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ractère semi-politique; non-seulement le roi en nomme les trois directeurs, mais comme ayant titre de gérant, il désigne parmi les actionnaires un des treize commissaires, les douze autres sont nommés par les colléges électoraux et dans les proportions suivantes : Amsterdam et Rotterdam, chacun quatre; Dordrecht, Leyde, Middelbourg et La Haye, un par collége. La société ne doit pas posséder de navires ; elle fait des affrétements et le nombre de navires qui doit partir et faire retour dans chaque port est déterminé d'avance. Depuis la séparation de la Belgique, elle fait beaucoup moins d'achats d'articles fabriqués et elle se restreint de plus en plus aux affaires de commission. Sans les fortes consignations du gouvernement, ses opérations seraient déjà très-réduites, et il est probable que le commerce libre et direct finira par prendre le dessus.

Arrivé à Amsterdam le dernier jour de la Kermesse, j'ai eu le curieux spectacle des bruyantes saturnales de ce peuple si flegmatique. Les mêmes gen 3, d'ordinaire posés et silencieux, prennent alors des allures toutes différentes, bondissent et chantent à vous étourdir. Ce jour-là on donne congé à toutes ces servantes qui, d'un bout de l'année à l'autre, lavent incessamment les façades des maisons, véritables danaïdes recommençant toujours un travail qui ne doit jamais finir. Elles déposent la brosse, l'éponge, l'écouvillon, et s'élancent avec fureur vers le plaisir ; le congé dure jusqu'au lendemain matin à huit heures. L'essentiel pour elles est d'avoir une belle toilette et le bras d'un homme; ce dernier article est même le plus essentiel ; ailleurs, il compromet quelquefois, ici on est perdue de réputation si l'on est obligée de s'en passer; pour l'avoir, on est prête à bien des sacrifices, voire même quelquefois, diton, à payer la journée du bienheureux mortel. La population ainsi arrangée deux par deux parcourt la ville en chantant et en dansant. Des boutiques de rafraîchissements sont improvisées sur tous les points, et à la lueur des flambeaux, j'ai pu voir se reproduire successivement tous les épisodes des tableaux de Teniers.

La journée du lendemain, dimanche, a été des plus utilement remplie par une excursion aux deux bourgs de Saardam et de Brouk dans le Nord-Hollande. Une barque nous

a transportés sur l'autre rive de l'Y, à l'embouchure du magnifique canal maritime par lequel les navires arrivent de la mer du Nord à Amsterdam, en évitant la navigation dangereuse du Zuiderzée. De là nous avons parcouru en calèche la route un peu cahoteuse qui suit le sommet des digues, exposés à un vent d'ouest arrivant sans obstacle du fond de l'Océan pour faire tourner les 2,300 moulins de Saardam. Rien de plus propre, si ce n'est Brouk, que cette petite ville, célèbre par ses chantiers de construction, où travailla Pierre le Grand, et par ses nombreuses fabriques de papier, d'huile, etc. Assise sur l'Y et sur le Binnenzaam, ses kiosques peints des couleurs les plus fraîches se montrent de tous côtés sur cette rivière, rappelant encore, au dire de mon ami et compagnon de voyage M. Natalis Rondot, les paysages aquatiques de la Chine.

Entre les deux bourgs, objets de notre course, nous avons pu visiter une ferme ou fromagerie. Un semblable établissement se compose essentiellement d'un grand bàtiment carré, à faces égales, surmonté d'un toit élevé et pointu sous lequel le fourrage est abrité. L'étable et les chambres où se font cuire et égoutter les fromages occupent trois des faces; le logement du fermier est comme enclavé dans le tout. Du reste, l'étable elle-même est aussi propre que le salon; pendant que les vaches bivouaquent en été dans les herbages, leurs stalles sont peintes et frottées; les ustensiles de ménage, et surtout ceux qui sont en cuivre, plus brillants que s'ils étaient neufs, en forment l'ornement.

La fabrication du fromage, l'une des sources de richesse du pays, est ici particulièrement soignée; les chaudières, les nombreuses sébiles de bois dans lesquelles ces fromages sont cuits, salés, égouttés, et dans lesquelles ils prennent leur forme sphérique si régulière et si connue dans le monde entier, sont toujours propres. Après ces diverses opérations, les fromages doivent être placés sur des planches pour sécher et pour que la croûte y prenne la dureté nécessaire à leur bon transport. Mais, malgré l'ahondarte récolte de l'année, les tablettes étaient peu garnies lors de notre visite; la diminution des tarifs en Angleterre a causé un tel accroissement de demandes qu'on ne

laisse plus aux fromages le temps de sécher entièrement. Les exportations de la Hollande, pour l'Angleterre, se sont considérablement accrues en 1846, non-seulement pour ce qui concerne le fromage, mais encore pour le beurre, pour les bestiaux, pour des produits divers, et l'agri culture du pays trouve de ce côté de notables encouragements.

Le village de Brouk est habité par des cultivateurs, fabricants de fromages et éleveurs de bestiaux, et tous assez riches; c'est le lieu le plus propre de toute la Hollande et par conséquent du monde entier ; des sentiers carrelés et lavés serpentent entre les jardins qui entourent les maisons fraichement décorées; la circulation est interdite aux voitures et aux animaux. La porte d'honneur de chaque mai. son ne s'ouvre qu'aux grandes solennités : pour le baptême, le mariage, la mort; le service habituel se fait par une porte dérobéc. Le dimanche, les femmes, richenient vêtues, avec des ornements d'or dans les cheveux, se promènent silencieusemeat, deux à deux. A force d'ordre et de netteté ce lieu est d'une profonde tristesse; l'aspect en frappe d'étonnement, on croirait voir autour de soi l'arrangement factice d'une décoration de théâtre. Quant à cette propreté des Hollandais, elle est pour eux une nécessité d'hygiène et elle est facile à entretenir dans un pays de gazon et d'humidité où l'on ne voit jamais de poussière.

La Hollande est un pays plutôt commercial et agricole que manufacturier; cependant des fabriques s'y développement dans presque tous les genres, sans le secours d'aucun droit protecteur, sous le régime de la liberté. Une mauvaise législation sur les sucres fait peut-être seule exception et, par le bénéfice d'une prime payée aux dépens du pays tout entier, porte à exagérer l'exportation du sucre raffiné.

Une étude détaillée des manufactures hollandaises conduirait à des observations intéressantes; il est curieux, par exemple, de voir la ville de Leyde fabriquer avec du poil de chèvre venu du Levant, et de la laine de la Frise une étoffe spéciale, le Polemienten, dont les seuls consommateurs sont les Chinois. Leyde, où l'on travaille à bon marché, est encore célèbre pour ses camelots et ses couvertures en laine du pays.

Utrecht ne fabrique plus les velours de poil de chèvre qui ont conservé son nom. Cette ville, dont les fortifications se sont transformées en un parc à l'anglaise qui lui fait une ravissante ceinture de promenades, est devenue essentiellement une ville d'études; elle renferme de belles collections d'histoire naturelle et un curieux Musée agricole. Les cours, dans toutes les branches de connaissances humaines, y sont nombreux. C'est dans sa propre maison que M. Ackersdyck enseigne l'économie politique; les élèves se pressent dans sa bibliothèque pour entendre sa parole: le philosophe y est entouré de disciples à la manière antique. A son retour du congrès de Bruxelles, ils ont voulu célébrer les succès qu'il y avait obtenus en lui donnant une sérénade; il s'est refusé à cet hommage. Par cela même qu'elle s'adresse plus que toute autre à la raison, et que l'application de ses principes est plus importante pour l'avenir de l'humanité, il sied à l'économie politique d'être modeste. Elle doit éviter de porter ombrage; elle est du reste honorée et respectée en Hollande; les hommes éminents la cultivent avec soin et elle est encore enseignée avec distinction à Leyde par le vénérable professeur Tydemann et à Amsterdam par M. Den Tex.

Entre Utrecht et Arnheim j'aurais voulu pouvoir visiter l'établissement des frères Moraves, à Zeyst, comme j'avais visité en 1814 leur colonie de Bethleem aux États-Unis. Il ne paraît pas toutefois que la vie phalanstérienne y donne de bons résultats; les produits de leur industrie, qu'ils avaient l'habitude de vendre aux étrangers, ne soutiennent plus la concurrence des autres fabriques, et ils en sont réduits maintenant à acheter pour revendre.

Il est temps toutefois de m'arrêter; les impressions d'un voyage de six jours ne donnent pas à un économiste le droit de remplir un volume. Il faudrait six mois pour étudier convenablement la Hollande. HORACE SAY.

Notice sur la Caisse d'escompte de 1776.

Lorsqu'un établissement comme la Banque de France atteint une importance considérable dans la vie pratique de Ja nation, et joue un aussi grand rôle dans tout ce qui tou

che aux intérêts matériels du pays, il peut être utile en même temps que curieux de rassembler les faits qui ser vent d'introduction à son histoire, de rappeler les établissements qui l'ont précédé et ont pu lui servir de modèles, d'en raconter les succès, d'en signaler les fautes.

Parmi les établissements de crédit qui ont été créés en France avant et pendant la Révolution, aucun n'offre plus de rapport avec la Banque de France actuelle que la caisse d'escompte de 1776. Aucun n'a traversé dans un plus petit nombre d'années plus de crises financières et politiques; aucun n'offre dans son histoire plus de données pratiques au théoricien qui veut étudier les billets de confiance et les papiers-monnaie.

Ce fut sous le ministère de Turgot que fut fondée la caisse d'escompte, société en commandite par actions au capital de 15 millions, dont le but était d'escompter les effets de commerce et de faire sans frais les paiements des négociants qui voulaient avoir des comptes courants chez elle.

Pendant les premières années de cette création, les affaires de la caisse d'escompte furent languissantes.

Les billets ne trouvaient un peu de crédit que parmi les joueurs ils étaient émis à leur intention payables en or. Jusqu'en 1780 les dividendes ne dépassèrent pas 5 1/2 p. 0/0 du capital des actions. Ce fut seulement vers 1782 que, par l'appui des premières maisons de banque, par ses relations avec l'Espagne, cet établissement prit du crédit ; ses billets circulèrent et ses dividendes augmentèrent. En 1783 ils furent de 8 p. 0/0. Aucune règle n'avait déterminé le rapport entre l'émission des billets et la réserve métallique de la caisse. 6 millions avaient été prêtés au gouvernement et dans le premier trimestre de 1783, le caissier n'avait pu réunir un seul jour 5 millions, tandis qu'il existait en circulation pour plus de 35 millions de billets. Le numéraire s'épuisant de plus en plus, il se trouva au mois de septembre qu'il n'y avait plus que 138,000 liv. en caisse. Le trésor devait bien 6 millions, avec lesquels on aurait fait face aux besoins du moment, mais comme l'état des finances rendait impossible un remboursement immédiat, il fallut, pour sauver la caisse, que le conseil du roi, par un arrêt de surséance, donnât un cours forcé aux billets. Cet état funeste

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