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ne dura pas longtemps, il servit de leçon aux administrateurs, et à peine l'arrêt fut-il levé (4 oct. 1783) qu'ils défendirent par un nouveau réglement d'émettre des billets autrement que sur des garanties réelles et de laisser tomber la réserve au-dessous du tiers de la valeur des billets en circulation. Aussi, bientôt ils virent les bénéfices augmenter, et les actions hausser. Le dividende fut de 13 1/2 p. 0/0 en 1785 et de 15 en 1786. Un jeu effréné s'établit alors sur les actions, et Mirabeau dénonça vainement l'agiotage; ses brochures furent supprimées par arrêt du conseil.

En 1787, une grande baisse s'étant manifestée à la Bourse, par suite des événements politiques, Calonne, alors ministre, crut le moment propice pour modifier la constitution de la caisse et pour cacher sous cette modification le projet d'emprunt par lequel il espérait rétablir les finances ruinées par ses prodigalités.

Les gouvernements peuvent emprunter aux banques de deux manières, soit en s'en faisant prêter le capital, soit en s'en faisant prêter les billets, c'est-à-dire le fonds réel ou le fonds fictif, la richesse propre ou le crédit. Comme les valeurs de portefeuille sont la représentation du papier qu'une banque met en circulation, on peut trouver juste peut-être que le capital puisse être employé en partie à des placements avantageux, et il semble que l'État doive être pour elle un débiteur aussi lucratif et plus sûr que tout autre. Néanmoins cette sorte d'emprunt peut devenir l'occasion du funeste changement que l'on cherche toujours à prévenir du billet de banque en papier-monnaie. Vienne un concours de porteurs de billets à la caisse du remboursement, et l'État craignant de voir se retourner vers lui les créanciers qui ont épuisé rapidement la caisse de la banque, parce qu'elle s'était reversée dans celle du trésor, førcera par une loi le cours des billets de la banque, permettra de payer les lettres de change en billets et les billets en lettres de change, en un mot, créera un papier-monaie. L'autre système, qui consiste à emprunter les billets, mêne bien plus rapidement encore au même résultat. La banque n'est plus dans ce cas qu'un intermédiaire qui fabrique le papier-monnaie soutenu par le gouvernement. Le gouvernement, dans ce cas, emprunte un nom, emprunte

il est de 15 et demi; dans le commerce, il varie de 15 et demi à 15 3/4. Il tendra à revenir à l'ancien niveau. Si les frais de production de l'or ne comportaient pas cette baisse, la production cesserait de s'accroître, et irait elle-même en diminuant; mais la chance n'est pas de ce côté. A cause de la supériorité des moyens mécaniques avec lesquels on attaque les alluvions de la Sibérie, on est autorisé à admettre qu'une baisse de prix est possible sans que la production en soit affectée sensiblement.

Mais à côté de cette force qui tend à déprécier l'or, relativement à l'argent et à l'ensemble des autres produits de l'industrie humaine, une force égale, plus énergique même, existe, à l'état latent encore, qui ferait subir une dépréciation analogue à l'argent. Dès lors le rapport de l'or à l'argent, qui nous apparaissait tout à l'heure comme exposé à une forte perturbation, pourrait n'être modifié que de peu ; cependant un fait plus grave se révélerait : en comparaison de tous les autres objets, ces deux métaux précieux éprouveraient une baisse du genre de celle qui eut lieu lorsque la découverte de l'Amérique permit de se les procurer l'un et l'autre, mais l'argent surtout, en beaucoup plus grande quantité avec le même travail.

La force latente encore qui doit abaisser la valeur du métal argent, consiste dans l'impulsion désormais certaine que recevra d'ici à un délai qu'on ne peut assigner, mais qui ne paraît pas devoir être fort long, l'art d'exploiter les mines dans le Nouveau-Monde. La chaîne des Andes dont la longueur n'est pas de moins de quatorze mille kilom., quatorze fois la longueur de la France du nord au midi, semble sillonnée sur toute son étendue, de filons argentifères, presque toujours' même parsemés d'un peu d'or, et qui, s'ils n'offrent en général qu'une faible teneur métallique, semblable à celle des filons d'Europe, peuvent du moins à bon droit, pour leur épaisseur extraordinaire, être qualifiés de filons géants; mais l'exploitation en est restée extrêmement barbare. Hormis le procédé dù au mineur Medina, de l'amalgamation à froid, tout est grossier dans le travail des mines d'argent de l'Amérique, et cette gros

L'argent de la classique mine du Potosi n'est pas aurifère.

sièreté se traduit par la nécessité de beaucoup plus de travail et par conséquent de dépense. Le procédé de Medina lui-même, tout précieux qu'il est pour des contrées où le combustible manque, pour extraire l'argent des minerais les moins riches qui sont les plus fréquents, ne s'applique pas également bien à toutes les natures de minerais. Dans la plupart des établissements métallurgiques du NouveauMonde on n'a pas la moindre teinture de mécanique. Partout les moyens de transport sont exécrables. Si la civilisation apportait dans ces pays l'arsenal des ressources dont elle dispose en Europe ou aux État-Unis, les frais de production de l'argent seraient diminués dans une forte proportion; pour me servir de l'expression qu'employait, il y a près d'un demi-siècle, M. de Humboldt, l'Europe serait inondée de métaux précieux, et par l'Europe le monde.

Je ne reproduirai pas ici, même en raccourci, l'analyse que j'ai présentée ailleurs', de tout ce qu'a d'arriéré l'extraction actuelle de l'argent. Je prends le fait pour constant, il n'est contesté par personne. On reconnaît généralement aussi que les améliorations à introduire dans cette industrie seraient assez faciles si un peuple industrieux, c'est encore une expression de M. de Humboldt, dominait dans ces régions. Alors, en effet, on verrait bientôt des moyens de transport s'organiser, des méthodes nouvelles s'établir pour l'exploitation des filons et la préparation mécanique des minerais. Quant au renouvellement des procédés métallurgiques proprement dit, on peut considérer que c'est déjà chose acquise. L'électro-chimie semble avoir résolu le problème, et de plus d'une façon peut-être, par les mains des chimistes français, anglais et allemands. Pour ce qui est de la venue du peuple industrieux, c'est pareillement un fait présentement accompli, au moins pour le principal des pays producteurs, le Mexique. Les entreprenants enfants de la race Anglo-américaine domineront désormais dans les provinces mexicaines, et ce n'est pas au Mexique que se bornera leur influence.

Pour ce qui est d'apprécier de combien le perfectionnement de l'industrie minérale en Amérique fera baisser les

Des mines d'argent et d'or du Nouveau-Monde, chap. xiv.

frais de production de l'argent, il serait dès à présent chimérique de le tenter. Que si on me demandait une indication, qui, sans être précise, fût cependant propre à éclaircir les idées, je me hasarderais à dire qu'une réduction de moitié d'ici à un quart de siècle n'aurait rien dont on dut être surpris, sans préjudice de progrès ultérieurs. En m'exprimant ainsi sous toute réserve, je suppose que la richesse des mines du Nouveau-Monde se présentera la même, sans solution de continuité; c'est fort probable. La diminution des frais de production dont on eut le spectacle après la découverte du nouveau continent, fut des trois quarts ou des cinq sixièmes dans un intervalle d'un siècle peutètre.

D'après les circonstances connues aujourd'hui, il y a lieu de prévoir, que de même qu'après l'acquisition du NouveauMonde, la baisse des frais de production serait plus forte pour l'argent que pour l'or.

Ensuite ici, pour l'or des mines de la Russie de même que pour l'argent de l'Amérique, il faut distinguer entre la baisse des frais de production et la baisse de la valeur. La valeur des choses se règle sur les frais de production, et les métaux précieux se conforment à cette loi; mais ce n'est pas instantanément qu'une loi semblable se fait obéir. A cause de la grande quantité d'or et d'argent que la civilisation possède aujourd'hui, et qui est sur le marché, il faudrait un certain délai avant que la réduction des frais de production fit pleinement sentir ses effets. On conçoit aussi que certains faits politiques et économiques peuvent les uns précipiter les autres, retarder le moment où l'influence d'une grande production d'or et d'argent se manifesterait tout entière. Supposez la plupart des pays où la civilisation brille du plus grand éclat, l'Europe entière, par exemple, en proie pendant un quart de siècle à des dissensions intestines, ou à des calamités d'un autre ordre, la demande des métaux précieux pour les divers usages auxquels ils se prêtent, serait faible pendant que l'offre grandirait, la baisse de valeur de l'or et de l'argent serait alors beaucoup plus rapide que si la paix s'affermissait parmi les puissances et que l'ordre et la prospérité régnassent sans partage au sein de tous les grands États.

Pareillement, si par une cause quelconque, difficile à imaginer cependant, le courant en vertu duquel les AngloAméricains se répandent sur le reste du nouveau continent et y étendent leur autorité ou leur influence, venait à s'arrêter ou à se suspendre pendant quelque temps, ce serait un ajournement d'autant pour les prévisions qui viennent d'être énoncées, à l'égard de l'argent au moins.

De quelque éventualité que dépende la proximité ou l'éloignement de la baisse prévue ici pour les métaux précieux, et l'étendue même qui la caractérisera, on doit la regarder comme inévitable. C'est un sujet digne de prendre place dans la préoccupation des hommes d'État. I ne faut pas se dissimuler en effet que la portée d'un pareil fait est grande. La diminution de la valeur des métaux précieux entraine comme conséquence le bouleversement de tous les prix, le changement des rapports convenus entre débiteurs et créanciers, l'amoindrissement de l'existence des individus ou des classes comme celles des rentiers qui vivent sur un revenu exprimé en monnaie d'argent ou d'or. Entre autres événements qui s'ensuivraient encore il faut compter une grosse perte pour les nations qui consacrent une forte proportion de métaux précieux au service intérieur des échanges: la France, avec ses deux milliards et demi ou trois milliards de numéraire métallique, est dans ce cas. On peut signaler aussi une diminution du fardeau des dettes publiques, puisque les Etats ne se sont engagés qu'à payer à leurs prêteurs une somme déter. minée, c'est-à-dire un poids fixe d'or ou d'argent.

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En terminant, je crois devoir renvoyer les lecteurs qui voudraient plus de détails sur les mines d'or et d'argent des diverses contrées du monde, à la Nouvelle Espagne et à l'Asie centrale de M. de Humboldt, et à l'ouvrage de M. Jacob sur les métaux précieux (ou Precious metals). On trouvera aussi des renseignements d'un grand intérêt dans l'ouvrage de M. Saint-Clair Duport, sur la Production des métaux précieux au Mexique. MICHEL CHEVALIER.

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