2, supérieure à celle de tous les pays d'Europe. On conçoit dès lors l'importance que présentent les digues et leur bonne tenue pendant les crues, la moindre rupture ayant pour conséquence, dans la zone inondée, la submersion de presque tous les villages et de toutes les voies de communication, et, généralement, la perte d'une grande partie de la récolte de riz.

J'exposerai successivement:

1o Le régime du Fleuve Rouge et de ses crues dans le Delta;

2o Les mesures réalisées ou envisagées pour la défense du Delta contre les inondations.

Enfin, je terminerai par l'exposé de considérations générales relatives à l'influence de l'endiguement longitudinal sur le lit.

Généralités.

Le Fleuve Rouge prend sa source au Yunnan, au Sud de Tali, et se jette dans le golfe du Tonkin après 1.200 km. de parcours. Il reçoit ses principaux affluents: à droite la Rivière Noire (850 km. de long) et à gauche la Rivière Claire (360 km.) comme lui venues du Yunnan, à son entrée même dans le Delta dont on peut fixer l'origine à Phu-Tho (voir carte au 1/400.000). Un peu à l'aval de Sontay, le Fleuve Rouge commence à détacher divers défluents dont les principaux sont (1): A droite le Day,

le Canal de Nam-Dinh,

le Lach Giang.

A gauche le Canal des Rapides, le Canal des Bambous,

le Song Tra-Ly.

Le Day, le Lach-Giang et le Song Tra-Ly se déversent directement à la mer; le Canal de Nam-Dinh rejoint le Day; le Canal des Rapides et le Canal des Bambous se déversent dans le Song Thai-Binh qui est formé par la réunion, à Sept Pagodes, de trois rivières venant du Nord: Song-Cau, Song Thuong et Song LucNam.

Le Song Thai-Binh, qui constitue le second fleuve du Delta, et les rivières qui le forment, sont également endigués, au moins en partie, mais leurs crues sont beaucoup moins importantes et surtout moins longues que celles du bassin du Fleuve Rouge et il n'en sera question qu'incidemment dans la présente étude.

La superficie du bassin versant du Fleuve Rouge à l'amont de la tête du Delta est d'environ 120.000 km2 dont plus de la moitié en territoire chinois. Les pentes, surtout au Yunnan, sont généralement déboisées et fréquemment dénudées, et l'érosion y use violemment les terrains, de sorte que le Fleuve Rouge transporte

(1) Il existait avant 1905 deux autres défluents qui ont été barrés, en vue d'améliorations agricoles : à gauche le Song Calo, à droite le canal de Phu-Ly.

Moyenne des basses

une quantité de limon considérable (1), dont la couleur due à de l'oxyde de fer lui a valu son nom. Il en est de même, en temps de crue, de la Rivière Noire; les eaux de la Rivière Claire sont beaucoup moins chargées.

L'étiage du fleuve se produit généralement de mars à mai, les crues de juillet à septembre: celles-ci sont dues aux pluies de la mousson d'été, qui, lorsqu'elles coïncident avec un typhon qui vient se combler sur le Tonkin, déterminent des crues exceptionnelles.

A Hanoï, l'étiage étant à la cote (2,00) du nivellement général du Tonkin (le o de ce nivellement correspond sensiblement au niveau moyen de la mer), les grandes crues atteignent assez souvent la cote (11,00); la plus haute crue (sans rupture de digues)

(1) M. Dupouy, chef du Laboratoire des Mines de l'Indochine, a fait de 1910 à 1912 une série de mesures sur la quantité de limon en suspension dans les principaux cours d'eau de l'Indochine, en prélevant des échantillons d'eau à une distance du plan d'eau variant entre le 1/3 et la 1/2 de la profondeur totale. Voici les chiffres trouvés pour le Fleuve kg. par m3) :

Rouge (en

M. Dupouy a constaté fréquemment sur le Fleuve Rouge des troubles de 3 kg. et exceptionnellement 7 kg. par m3.

A part une anomalie au confluent de la Rivière Noire, pouvant tenir à une erreur d'expérience, la quantité moyenne de limon en suspension croîtrait de l'amont à l'aval aux basses eaux et décroîtrait aux hautes eaux. A mon avis, les mesures n'ont pas été assez nombreuses et assez systématiques pour qu'on puisse tirer de ces constatations des conclusions quelconques sur les modifications du fond du lit de l'amont à l'aval pendant les crues ou les basses eaux.