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bres, le Deuteronome, le Livre de Josué 1. Mais la versification de ces derniers poëmes est sensiblement inférieure à celle de l'histoire évangélique. On serait tenté de ne pas attribuer au même auteur des œuvres d'une valeur littéraire si inégale. C'est à son exposition en vers du Nouveau-Testament que Juvencus doit de ne pas être tombé à jamais dans l'oubli. Cette œuvre, très-connue au moyen âge, ne perdit pas entièrement la faveur des lettrés à l'époque de la renaissance. Faustus Andrelinus, qui professa pendant trente ans les belles-lettres dans l'université de Paris avec un succès remarquable, choisit, en l'année 1500, la douzième de son professorat, le poëme de Juvencus pour sujet de son cours de littérature. Afin que tous ses auditeurs pussent suivre aisément ses explications, il donna tous ses soins à une bonne édition de ce poëme. Dans un avis au lecteur, placé à la fin de son livre, Andrelinus s'exprime ainsi : « Lecteur, puisque tu es chrétien et né de parents chrétiens, feuillette le jour, feuillette la nuit le poëte chrétien Juvencus, dont les vers exposent les dogmes de la foi chrétienne; ne laisse pas croire que tu ne veux écouter ou lire que tes poëtes ou tes orateurs païens. Assurément, rien n'est plus beau, rien n'est plus honorable que de ne pas ignorer les poëmes dont les vers élégants célèbrent les divins mystères 2. »

1 Dom Pitra a publié ces divers fragments dans le premier volume du Spicilegium Solesmense. Dom Martène avait édité une grande partie du Carmen in Genesim dans le tome IX de l'Amplissima collectio.

2 Tu autem cum ex christianis parentibus christianus natus sis, Juvencum et christianum poetam et de christiana fide disserentem, nocturna versato manu, versato diurna, ne semper gentiles tuos poetas, tuos oratores vel legere vel audire videaris. Nihil profecto pulchrius

Nous devions nous occuper longuement de Juvencus, mais nous ne ferons que mentionner saint Hilaire, évêque de Poitiers, et le pape saint Damase, dont il ne nous reste qu'un petit nombre de vers. Saint Hilaire, d'après le témoignage de saint Jérôme, avait écrit un livre d'hymnes et de mystères sacrés. Il n'est parvenu jusqu'à nous que l'hymne Lucis largitor splendide, qui accompagnait une lettre à sa fille Abra. On attribue aussi à saint Hilaire quelques autres petits poëmes du même genre qu'on a souvent édités à la suite de ses œuvres, mais rien ne prouve avec certitude qu'il en soit l'auteur.

Le pape saint Damase composa quelques hymnes et plusieurs épigrammes, qu'on pourrait appeler des poëmes lapidaires, destinés à être gravés sur le marbre, en l'honneur de saint André, de sainte Agathe et autres saints. Il orna d'inscriptions en vers, gravées en lettres magnifiques, les lieux vénérés où avaient été déposés les corps des saints apôtres, dans les catacombes, et les tombeaux d'un grand nombre de martyrs. C'est ainsi qu'à l'entrée du corridor qui menait à la sépulture des saints Protus et Hyacinthe, il fit placer des plaques de marbre portant les épigrammes suivantes, qui peuvent donner une idée du style de ses vers lapidaires :

« Une tombe était cachée à l'extrémité du souterrain qui s'étend sous cette colline; Damase la signale aux regards, parce qu'elle renferme les membres des saints. C'est la tienne, ô Protus, qui as retrouvé un asile meilleur dans le palais du ciel; la tienne aussi, ô Hippolyte, qui as suivi la même route en traversant l'é

venustiusque est quam divina mysteria eleganti carmine illustrata non ignorare.

preuve du sang! Ils étaient frères, ils avaient tous deux une grande âme en marchant à la victoire. Celui-ci a mérité la palme de la victoire, l'autre a reçu le premier la couronne 1. »

Regarde cette descente. Tu verras à l'extrémité une chose admirable; car cette rampe te conduit aux monuments des saints dont tu pourras contempler le sépulcre. Là se trouve la tombe des martyrs Protus et Hyacinthe. Depuis longtemps la mort, la terre, la nuit couvraient ce tombeau. Le prêtre Théodore a pris soin de l'orner et d'élargir autour de lui l'espace, pour y recevoir le peuple de Dieu 2. >>

Pour n'omettre aucun poëte chrétien de cette époque, nous devons nommer un certain Antonius, qui a écrit, peut-être, divers ouvrages, mais dont il n'est parvenu jusqu'à nous qu'un poëme contre le paganisme. Quel est cet Antonius? quelle est sa patrie? Les critiques n'ont pu donner à ces questions une réponse certaine. Nous savons seulement, par l'aveu qu'il en a fait, qu'Antonius, philosophe autant que poëte, était un païen converti au christianisme. Il chercha longtemps la vérité au milieu des diverses sectes philosophiques, comme l'apologiste Justin, et, comme lui, n'eut l'esprit

1

2

Extremo tumulus latuit sub aggere montis,"

Hunc Damasus monstrat, servat quod membra piorum.

Te Protum retinet melior sibi regia cœli.

Sanguine purpureo sequeris, Hyacinthe, probatus.

Germani fratres, animis ingentibus ambo,

Hic victor meruit palmam, prior ille coronam.

Aspice descensum, cernes mirabile factum,
Sanctorum monumenta vides patefacta sepulcris.
Martyris hic Proti tumulus jacet atque Hyacinthi
Quem jamdudum tegeret mors, terra, caligo.
Hoc Theodorus opus construxit presbyter, instans
Ut Domini plebem opera majora tenerent.

et le cœur satisfaits qu'après avoir embrassé la foi chrétienne. Antonius devenu chrétien n'eut pas de plus ardent désir que de propager la vérité. Il voulut dire éloquemment à tous ceux dont il avait partagé les erreurs qu'il n'avait rien trouvé de meilleur que de croire en Jésus-Christ. Pour rendre ses exhortations plus persuasives, il choisit le doux langage des vers plutôt que la discussion philosophique. David n'avait-il pas donné à sa prière l'accent de la poésie? Cet exemple l'autorise à traiter en vers un sujet religieux.

Discussi, fateor, sectas, Antonius, omnes;
Plurima quæsivi, per singula quæque cucurri,
Sed nihil inveni melius quam credere Christo.
Hoc ego disposui leni conscribere versu;
Et ne displiceat quod talia carmina pando,
David ipse chelyn modulata voce rogavit.....

Antonius, dans son poëme, attaque le paganisme par les mêmes arguments que ceux que nous trouvons exposés dans les écrits des apologistes des premiers siècles. Il s'applique surtout à montrer le ridicule et l'infamie du culte des idoles.

De tous les poëtes chrétiens qui ont écrit avant Prudence, aucun n'a été plus directement son précurseur que saint Ambroise. L'un et l'autre ont réfuté Symmaque; l'un et l'autre ont écrit des hymnes pour les diverses heures de la journée. C'est à saint Ambroise que revient l'honneur d'avoir introduit en Occident l'usage des hymnes chantées durant l'office public. L'Orient pratiquait depuis longtemps cet usage salutaire conforme au génie du culte catholique et aux recommandations des apôtres. Saint Paul avait invité les Éphésiens à exprimer leur foi et leur piété par des cantiques spirituels, à unir à la récitation des psaumes le chant

des hymnes sacrées. Les actes des martyrs nous apprennent que saint Ignace institua dans l'Église d'Antioche le chant alternatif. Les hérétiques se servirent de la poésie chantée pour rendre populaires leurs erreurs. L'hérésiarque Valentin, avec une souveraine impudence, comme parle Tertullien, composa des hymnes destinées à servir d'expression à sa doctrine. Il fallut composer des hymnes orthodoxes pour combattre l'influence des hymnes hérétiques. Eusèbe nous raconte qu'au second siècle Artémon ayant enseigné que Jésus-Christ n'était qu'un homme fut combattu par un écrivain catholique qui, pour le réfuter, lui allégua la foi de l'Église contenue dans certaines hymnes composées pour les fidèles à une époque voisine du christianisme. Plus d'un écrivain profane peut être cité comme témoin de l'usage universel des hymnes en Orient, dès les premiers siècles. Le cynique Lucien se moque des fidèles qui veillent toute la nuit pour chanter des hymnes. Pline, parlant des usages des chrétiens, dans sa lettre à l'empereur Trajan, dit qu'ils ont coutume de se rassembler avant le jour, et de réciter ensemble une poésie au Christ qu'ils proclament Dieu.

Ce fut comme par hasard que saint Ambroise composa des hymnes. Les abeilles, en se reposant sur ses lèvres, lorsqu'il était encore enfant, avaient annoncé la douceur de son éloquence plutôt que l'éclat de sa poésie. Saint Ambroise n'avait rien du rhéteur. Il n'écrivait que lorsque sa charge d'évêque lui en faisait une obligation. Il prêchait au peuple tous les dimanches; il

1 Loquentes vobismetipsis in psalmis et hymnis et canticis spiritualibus, cantantes et psallentes in cordibus vestris Domino. (Eph. v, 19).

2 Quod soliti essent ante lucem convenire, carmenque Christo quasi Deo dicere secum invicem.

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