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gue. Après trois jours il s'est élancé, il a crû merveilleusement, ses rameaux couvrent le monde et sa tête est dans les cieux. A ces rameaux sont suspendus des fruits divins, les fruits eucharistiques; mais on ne peut s'en nourrir qu'après s'être lavé dans une eau qui efface les souillures, dans un sacrement purificateur. On le voit, ce poëme, tout à fait chrétien, est une sorte de méditation poétique. Son plus grand défaut, c'est l'obscurité. Il n'est pas toujours facile de saisir la pensée du poëte, on dirait que la discipline du secret l'oblige à voiler son langage. La traduction que nous avons essayée n'est pas toujours littérale. Nous nous sommes efforcé de rendre plus sensible l'enchaînement des pensées, tout en conservant le ton poétique. Puissions-nous avoir laissé subsister tout le charme du symbolisme méditatif qui caractérise ce morceau, dont l'auteur a été peut-être inspiré par le souvenir des peintures des catacombes!

« Au centre de cet univers que nos regards contemplent, il est un lieu que les Juifs appellent Golgothą. Là fut planté, je m'en souviens, un bois coupé sur un arbre stérile, et ce bois produisit des fruits de salut. Il n'en nourrit pas les habitants de la terre qui le portait. Des étrangers savourèrent ces fruits heureux. Ce bois s'éleva comme un arbre sur un tronc unique, mais bientôt il étendit de chaque côté ses rameaux, comme deux bras. Ainsi les larges antennes exposent au vent leurs doubles voiles, ainsi les charrues offrent leurs doubles jougs aux taureaux séparés. Le fruit de cet arbre mûrit et se détacha du rameau, la terre le reçut en son sein, mais, chose admirable! dès le troisième jour la terre ne put contenir davantage ce germe vainqueur; il s'éleva, rameau puissant, étonna la terre et les cieux, et

porta des fruits de vie et de bonheur. Lorsque se furent écoulés vingt jours et vingt jours, telle fut sa force, qu'il crût immensément, toucha le firmament de son faîte élevé, puis finit par cacher sa tête sainte dans les profondeurs des cieux. Il ne cessa pas cependant d'étendre au loin ses rameaux forts et touffus, afin que toutes les nations pussent à jamais trouver en lui leur nourriture et leur vie, afin qu'elles apprissent que la mort aussi peut mourir. Lorsque fut complet le nombre de cinquante jours, un souffle céleste, une haleine plus douce que le nectar descendit du sommet de l'arbre et pénétra les rameaux. Les feuilles déversaient les unes sur les autres la rosée vivifiante qui les emplissait.

« A l'ombre de ces rameaux touffus coulait une fontaine. Rien ne troublait la tranquillité de ses ondes limpides; aucune fange n'en obscurcissait la transparence. Le gazon qui bordait ses rives était émaillé de diverses fleurs, aux couleurs réjouissantes. Tout à l'entour se réunissaient en foule des races et des peuples sans nombre. Quelle variété de genre, de sexe, d'âge et de rang! Des vierges et des mères, des fiancées et des veuves, des nouveau-nés, des enfants, des adolescents, des hommes et des vieillards. Ces troupes heureuses voyaient les rameaux de l'arbre mystérieux se courber et fléchir sous le poids des fruits; elles se réjouissaient, et leurs mains avides s'apprêtaient à cueillir avec des transports de joie, ces fruits imbibés d'un nectar céleste. Mais elles ne peuvent porter la main à ces objets de leurs désirs, sans avoir auparavant effacé les souillures qui, jusqu'à ce jour, ont deshonoré leur vie, sans avoir lavé leurs corps dans la fontaine purificatrice. Longtemps couchés sur le gazon moelleux, ils regardent les fruits qui pendent aux branches de

l'arbre; quelques-uns goûtent les écorces que les rameaux laissent tomber, et les feuilles d'où distille un nectar aussi doux qu'abondant. Mais combien les fruits sont plus délicieux, et comme ils désirent s'en nourrir!

« Dès que leurs bouches ont goûté la saveur céleste, un changement s'opère dans les esprits, l'avarice n'a plus d'empire sur les cœurs. La douce charité commence à rapprocher les hommes. Il en est beaucoup cependant dont l'estomac mal préparé a été surpris par cette saveur inaccoutumée. Ce miel si doux se mêlait au fiel dont leur poitrine conservait l'amertune, leurs esprits se troublaient, ils étaient forcés de rejeter le meilleur des aliments. D'autres, en mangeant avec trop d'avidité, ne pouvaient conserver ces fruits dont ils ne savaient pas se nourrir. Mais un bien plus grand nombre y puisaient une nouvelle vie, rendaient la santé à leurs esprits malades, supportaient généreusement des travaux dont ils se croyaient incapables, et jouissaient des heureux résultats de leur peine. Beaucoup, hélas! après s'être ainsi lavés dans l'eau sainte, n'ont pas craint de salir leur pureté et de se rouler de nouveau dans la fange dont ils avaient effacé les souillures. Mais beaucoup d'autres aussi recevaient l'aliment précieux dans une poitrine bien préparée, et de tout leur cœur embrassant une vie nouvelle, l'aimaient du fond de leurs entrailles. Que ceux qui veulent s'approcher de la fontaine sainte se réjouissent; le septième jour a lui, il les convie aux ondes désirées; il baigne dans des flots salutaires leurs membres assouplis par le jeûne. Ils laveront les taches qui ternissaient leurs cœurs et rendaient impure leur vie. Ils arracheront à la mort des âmes illustres, créées pour être pures et pour gagner le ciel. Voilà le chemin qui conduit aux rameaux

de l'arbre de vie et aux fruits si doux qui sauvent ceux qui s'en nourrissent. Voilà le chemin qui mène au ciel à travers ces rameaux célestes. Voilà l'arbre de vie planté pour tous les croyants. Ainsi soit-il. »

Le poëme sur le jugement dernier est attribué par quelques éditeurs à saint Cyprien. Nous ne croyons pas que l'illustre évêque de Carthage en soit l'auteur. Il faut au moins admettre que les copistes lui ont fait subir d'étranges transformations, car il ne conserve aucune trace du style coulant et orné de saint Cyprien. Plusieurs critiques placent au sixième siècle la composition de ce médiocre poëme. Son incorrection porterait en effet à le ranger parmi les œuvres produites quelque temps avant la renaissance des lettres, opérée par l'influence de Charlemagne. Cependant nous croyons qu'il ne faut pas même lui assigner une antiquité si reculée. Au septième siècle on évitait avec assez de soin les vers léonins; or, dans le poëme qui nous occupe en ce moment nous trouvons un grand nombre de vers léonins :

Qui mihi ruricolas optavi carmini musas
Et vernis roseas titulavi floribus auras.

Et coluit sanctam semper sine crimine vitam

Semper victura, semper in luce futura

Nous ne dirons rien du poëme De passione domini attribué à Lactance, ni des poëmes sur le prophète Jonas et sur la ruine de Sodôme. Il est difficile d'admettre que ces œuvres informes aient eu pour auteurs des écrivains du quatrième siècle. Hâtons-nous d'arriver à des poëmes d'une authenticité, d'une valeur littéraire incontestables, aux poëmes de Prudence.

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Le Cathemerinon. - L'Apothéosis. L'Hamartigenia. La Psychomachie. Le poëme contre Symmaque. - Le Péristéphanon. Le Dittochæum.

Le prince des poëtes chrétiens est nommé, par la plupart des éditeurs de ses œuvres, d'après le plus grand nombre de manuscrits, Aurélius Prudentius Clémens; mais plusieurs, se conformant à l'usage de son temps, qui était de placer à la fin le nom propre et ordinaire, énoncé souvent sans les autres, écrivent dans l'ordre suivant son nom, son prénom et son surnom: Aurélius Clémens Prudentius.

Dans le prologue qui précède ses hymnes pour les diverses heures de la journée, et qu'on peut regarder comme la préface de toutes ses œuvres, Prudence nous donne de précieux détails sur sa vie. Sans ce document, écrit par lui-même, nous ne saurions presque rien du plus grand poëte du quatrième siècle.

« Déjà ma vie, si je ne me trompe, s'est prolongée pendant cinq dizaines d'années, et après ce demi

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