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freints, violés, méconnus, un Gouvernement qui craint et repousse les étrangers au lieu de les accueillir et de les protéger, qui n'a d'autres espérances de prospérité ou d'autres ressources, que dans des actes de spoliation, dans la guerre, la rapine, la conquête, un Gouvernement où les sujets mêmes ne peuvent avoir de possession paisible et assurée, où la propriété de tous les biens, la liberté, la vie, sont sans aucune garantie, incertaines et précaires, où l'on admet habituellement cette fausse et détestable maxime, qu'il est nécessaire de rendre les peuples misérables pour qu'ils soient plus soumis et plus dociles; un tel Gouvernement éteint l'émulation, corrompt les mœurs, combat et arrête les progrès de la raison, de la justice et du droit, rétrécit l'intelligence, chasse les sciences et les arts, appelle et engendre l'ignorance, abat tous les courages, détruit l'activité, l'énergie, et plonge le peuple dans l'insouciance, la paresse, l'inertie, dans une sorte d'engourdissement, dans la misère et la stupidité; il fait haïr la vie et craindre l'existence pour soi-même et Tome V. 24

pour ceux à qui on pourrait la donner (a); il tue le commerce, étouffe l'industrie, dé peuple les campagnes, ruine et fait abandonner l'agriculture même; et des champs incultes, des plaines stériles, des eaux stagnantes, des marais infects et fangeux, ou de vastes solitudes, des ruines, des débris et des ronces, remplacent les monumens utiles, les fontaines, les jardins, les terres fertiles, les prairies, l'abondance, les grains et les fruits.

Les habitans de l'Ingrie, de la Sibérie, de la Nigritie et de plusieurs autres parties de l'Afrique, sont plus abrutis par l'esclavage auquel ils sont assujettis sous des Gouvernemens vicieux et despotiques, que par le climat glacé ou le ciel brûlant de leur pays; et s'il était possible qu'ils reçussent le bienfait d'un Gouvernement qui assurât, par sa nature, la jouissance paisible de leurs droits et ne les soumit jamais qu'aux devoirs naturels de l'homme envers ses semblables et la société, il y a lieu de présumer que ce Gouvernement, par son in

(a) Voy. ci-dessus, 1e part., vol. 11, pag. 48.

fluence, adoucirait insensiblement la férocité de leur caractère, modifierait la rudesse, la grossièreté de leurs moeurs, animerait leur industrie, leur émulation, leur courage, fortifierait leur intelligence, développerait et mùrirait chaque jour davantage leur raison.

En un mot tous les talens se flétrissent, la pensée même s'éteint, dans la servitude; ils se raniment, elle se vivifie, avec la liberté.

« Le sophisme des ennemis de la raison humaine, c'est qu'ils veulent qu'un peuple possède les vertus de la liberté avant de l'avoir obtenue; tandis qu'il ne peut acquérir ces vertus qu'après avoir joui de la liberté, puisque l'effet ne saurait précéder la cause » (a).

Il n'est pas de vérité que l'on entende contester plus fréquemment dans le monde; et cependant il n'en est pas une peut-être qui ait été plus victorieusement établie par les philosophes et par les publicistes modernes; et nous n'éprouvons eficore, à ce sujet, d'autre

(a) Considér. sur les princip. Événem. de la Rév. fr.; tom. i, 6 part., chap. 1, intitulé: Les Français sontils faits pour étre libres? pag. 160.

embarras que celui de choisir entre les citations nombreuses, uniformes, concordantes, que nous pouvons particulièrement puiser dans les auteurs dont nous avons déja emprunté le langage et invoqué l'autorité. « Les talens d'un peuple, dit Ferguson, sont cultivés ou négligés à proportion que ces talens trouvent de l'emploi dans la pratique des arts et dans les affaires de la société. Ses mœurs sont épurées ou corrompues, selon qu'il est encouragé ou forcé à agir d'après des maximes de justice et de liberté, ou selon qu'il est dégradé par la servitude et l'avilissement» (a).

- «On a cru trop long-temps et trop généralement, dit John Adams, que le climat et le sol déterminaient les caractères et les institutions politiques des nations. Les lois de Solon et le despotisme de Mahomet ont gouverné l'Attique à des époques différentes. Des consuls, des empereurs et des papes ont régi Rome et ses habitans. Peut-on prouver par des exemples plus frappans qu'on peut, au

(a) Essai sur l'Hist. de la Soc. civile, 3° part., tom. II, chap. 111, pag. 6.

moyen de la politique et de l'éducation, triompher des désavantages du climat » (a)?

-«Tout se réunit pour prouver que, des différentes causes capables d'influer sur les hommes, il n'en est pas qui agissent sur eux d'une façon plus marquée que le Gouvernement.. Pour peu que nous réfléchissions sur ce qui se passe sous nos yeux, nous reconnaîtrons les empreintes de l'administration dans le caractère, dans les opinions, dans les lois, dans les usages, dans l'éducation et dans les mœurs des nations. La nature donne les corps; le climat contribue au tempérament mais le Gouvernement modifie et la nature et le climat. La nature inspire aux hommes les mêmes passions, la force ou la faiblesse de ces passions dépendent du tempérament; mais le Gouvernement dirige les passions données par la nature, et maîtrise le tempérament luimême. Donnez des arbres de la même espèce à des cultivateurs différents, et vous les verrez varier étrangement par la culture qu'ils recevront. Les princes sont les cultivateurs; les

(a) Défenses des Const. améric., tom. II, pag. 420.

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