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HISTORIQUE UNIVERSEL

POUR 1852.

PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DE FRANCE.

CHAPITRE PREMIER

LE COUP D'ÉTAT DEVANT L'Europe.

Transformation nouvelle de la révolution française; phases diverses de la crise de 1848; contre-coup en Europe, les craintes de 1852 s'évanouissent; caractère de l'influence française; effet produit sur les gouvernements conservateurs par le coup d'État, l'Autriche, la Prusse et la Russie; les gouvernements constitutionnels, la Belgique, le Piémont, l'Espagne; situation spéciale de la Suisse, connivences avec la démagogie européenne, propagande révolutionnaire, les démocrates honnêtes, question des réfugiés, impuissance du gouvernement fédéral, l'intégrité helvétique nécessaire à l'équilibre européen; le coup d'État en Italie, Rome, Naples, la Toscane; l'Angleterre, son intérêt social, le chartisme et les salaires, bon seus pratique, remèdes économiques, défiances à l'égard de la France, souvenirs de l'Empire, craintes d'une invasion; chute de lord Palmerston, sens de cet événement politique; le secret du libéralisme britannique; pourquoi ces inquiétudes ne doivent pas durer. - Attitude générale de la France devant l'Europe. - Situation intérieure, la légalité du gouvernement nouveau, son caractère.

Un grand événement domine l'état général de l'Europe au commencement de cette année : c'est la transformation nouvelle de la révolution française. Après quatre années d'oscillations et d'anarchie, le principe d'autorité a remporté une victoire abso

lue, sinon définitive. Pendant quatre années, et, pourquoi ne pas le dire, pendant près d'un demi-siècle, le monde a eu ce spectacle singulier d'un peuple intelligent entre tous, se refusant à marcher dans sa propre voie; poursuivant, l'une après l'autre, les expériences les plus bizarres ; essayant, tantôt du gouvernement anglais, tantôt de la forme américaine; s'obstinant à entrer dans un moule étranger et paraissant oublier qu'il n'est de gouvernement possible pour un pays que celui qui ressort de son esprit, de son caractère, de ses mœurs et de ses traditions.

C'est surtout depuis 1848 qu'avait éclaté cette impuissance des gouvernements factices. Le régime constitutionnel et parlementaire, si admirablement approprié aux conditions sociales de l'Angleterre, avait abouti en France à un coup de main qui n'assurait aux principes absolus de la démocratie qu'un triomphe éphémère. Le désaccord s'était manifesté, dès les premiers jours de la révolution nouvelle, entre le pays et ce gouvernement qu'il ne s'était pas donné. La guerre civile et une crise immense avaient été les fruits amers de cette tentative violente contre laquelle protestait tout un peuple par le choix significatif du 10 décembre.

Moins de dix mois après sa proclamation, la République n'était déjà plus qu'un fantôme, une apparence mensongère. Les partis monarchiques s'étaient unis contre l'ennemi commun et gouvernaient d'un commun accord. Mais les conflits n'étaient qu'ajournés leurs germes, déposés avec soin dans la Constitution démocratique de 1848, se développaient et grandissaient. Peu à peu, l'Assembléc législative, dont la majorité représentait les principes et les traditions des monarchies tombées, avait repris à son compte et pour un autre résultat, la situation de l'Assemblée constituante. Retranché dans une silencieuse froideur, le pouvoir exécutif avait laissé entrevoir avec une mystérieuse habileté ses prétentions personnelles. Elu du peuple comme l'Assemblée, il dominait de son unité redoutable le pouvoir parlementaire impuissant et divisé. L'un avait en soi une foi profonde, l'autre se défiait de tout et de lui-même. L'un avait la patience de la force, l'autre avait les imprudences et les précipitations de la faiblesse.

Pendant que se jouait cette partie inégale, le malaise et les in

quiétudes s'accroissaient dans le pays. Les masses souffrantes' se passionnaient tour à tour pour un homme, ou pour une idée, comme le malade pour les panacées les plus diverses. La société française se sentait atteinte dans son principe vital, et la terrible échéance de 1852 était attendue par les uns avec des angoisses sans nom, par les autres avec de sauvages espérances.

L'Europe avait ressenti le contre-coup de tous ces bouleversements,, de toutes ces inquiétudes. A la révolution démocratique: de février, correspondait pour elle une révolution presque géné→ rale, et si le continent échappait à l'incendie, c'est que la France s'était retournée contre le danger qu'elle avait créé.

Aussi, la révolution nouvelle accomplie en France dans le sens d'un retour à l'autorité, devait-elle avoir son écho en Europe.

C'est à la fois la gloire et le malheur de la France, que cette influence qu'exercent sur le vieux monde européen ses moindres agitations. Tout tremble dès qu'elle se remue: tout se calme dès qu'elle se rasseoit. Représentant de l'esprit nouveau, elle en résume les grandeurs et les dangers : elle concentre sur tous ses actes toutes les craintes comme toutes les espérances. L'attraction qu'elle exerce, les répulsions qu'elle excite sont d'un ordre tout: autrement élevé que celles de l'Angleterre ou de toute autre puissance de premier ordre. Sa vie est intimement liée à la vie morale de toute la société humaine.

A ne considérer que la surface des choses, il semble que le gouvernement anglais soit le type idéal du gouvernement pour les peuples qui aspirent au progrès, et cependant l'état social de la France et sa constitution politique sont bien autrement sympa thiques et représentent à plus de titres l'esprit de la civilisation moderne. Le royaume des Pays-Bas, la Belgique, le Piémont, Naples, et quelques parties de l'Allemagne et de la Suisse vivent. aujourd'hui sous l'empire de législations calquées en tout ou en partie sur nos codes. Là où ces lois ont été implantées par la conquête française, elles ont pris racine de telle sorte que les nouveaux gouvernements, malgré tous leurs efforts, ont été amenés à les-prendre pour modèles. Là où elles ne sont connues que par oui-dire, elles sont l'espérance de l'aveniret la promesse du progrès.

Mais toutes les fois que l'esprit de liberté en France a inquiété le monde par ses excès, toutes les fois que l'élément démocratique a donné des craintes légitimes à l'instinct de conservation, la réaction inévitable qui se produit en France a son contre-coup en Europe. C'est ce qui arrivait cette fois encore.

Après les encouragements menaçants donnés par la révolution française à la révolte contre les gouvernements établis, un retour subit à la forme monarchique, sous le nom de présidence décennale, ne pouvait donner des craintes qu'aux partisans de la liberté. Les amis de l'autorité accueillirent d'abord avec surprise, puis avec une satisfaction marquée, la nouvelle du coup d'Etat du 2 décembre 1851. La foi constitutionnelle, il est vrai, en fut ébranlée mais on échappait aux périls si redoutés de 1852, et, plus les alarmes avaient été vives, moins on se sentait disposé à blâmer une mesure de salut public.

Telle fut surtout l'impression faite sur les gouvernements conservateurs et monarchiques. Celui de tous qu'avait le plus menacé, le plus éprouvé l'esprit révolutionnaire, le gouvernement autrichien vit dans la victoire du principe monarchique en France, un gage de stabilité pour les grands établissements européens. M. le prince de Schwarzenberg ne chercha pas à dissimuler la satisfaction que lui causait un acte qui tendait à fortifier les pouvoirs constitués. Il y avait dans la politique hardie du Président de la République française, une similitude trop frappante avec la politique récemment inaugurée en Autriche, pour que le premier ministre autrichien n'approuvât pas les modifications apportées à la Constitution française et n'en désirât pas même de plus radicales encore.

La Prusse, avec moins d'enthousiasme sans doute, s'associa à ces démonstrations favorables et la Russie joignit ses félicitations à celles que l'énergie du Président de la République française recevait des cabinets rassurés.

Mais il n'en devait pas être de même dans les pays où régnait le régime parlementaire. La chute de l'établissement constitutionnel y fut considérée comme un malheur et comme une menace. L'Angleterre s'émut; la Belgique et le Piémont tremblèrent; le libéralisme espagnol se crut atteint. Par son voisinage, par ses

conditions politiques particulières, la Belgique surtout ne semblait que trop fondée dans ses inquiétudes.

Cette nation, de formation nouvelle en Europe, doit à sa situation géographique des avantages spéciaux, comme ses devanciers lui durent autrefois des inconvénients graves. Le territoire belge, qui fut pendant tant de siècles la grande route des armées européennes et le champ clos des querelles de l'Espagne, de la France, de l'Autriche et de l'Angleterre, aujourd'hui sillonné de canaux, de voies fluviales et de chemins de fer, est le rendez-vous pacifique, la grande route commerciale des produits de la France, des Pays-Bas et du Zollverein. Cette situation prospère, créée et protégée par le commun accord des puissances européennes, y semble indissolublement liée aux institutions parlementaires. Le régime constitutionnel y fonctionne régulièrement c'est une plante qui a trouvé un sol propice, un climat favorable. L'esprit des institutions britanniques s'y est facilement naturalisé : il a pénétré dans toutes les classes, et la nationalité belge se confond de plus en plus avec la nature de son gouvernement. Trembler pour le régime parlementaire en Belgique, c'était donc trembler pour la Belgique elle-même..

S'il n'en était pas de même dans les Etats-Sardes, il y avait là au moins, sinon une longue habitude, sinon une parfaite intelligence, au moins une expérience intéressante du gouvernement constitutionnel. Là, un roi jeune, aimé de son peuple, loyal, s'était dévoué sans arrière-pensée au maintien de la royauté parlementaire. Fondé dès le 8 février 1848, le régime nouveau s'était vu malheureusement compromis par une solidarité regrettable avec les agitations révolutionnaires. L'utopie de l'unité italienne, patronée par l'ambition du noble et infortuné Charles-Albert, avait valu au Piémont, non-seulement la perte d'immenses ressources amassées avec une rare prévoyance, mais encore l'introduction dans le gouvernement représentatif d'un vice originel. Le régime nouveau, régulier dans sa source, portait la peine de ses déplorables alliances. Mais enfin il semblait que perdre cette forme de gouvernement, ce dût être perdre l'espérance d'un avenir préparé par tant d'efforts et de souffrances.

Le coup d'Etat si énergiquement exécuté de l'autre côté des

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