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prions encore comme priaient nos pères du quatrième siècle, nous croyons encore ce qu'ils croyaient.

Quant à notre traduction, nous n'en dirons qu'un mot. Comme c'est la première fois qu'un recueil entier des hymnes de Prudence est traduit en français, nous avons cru que nous devions avant tout rendre clairement la pensée de l'auteur. Mais entre les traductions presque aussi libres que des paraphrases, qu'affectionnait le dix-septième siècle, et les traductions trop littérales, comme celle du Paradis perdu, par Chateaubriand, il y a un milieu raisonnable à garder. Plusieurs traducteurs, en ces dernières années, ont su rendre fidèlement le texte, donner une idée du style de leur auteur, tout en conservant à leurs phrases la clarté et l'allure françaises. Nous avons essayé de marcher sur leurs traces; puissions-nous ne pas avoir trop mal réussi !

CATHEMERINON.

PROLOGUE.

Déjà ma vie, si je ne me trompe, s'est prolongée pendant cinq dizaines d'années, et après ce demisiècle j'ai vu sept fois le retour des saisons, jouissant de ce soleil qui roule sans cesse.

Le terme s'approche, le dernier jour n'est pas loin; Dieu le montre à ma vieillesse. Qu'ai-je fait d'utile pendant ce long espace de temps?

Mon premier âge pleura sous les férules, bientôt la toge me vit en proie aux vices et m'apprit à semer, non sans crime, des mensonges dans mes discours.

5

PREFATIO.

Per quinquennia jam decem,

Ni fallor, fuimus; septimus insuper

Annum cardo rotat, dum fruimur sole volubili.

Instat terminus, et diem

Vicinum senio jam Deus applicat.

Quid nos utile tanti spatio temporis egimus ?

Ætas prima crepantibus

Flevit sub ferulis: mox docuit toga

Infectum vitiis falsa loqui, non sine crimine :

1 Voir les notes à la fin du volume.

Alors des folâtreries lascives, alors un luxe insolent (hélas ! j'en pleure et j'en rougis), souillèrent de honte et de fange ma jeunesse coupable.

Puis les armes et les combats séduisirent mon esprit agité, et un opiniâtre désir de vaincre m'entraîna aux terribles hasards de la guerre.

Deux fois j'ai gouverné de nobles cités sous l'autorité des lois. Sur mon tribunal j'ai fait justice aux bons, j'ai fait trembler les méchants.

Enfin, la bonté du prince m'honora d'un grade élevé dans la milice et me rapprocha du trône, en me faisant occuper un poste éminent.

Pendant que ma vie s'envole dans ces charges, soudain mes cheveux blanchis m'avertissent que la vieillesse est venue et me reprochent d'oublier le consulat de cet ancien Salia.

10

Depuis mon premier jour sous ce consul, combien

Tum lasciva protervitas,

Et luxus petulans (heu pudet ac piget!)

Fœdavit juvenem nequitia sordibus ac luto.

Exin jurgia turbidos

Armarunt animos, et male pertinax

15 Vincendi studium subjacuit casibus asperis.

Bis legum moderamine

Frenos nobilium reximus urbium :

Jus civile bonis reddidimus, terruimus reos.

Tandem militiæ gradu

20 Evectum pietas Principis extulit,

225

Assumptum propius stare jubens ordine proximo.

Hæc dum vita volans agit,

Irrepsit subito canities seni,

Oblitum veteris me Saliæ Consulis 2 arguens :

Sub quo prima dies mihi

d'hivers se sont succédé! Combien de fois après les frimas les roses ont fleuri dans les prés! La neige de ma tête me le révèle.

Tous ces biens, qui sont peut-être des maux, me serviront-ils après la chute de mon corps, lorsque la mort aura détruit tout ce que j'aurai été?

Il est temps que je me dise à moi-même : Quelque charge que tu aies occupé, ton âme a perdu ce monde auquel elle s'était livrée. Dieu n'a pas été l'objet de ses recherches, Dieu sous la main de qui tu vas tomber.

Au terme de ta carrière, que ton âme pécheresse se défasse enfin de sa folie; qu'elle loue Dieu par des chants puisqu'elle ne peut louer Dieu par des vertus.

Qu'elle remplisse le jour de ses hymnes; qu'aucune nuit ne se passe sans qu'elle chante le Seigneur. Qu'elle combatte contre les hérésies; qu'elle expose la foi catholique.

Qu'elle renverse les fausses divinités des Gentils.

Quam multas hyemes volverit, et rosas

Pratis post glaciem reddiderit, nix capitis probat,

Numquid talia proderunt

Carnis post obitum vel bona vel mala,

30 Cum jam, quidquid id est, quod fueram, mors aboleverit?

Dicendum mihi : Quisquis es,

Mundum, quem coluit, mens tua perdidit.
Non sunt illa Dei, quæ studuit, cujus habeberis.

Atqui fine sub ultimo

35 Peccatrix anima stultitiam exuat :

40

Saltem voce Deum concelebret, si meritis nequit.

Hymnis continuet dies,

Nec nox ulla vacet, quin Dominum canat :

Pugnet contra hereses, catholicam discutiat fidem.

Conculcet sacra gentium :

Qu'elle insulte, ô Rome, tes idoles; qu'elle consacre des hymnes aux martyrs, des louanges aux apôtres.

Pendant que j'écris, pendant que je chante de si nobles sujets, puisse mon âme, affranchie des liens du corps, s'élancer comme un rayon là où tendront les accents de ma langue exprimant un dernier chant!

Labem, Roma, tuis inferat idolis :

Carmen martyribus devoveat, laudet Apostolos.

Hæc dum scribo vel eloquor,

Vinclis o utinam corporis emicem

45 Liber, quo tulerit lingua sono mobilis ultimo !

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