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Utrecht ne fabrique plus les velours de poil de chèvre qui ont conservé son nom. Cette ville, dont les fortifications se sont transformées en un parc à l'anglaise qui lui fait une ravissante ceinture de promenades, est devenue essentiellement une ville d'études; elle renferme de belles collections d'histoire naturelle et un curieux Musée agricole. Les cours, dans toutes les branches de connaissances humaines, y sont nombreux. C'est dans sa propre maison que M. Ackersdyck enseigne l'économie politique; les élèves se pressent dans sa bibliothèque pour entendre sa parole: le philosophe y est entouré de disciples à la manière antique. A son retour du congrès de Bruxelles, ils ont voulu célébrer les succès qu'il y avait obtenus en lui donnant une sérénade; il s'est refusé à cet hommage. Par cela même qu'elle s'adresse plus que toute autre à la raison, et que l'application de ses principes est plus importante pour l'avenir de l'humanité, il sied à l'économie politique d'être modeste. Elle doit éviter de porter ombrage; elle est du reste honorée et respectée en Hollande; les hommes éminents la cultivent avec soin et elle est encore enseignée avec distinction à Leyde par le vénérable professeur Tydemann et à Amsterdam par M. Den Tex.

Entre Utrecht et Arnheim j'aurais voulu pouvoir visiter l'établissement des frères Moraves, à Zeyst, comme j'avais visité en 1814 leur colonie de Bethléem aux États-Unis. Il ne paraît pas toutefois que la vie phalanstérienne y donne de bons résultats; les produits de leur industrie, qu'ils avaient l'habitude de vendre aux étrangers, ne soutiennent plus la concurrence des autres fabriques, et ils en sont réduits maintenant à acheter pour revendre.

Il est temps toutefois de m'arrêter; les impressions d'un voyage de six jours ne donnent pas à un économiste le droit de remplir un volume. Il faudrait six mois pour étudier convenablement la Hollande. HORACE SAY.

Notice sur la Caisse d'escompte de 1776.

Lorsqu'un établissement comme la Banque de France atteint une importance considérable dans la vie pratique de Ja nation, et joue un aussi grand rôle dans tout ce qui tou

che aux intérêts matériels du pays, il peut être utile en même temps que curieux de rassembler les faits qui servent d'introduction à son histoire, de rappeler les établissements qui l'ont précédé et ont pu lui servir de modèles, d'en raconter les succès, d'en signaler les fautes.

Parmi les établissements de crédit qui ont été créés en France avant et pendant la Révolution, aucun n'offre plus de rapport avec la Banque de France actuelle que la caisse d'escompte de 1776. Aucun n'a traversé dans un plus petit nombre d'années plus de crises financières et politiques; aucun n'offre dans son histoire plus de données pratiques au théoricien qui veut étudier les billets de confiance et les papiers-monnaie.

Ce fut sous le ministère de Turgot que fut fondée la caisse d'escompte, société en commandite par actions au capital de 15 millions, dont le but était d'escompter les effets de commerce et de faire sans frais les paiements des négociants qui voulaient avoir des comptes courants chez elle.

Pendant les premières années de cette création, les affaires de la caisse d'escompte furent languissantes.

Les billets ne trouvaient un peu de crédit que parmi les joueurs ils étaient émis à leur intention payables en or. Jusqu'en 1780 les dividendes ne dépassèrent pas 5 1/2 p. 0/0 du capital des actions. Ce fut seulement vers 1782 que, par l'appui des premières maisons de banque, par ses relations avec l'Espagne, cet établissement prit du crédit ; ses billets circulèrent et ses dividendes augmentèrent. En 1783 ils furent de 8 p. 0/0. Aucune règle n'avait déterminé le rapport entre l'émission des billets et la réserve métallique de la caisse. 6 millions avaient été prêtés au gouvernement et dans le premier trimestre de 1783, le caissier n'avait pu réunir un seul jour 5 millions, tandis qu'il existait en circulation pour plus de 35 millions de billets. Le numéraire s'épuisant de plus en plus, il se trouva au mois de septembre qu'il n'y avait plus que 138,000 liv. en caisse. Le trésor devait bien 6 millions, avec lesquels on aurait fait face aux besoins du moment, mais comme l'état des finances rendait impossible un remboursement immédiat, il fallut, pour sauver la caisse, que le conseil du roi, par un arrêt de surséance, donnât un cours forcé aux billets. Cet état funeste

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ne dura pas longtemps, il servit de leçon aux administrateurs, et à peine l'arrêt fut-il levé (4 oct. 1783) qu'ils défendirent par un nouveau réglement d'émettre des billets autrement que sur des garanties réelles et de laisser tomber la réserve au-dessous du tiers de la valeur des billets en circulation. Aussi, bientôt ils virent les bénéfices augmenter, et les actions hausser. Le dividende fut de 13 1/2 p. 0/0 en 1785 et de 15 en 1786. Un jeu effréné s'établit alors sur les actions, et Mirabeau dénonça vainement l'agiotage; ses brochures furent supprimées par arrêt du conseil.

En 1787, une grande baisse s'étant manifestée à la Bourse, par suite des événements politiques, Calonne, alors ministre, crut le moment propice pour modifier la constitution de la caisse et pour cacher sous cette modification le projet d'emprunt par lequel il espérait rétablir les finances ruinées par ses prodigalités.

Les gouvernements peuvent emprunter aux banques de deux manières, soit en s'en faisant prêter le capital, soit en s'en faisant prêter les billets, c'est-à-dire le fonds réel ou le fonds fictif, la richesse propre ou le crédit. Comme les valeurs de portefeuille sont la représentation du papier qu'une banque met en circulation, on peut trouver juste peut-être que le capital puisse être employé en partie à des placements avantageux, et il semble que l'État doive être pour elle un débiteur aussi lucratif et plus sûr que tout autre. Néanmoins cette sorte d'emprunt peut devenir l'oc casion du funeste changement que l'on cherche toujours à prévenir du billet de banque en papier-monnaie. Vienne un concours de porteurs de billets à la caisse du remboursement, et l'État craignant de voir se retourner vers lui les créanciers qui ont épuisé rapidement la caisse de la banque, parce qu'elle s'était reversée dans celle du trésor, forcera par une loi le cours des billets de la banque, permettra de payer les lettres de change en billets et les billets en lettres de change, en un mot, créera un papier-monaie. L'autre système, qui consiste à emprunter les billets, mêne bien plus rapidement encore au même résultat. La banque n'est plus dans ce cas qu'un intermédiaire qui fabrique le papier-monnaie soutenu par le gouvernement. Le gouvernement, dans ce cas, emprunte un nom, emprunte

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un crédit, se sert de la confiance que l'établissement inspire, et entretient ainsi les esprits dans une fausse sécurité. En 1787, Calonne usa du premier moyen, il réunit les actionnaires, leur proposa de créer de nouvelles actions, de porter le capital à 100 millions et d'en prêter 70 à l'État. Ce premier prêt du fonds capital de la banque n'avait rien que de très-régulier et de très-loyal, mais nous verrons dans quelle crise il jeta l'établissement jusqu'à l'époque du ministère de Necker au 26 août 1788.

Les 70 millions furent versés au trésor le 18 juin 1787, à titre de prêt et cautionnement des engagements de la ban. que envers le public. La réserve ne fut plus une nécessité, ce ne fut qu'une mesure de prudence que l'arrêt du conseil d'État autorisait les administrateurs à prendre. Cet article de l'arrêt nous fait comprendre sous quel faux point de vue le prêt au gouvernement avait été considéré. Les 70 millions étaient toujours censés représenter une réserve pour les billets; fiction sans réalité, puisque ces millions ne pouvaient rentrer sur l'heure dans les coffres de la banque, ils étaient par conséquent inutiles à ceux des porteurs de billets qui désiraient de l'argent. La banque d'Angleterre qui a prêté son capital à l'État est partie d'un principe qui est peut-être plus juste. Le prêt fait au gouvernement représente la circulation du pays et l'on raisonne toujours dans l'hypothèse que les billets qui forment le montant du prêt ne viennent jamais au remboursement. Les premiers mois qui suivirent la nouvelle organisation furent les plus brillants de la caisse d'escompte, et elle eut toujours plus du tiers en numéraire de la somme des billets en circulation. Mais les événements politiques, le refus d'enregistrement de l'édit du timbre, l'exil du Parlement, inquiétant la capitale, il y'eut du 24 au 28 août 1787 un grand concours à la banque. 33 millions sortirent de ses coffres et déjà le ministre tremblait; la banque épuisée on devait évidemment courir au Trésor. Il voulut rendre un arrêt de surséance pour forcer le cours des billets. La mesure fut arrétée à temps par l'administration; mais déjà l'on pouvait prévoir l'influence que, par leurs reations avec les finances du royaume, les événements polifiques devaient avoir sur les opérations de notre caisse. Brienne, qu'on avait annoncé de Toulouse comme un grand

homme, qu'on avait eru grand politique et qui n'était qu'intrigant, mit bientôt à sec les ressources de la France. Rien n'était sacré pour lui. Il avait vidé la caisse des Invalides, pris l'argent des souscriptions destinées à soulager les provinces ravagées par la grêle; il voulut tout terminer par une banqueroute, et le 16 août 1788 il déclara que les paiements du Trésor ne se feraient plus que deux cinquièmes en numéraire et le reste en billets.

La caisse d'escompte réclama vivement pour ce qui concernait ses 70 millions, et ils furent exceptés de l'arrêt; mais pour qu'on ne vînt pas au remboursement, le ministre fit apposer le lendemain matin une affiche à la porte de la caisse, par laquelle il autorisait le paiement des billets en lettres de change. Les administrateurs en sortant du conseil lurent cet arrêté avec étonnement.

Brienne ne put tenir devant l'indignation publique, et bientôt céda la place à l'homme dont la réputation d'intégrité et la popularité étaient immenses, à l'homme qui sur son drapeau avait inscrit publicité et probité, et qui pourtant, nous avons honte de le dire, ne se soutint d'abord qu'à l'aide d'un secret déloyal.

Il y avait 400,000 fr. au Trésor, avec lesquels on ne pouvait finir la journée. Ce fut alors que Necker osa former le plan d'un nouvel emprunt à la banque et prit le second moyen dont nous avons parlé. Il demanda aux administrateurs de faire des émissions nouvelles, de lui prêter les billets et à l'aide d'un secret absolu, de se servir à son profit du crédit, c'est-à-dire de la confiance qu'inspirait au public l'administration de la caisse d'escompte. Le premier secours fut de 15 millions, le second suivit de près le premier (16 oct. 1788). Enfin, le 29 mai 1789, Necker s'abaissa jusques aux dernières supplications. « J'espère, écrit-il, que vous n'êtes pas indifférents à mes embarras particuliers; - voyez la crise des finances, celle des grains, celle des Etats généraux, et sortez-moi d'inquiétude pour la partie qui dé'pend de vous. >>

Chaque prêt diminuant pour la caisse la possibilité de rembourser les porteurs de billets, le gouvernement qui lui enlevait le moyen de satisfaire à ses engagements l'en dispensait par des arrêts, et celui du 18 août avait déjà

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