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à

la montée, ce qui leur donna le respit de parlementer et d'estre mercy en payant rançon. Il y eut une autre troupe d'hommes et de femmes qui se sauvèrent dedans la Chambre du Trésor de l'Eglise St Spire, où ils furent deux jours, après la prise de la ville, sans estre apperçeus, et y eussent esté encores davantage, à cause que l'huis de la montée ne paroissoit point par dehors, estant faite de mesme lambris que le reste de la Sacristie, où est son entrée et sortie ; ils furent descouverts par un Prestre qui vouloit s'insinuer en la grâce des espagnols; ces habitans se mirent à rançon à douze mille livres en bloc, le fort portant le foible, dont après il y eut un grand procès, pour sçavoir comment cette somme s'égaleroit entr'eux ; et par arrest de la Cour de Parlement dû dixseptième janvier, mil cinq cens quatre-vingt seize, la somme fut dispersée entr'eux sur le pied de la taille qu'ils avoient payée l'année de leur prise. En tout ce siège et aux assauts, il n'y eut personne de nom entre les ennemis qui ait esté tué, sinon le Marquis de Renty, de la maison de Lalin, qui fut blessé au premier assaut, et s'en alla mourir à Mons en Haynault. Jean-Baptiste Taxis, général des vivres de l'armée espagnole, fut aussi blessé d'un coup de mousquet, et eut bien de la peine à se guérir de sa playe. Attille Ticin de Vincense fut plus heureusement guéry d'un coup d'arquebuse qu'il reçut à la prise de la ville.

En cette année il y avoit quantité de raisins aux vignes, les soldats estrangers en mangèrent si excessivement qu'il en mourut plus de quatre mille de dysenterie; et à présent on ne laboure guère dans les jardins des faux-bourgs, sans rencontrer de leurs ossements, à cause qu'ils ne prirent pas la peine de porter les corps au cy

metière.

Dedans la ville, les rues et places publiques demeurèrent trois jours remplies de corps morts, gisans tous nuds par terre. Enfin ils furent inhumez et comptez jusques à douze cens, encores que tous ceux qui ont esté dans la ville durant le siège, disent qu'il n'y eut point plus de vingt-cinq habitans de tuez, et environ huit cens soldats; partant il faudroit qu'il y ait eu trois à quatre cens des ennemis de diverses Nations, qui se soient entretuez en la chaleur du pillage, qui fut si violent, qu'ils ne laissèrent aucune ustancile de ménage qui se peust transporter, que les Fripiers de Paris n'achetassent à vil prix, et l'enlevèrent à Paris. Quelques-uns pour blasmer les espagnols et les rendre plus odieux, les ont chargez d'avoir

usé de violence et d'excès envers les femmes et filles de la ville; ce qu'ils ont escrit par imagination, car il estoit resté peu de femmes en la ville, et le jour de l'assaut, celles qui estoient demeurées, s'estoient retirées de bonne heure en la Chapelle de l'HostelDieu, et n'en sortirent point que la fureur de la tuerie et du pillage ne fust cessé. Alors elles furent contraintes de payer rançon au capitaine qui s'estoit emparé de la maison (1).

Les vaisseaux sacrez des Eglises, les tiltres, papiers, enseignemens, furent exempts du pillage, ayans esté auparavant mis en lieu de seureté; ce qui se void non seulement en ce qu'és Eglises de la ville, mais encores en celles des faux-bourgs, sont maintenant parez des mesmes reliques, joyaux, ornemens, tiltres et papiers dont elles usoient auparavant.

(1) Parmi les personnes mises à rançon par les Espagnols, se trouva Madame de l'Estoile, femme de l'historien, auteur du Journal de Henri IV, qui raconte ainsi cette mésa

venture:

« Le mardi 14 août 1590, veille de la Nostre-Dame, sortit de cette ville de Paris, ma « femme, grosse, preste d'accoucher, et emmena avec elle Anne de l'Estoile et mon petit « Mathieu avec sa nourrice et sa germaine, et se retira avec ma mère à Corbeil, qui lui fust « une chère sortie, et à moi aussi, toutefois comme nécessitée et du conseil de son frère, « pour la grande famine qui estoit à Paris. On m'acheta ce jour deux œufs, vingt sols ». Madame de l'Estoile fuyait Paris assiégé par Henri IV et livré à la plus horrible famine. Elle se réfugia à Corbeil, au faubourg St-Jacques, dans la maison du Tremblay, qui appartenait à Me Miron, probablement sa parente. Lorsque le duc de Parme vint assiéger Corbeil le 22 septembre 1590, il se logea dans cette même maison du Tremblay, et lors de la prise violente de la ville par ses troupes, de 16 octobre suivant, tous les habitants du Tremblay comme ceux de la ville, furent mis à rançon; Madame de l'Estoile fut taxée à 500 écus qui furent réduits à 150, grâce probablement au duc de Parme, ce qui n'empêcha pas l'Estoile de trouver que ce voyage de sa femme était pour lui une chère sortie.

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NOTES

SUR

LES COMTES DE CORBEIL

L'un de nos plus érudits collègues a publié dernièrement dans le bulletin de notre Société (1) une histoire très remarquée des Vicomtes de Corbeil. Inspiré par cet exemple que nous ne pouvons suivre que de très loin, nous voudrions à notre tour parler des Comtes de Corbeil, au sujet desquels nous avons fait quelques recherches qui, sans avoir le mérite du savant travail de M. Depoin, pourront cependant être de quelque utilité à ceux qui s'occupent de l'histoire des xe et xre siècle. M. Depoin nous a ouvert la voie et en quelque sorte tracé le chemin ; puisse-t-il être indulgent si, malgré notre bon vouloir, cet essai de l'histoire des Comtes de Corbeil reste de beaucoup inférieur à sa savante dissertation sur les Vicomtes de cette même ville.

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On sait que Charlemagne avait créé pour administrer les provinces de son immense empire des ducs, des comtes, des vicomtes, révocables à sa volonté. De 840 à 860, grâce à la faiblesse de ses successeurs et à l'avilissement du pouvoir, ces comtes et ces ducs se déclarèrent indépendants du Roi ou de l'Empereur, et firent de leurs circonscriptions une souveraineté personnelle.

D'ailleurs. pour se défendre contre les invasions des Normands, et en exécution même du capitulaire de Charles le Chauve de 862, des châteaux forts s'étaient élevés partout. La conséquence fut que derrière leurs fossés et leurs épaisses murailles, les seigneurs (1) Année 1899.

se sentirent à l'aise pour braver le Roi qui ne pourrait plus reprendre leurs fiefs.

Cette hérédité des fiefs fut, pour ainsi dire, confirmée par les capitulaires de Kiersy (877). « Si un comte de ce royaume vient à << mourir, disent ces capitulaires, et que son fils soit auprès de nous, << nous voulons que notre fils, avec ceux de nos fidèles qui se trou<< veront les plus proches parents du comte défunt, ainsi qu'avec <<< les autres officiers du dit comte, et l'évêque dans le diocèse << duquel il sera situé, pourvoient à son administration, jusqu'à ce << que la mort du précédent comte nous ait été annoncée, et que << nous ayons pu conférer à son fils, présent à notre cour, les hon<<neurs dont il était revêtu. Si le fils du comte défunt est encore « enfant, que notre même fils, l'évêque et les autres officiers du << lieu veillent également à l'administration du comté jusqu'à ce <<< que cet enfant soit en âge d'obtenir les mêmes honneurs ».

Les conséquences de cet abus furent désastreuses pour la royauté.

La dignité étant devenue héréditaire, les comtes cessèrent de rendre la justice; ils abandonnèrent les fonctions à des officiers amovibles qu'ils se chargèrent de rétribuer.

C'est ainsi que le comté de Corbeil eut ses comtes et ses vicomtes.

L'hérédité des charges politiques se joignit donc à l'hérédité des bénéfices. Elle fut, selon la définition très juste de M. Guizot, « la confusion du droit de propriété et du droit de souveraineté ».

Cependant le roi demeura le suzerain des propriétaires des grands fiefs, suzerains eux-mêmes d'une foule de seigneurs, simples possesseurs d'un manoir.

Le premier connu des comtes de Corbeil est le comte AYMON ou HÉMON. Selon Duchesne, cet Aymon serait le même que celui du roman de chevalerie si célèbre et si populaire des quatre fils Aymon. D'après De La Barre, il était fils d'Osmon le Danois, gouverneur de Richard, premier du nom, comme duc de Normandie.

Aymon,« jeune homme de grande espérance, chéry et caressé des dames » (1), se trouva avec la noblesse de Normandie aux fêtes qui furent données à l'occasion des fiançailles du jeune duc Richard avec Edme, fille de Hugues le Grand, célébrées à Paris en 946. Il (1) De La Barre, page 66.

eut occasion d'y rencontrer, parmi la noblesse de Paris, Elisabeth, jeune damoiselle, proche parente d'Avoye, femme du duc des Francs, avec laquelle il se maria bientôt.

En faveur de cette union, Hugues le Grand donna le comté de Corbeil et la seigneurie de Gournay-sur-Marne, aux nouveaux époux.

Aymon combattit avec vaillance aux côtés de Hugues, lors de ses hostilités avec l'empereur Othon. Revenu à Corbeil, il se vengea de ceux qui, à la faveur de l'invasion étrangère, l'avaient offensé, parmi lesquels était le comte de Palluau dont il prit le château ; il retint pour sa part du butin les reliques de saint Spire et de saint Loup, évêques de Bayeux, qui s'y trouvaient et il fit construire une église à Corbeil pour les y placer. Il fit également transporter en son château les reliques de saint Guenault, qui étaient à Courcouronnes et les fit ensuite déposer en une chapelle située au faubourg Saint-Jacques.

Suivant Dom Morin, le comte Aymon aurait construit le pont de Corbeil (1).

Il mourut au cours d'un pèlerinage à Rome vers 957, dix ans après son mariage; la comtesse Elisabeth fit ramener son corps à Corbeil, où il fut inhumé en l'église St-Spire. Le cénotaphe qu'on a élevé à sa mémoire se trouve dans une des chapelles latérales (2). L'anniversaire de sa mort était célébré le 28 mai (3).

Le comte Aymon laissait une veuve jeune encore et deux enfants en bas âge Thibault, qui fut abbé de Saint-Maur, et Albert.

Le comte Aymon est ordinairement représenté perçant de sa lance un dragon ailé à deux têtes. Suivant la tradition, il aurait combattu et vaincu un dragon semblable qui avait son repaire dans l'égout couvert, aboutissant à la rivière d'Essonnes et se trouvant à Corbeil au lieu dit le Trou-Patrix.

BOUCHARD I, dit le Vénérable, deuxième comte de Corbeil, nous est mieux connu, - grâce à Eudes de Saint-Maur, qui écrivit sa vie vers 1058 et aussi aux travaux de M. de la Roncière (4).

(1) Hist, du Gâtinais, Paris, 1630, p. 452.

(2) A l'origine, ce tombeau avait été placé au côté gauche du chœur, il y est resté jusqu'à la révolution.

(3) Cartulaire de St-Spire, publié par Couard-Luys. Rambouillet, 1882.

(4) Vie de Bouchard le Vénérable par Eudes de Saint-Maur, publiée avec introduction par M. de la Roncière. Paris

Picard, 1892.

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