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il se sert des mots : charitas, credulitas, humilis, fidelis, passio, il leur donne nécessairement un sens que Virgile et Horace ne pouvaient leur donner. Il emploie les expressions et les métaphores créées par les Pères des premiers siècles et devenues populaires parmi le peuple chrétien.

Du reste, Prudence devait avoir étudié très-soigneusement les chefs-d'œuvre de la poésie latine. On rencontre dans ses vers une foule de traits qui prouvent combien Virgile, Horace, Juvénal lui étaient familiers. Il a des archaïsmes qui rappellent ceux de Lu

1 Le premier vers de la Psychomachie :

Christe, graves hominum semper miserate labores, rappelle le vers de Virgile (Enéide, VI, v. 56) :

Phoebe, graves Troja semper miserate labores.

Comparez encore :

et:

Quam suffere queant spumantia cymbia lacte.
(Hamart., 472).

Inferimus tepidos spumantia cymbia lacte.

Horace, liv. Iv, ode 8:

(Enéide, III, 66).

Liquidis ille coloribus solers.

Prudence, Perist., hym. x, v. 93:

Hæc sunt quæ liquidis expressa coloribus hospes.

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Plaute, Aulul., act. II, sc. Iv:

Sexcenta sunt quæ memorem, si sit otium.

Prud., Perist., hym. x, v. 616:

Sexcenta possum regna pridem condita

Proferre toto in orbe, si sit otium.

crèce. Il accepte des mots employés par Plaute ou Térence et tombés depuis en désuétude. Ce n'est pas uniquement au goût littéraire de Prudence, croyonsnous, qu'il faut attribuer ces archaïsmes; ils s'expliquent plutôt par sa tendance à rapprocher son langage de celui du peuple. Il aime mieux être compris et goûté par la foule des chrétiens que de rester puriste pour être estimé des rhéteurs'.

Prudence, il faut l'avouer, se permet souvent à la césure une syllabe brève ou un hiatus, c'est-à-dire une voyelle terminant un mot sans s'élider avec la voyelle qui commence le mot suivant. Mais les poëtes de la meilleure époque lui avaient donné l'exemple de ces licences qui nous paraîtront naturelles si nous comprenons bien la théorie de la césure dans le vers latin. Le repos appelé césure, qui partage en deux parties le vers hexamètre des latins, n'est pas absolument arbitraire. Il est commandé par l'harmonie et rendu nécessaire par la loi même de la prononciation, comme l'hémistiche qui partage le vers alexandrin français. De même qu'on ne peut, en français, prononcer douze syllabes de suite, et même dix, sans se reposer un instant, de même on ne pouvait, en latin, prononcer quatorze ou dix-huit syllabes sans un repos coupant le vers en deux parties. Le vers hexamètre, comme l'indique son nom, avait six mesures. Il aurait pu être partagé en deux portions égales; le repos aurait pu être fixé après la troisième mesure. Mais cette division eût donné trop de monotonie à l'hexamètre. Les anciens n'ont pas voulu d'un partage égal; ils ont préféré la

1 Beaucoup d'écrivains chrétiens auraient pu dire comme Grégoire de Tours : « Solecismum non refugio.. quia philosophantem rhetorem intelligunt pauci, loquentem rusticum multi. »

division qui rapprochait le plus de l'égalité les deux parties du vers. L'hexamètre se compose de six mesures à deux temps, ce qui donne douze temps ou douze demi-mesures. La division inégale de ces douze temps qui se rapproche le plus de la division en deux parties égales est celle qui donne cinq temps à la première partie du vers et sept temps à la seconde. Ce fut donc le cinquième temps qui coupa le vers en deux, qui fut la césure du vers. On pouvait encore donner sept temps à la première partie de l'hexamètre et cinq à la seconde partie. Le septième temps était alors la césure du vers. Comme on ne peut s'arrêter, en lisant un vers, qu'à la fin d'un mot, la césure doit toujours être la dernière syllabe d'un mot. Cette syllabe commence toujours une mesure à deux temps. Or, comme dans l'hexamètre le premier temps de chaque mesure ne doit porter que sur une seule syllabe, il s'ensuit que la syllabe qui sert de césure doit toujours être longue. Mais d'un autre côté, le repos qui suit la césure rend naturellement longue la syllabe qui termine la première partie de l'hexamètre, comme le repos qui suit la fin du vers rend toujours longue la dernière syllabe, quelle que soit sa quantité. Ajoutons que le repos qui suit la césure empêche l'élision, quoique la voyelle qui termine la première partie du vers rencontre une autre voyelle qui commence la seconde partie. C'est par cette théorie de la césure que nous devons nous expliquer certains vers de Virgile et des autres poëtes latins qui nous présentent ce qu'on a appelé des licences. Tantôt l'élision n'a pas lieu, à cause du repos qui suit la césure, comme dans ce vers:

Stant et juniperi - et castaneæ hirsutæ.
(Ecl. VII).

Tantôt une syllabe brève devient longue à cause de la césure:

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Tantôt la même syllabe donne lieu à ces deux licences à la fois justifiées par le repos qui suit la césure :

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Prudence n'a donc fait que suivre les exemples donnés par les poëtes du siècle d'Auguste et se conformer au génie même de la versification latine.

CHAPITRE IV.

DE LA THÉOLOGIE DE PRUDENCE.

Prudence mérite d'être appelé théologien. sur la Trinité. Sur la génération divine. le Verbe.

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Sur la création des anges et celle de l'homme. - Sur la chute et la réparation. - Sur les théophanies. Sur le Baptême, la Confirmation et l'Eucharistie.

saints et à leurs reliques.

-Sur le culte rendu aux

Sur l'éternité des peines et récompenses, la résurrection de la chair et le purgatoire.

Prudence n'est pas seulement un grand poëte, c'est encore un profond théologien. A ces deux titres, il méritait d'être rangé, par Bossuet et le docte Huet, au nombre des auteurs qui devaient former la bibliothèque des poëtes latins édités et commentés à l'usage du Dauphin. Le P. Chamillard, de la Compagnie de Jésus, qui fut chargé de l'édition de Prudence ad usum Delphini, loua la théologie de ce poëte autant que la beauté de ses vers. Nous pouvons puiser dans ses écrits, nous dit-il, comme dans une source pure, tous les dogmes de la sainte Eglise romaine 1. Avant lui, Erasme, assez bon juge en ces matières, avait pensé

1 Quin imo tanquam e puro fonte haurire ex illius scriptis possumus omnia sanctæ romanæ Ecclesiæ dogmata. (in Vita Prudentii).

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