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L'esprit de l'aristocratie est tellement un esprit de vanité, d'orgueil et d'injustice, qu'il introduit.l'inégalité jusque dans la famille, qu'il porte un père à violer, à méconnaître les premiers sentimens de l'équité naturelle, qu'il lui fait concentrer son affection et accumuler tous ses biens sur l'aîné de ses enfans, au préjudice de tous les autres; et cela, sous le frivole et absurde prétexte de conserver l'éclat ou plutôt l'orgueil de son nom, trop souvent si mal fondé.

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On peut donc ne pas adopter sans restriction l'opinion que l'auteur de l'Esprit des Lois semble manifester, lorsqu'il dit, ainsi que nous l'avons précédemment rapporté : « La noblesse tient à honneur d'obéir à un roi; mais elle regarde comme une souveraine <«< infamie de partager la puissance avec le peuple» (a). La seconde partie de la proposition est seule fondée, et ne doit pas rencontrer de contradiction; et nous croyons qu'en général on partage pleinement avec nous le sen

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(a) ESPRIT DES Lois, liv. vIII, chap. 1x; et ci-dessus, même tit., même §, art. 1, pag. 31.

timent de l'auteur de la Science du Gouvernement, lorsqu'il dit « que la réunion de la monarchie et de l'aristocratie produira toujours les plus grands maux dans un État » (a). Si le prince est assez faible pour consentir à ne régner que par la caste aristocratique et pour elle, pour sacrifier à l'ambition de cette caste son propre intérêt et celui de l'État, pour soutenir et favoriser ses injustes prétentions, quel que soit le préjudice qui doive en résulter pour tous; s'il est assez pusillanime pour faire cause commune avec elle, afin d'asservir et d'opprimer toutes les autres classes de la société, sans doute alors on pourra voir cette caste aristocratique ou nobiliaire portée à défendre le trône. Elle est née d'un systême de vassalité, de féodalité et d'esclavage; et ce régime est le seul qui puisse lui convenir. Elle consentira donc en effet à n'être que l'esclave d'un plus fort et plus puissant, pourvu qu'elle ait pour dédommagement d'autres esclaves au-dessous d'elle; pourvu qu'à son tour et par une sorte de com

(a) Science du Gouvern. vol. 1, ch. 111, sect. III, 7. 21,

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pensation, elle puisse exercer sur les faibles un véritable despotisme d'autant plus rude et plus insupportable pour ceux-ci, qu'il est plus divisé, plus multiplié, plus rapproché d'eux, et qu'il frappe de plus bas.

En un mot, l'aristocratie pourra être en effet disposée à obéir servilement au roi, à défendre le trône, si ses prérogatives et ses privilèges usurpés sont défendus par le roi.

Mais qu'il soit assez éclairé sur ses seuls et véritables intérêts pour vouloir maintenir les droits du peuple, pour chercher à établir l'égalité des droits et des devoirs, l'uniformité de la législation et l'équitable répartition des charges, des contributions, des impôts; et le trône n'aura pas d'ennemis plus réels, plus acharnés, plus prompts à saisir, disons même, à faire naître les occasions de le renverser.

Nous en attestons notre propre histoire, celles d'Angleterre, de Suède, de Pologne, de Venise, de la Grèce et de Rome.

Nous en attestons l'histoire de tous les siècles et de tous les pays du monde.

En France, les maires, après avoir détrôné les rois et usurpé le trône, soutinrent les

usurpations de la noblesse pour être soutenus à leur tour dans leur propre usurpation; mais lorsque les rois, les descendans des maires eux-mêmes, voulurent protéger les citoyens, les paysans et le peuple, contre tant de vexations et d'iniquités des seigneurs et des nobles, lorsqu'ils voulurent rétablir les Communes et les mettre en état de défendre leurs droits, quelle lutte violente n'eurent-ils pas à soutenir de la part de la grande et de la petite noblesse ? Quels bouleversements et quelles guerres intestines cette justice de quelques-uns de nos rois n'excita-t-elle pas? (a).

En Suède, un Corps monstrueux de deux mille nobles subjugua fréquemment et le peuple et le Roi.

Dans l'histoire de Pologne, comme dans celles de Venise, de Gênes, de Berne, de Soleure, on voit que les nobles ont de tous temps cherché sans relâche à empiéter sur l'autorité des rois, à accroître leurs privilèges, et à se saisir de tout le pouvoir exécutif; et que

(a) On en trouvera quelque détail dans la troisième partie de cet ouvrage, liv. 1.

définitivement ils sont souvent parvenus à former, sous un nom monarchique, une aristocratie directe où le petit nombre, ainsi que le dit John Adams, est élevé au-dessus des Lois, et la multitude privée de leur pro

tection.

Il en fut de même à Athènes, à Sparte et à Rome.

Romulus, le premier des rois de Rome, fut tué les nobles ou patriciens, pour le par punir, disaient-ils, d'avoir voulu s'attribuer plus de droits qu'il ne lui en appartenait.

Tullius Hostilius, qui succéda à Numa, fut aussi mis à mort par ces mêmes patriciens, à la tête desquels s'était placé Ancus Marcus, petit fils de Numa, qui, en cette qualité, prétendait que ses droits au trône étaient imieux fondés que ceux de Tullius.

Lucius Tarquin, après un règne de trentehuit ans, fut assassiné dans son palais, par les ordres des deux fils d'Ancus Marcus, son prédécesseur; mais le peuple qui aimait Lucius, mit à mort ses assassins, bannit les deux fils d'Ancus et confisqua leurs biens.

Sous le règne de Servius Tullius, qui épousa

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