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pectés, et ce ne sont ni l'affection ni le zèle, mais la force et la crainte seules, qui font exécuter leurs ordres.

Cette seconde analogie n'a pas été moins sentie par les hommes éclairés, que celle que nous avons indiquée d'abord. « La première règle que le vrai monarque consulte, dit Heinneccius, c'est l'intérêt et la sûreté des peuples. Le partage des tyrans est au contraire de rapporter à leur utilité propre l'empire qu'ils ont sur leurs sujets. Ut populi securitas et salus suprema monarchæ lex esse debeat, eoque ipso hic differat à tyranno, qui ad suam tantùm securitatem utilitatemque omnia refert» (a).

- « Le despotisme tyrannique des souverains, dit Fénélon, est un attentat sur les droits de la fraternité humaine; c'est renverser la grande et sage loi de la nature, dont ils ne doivent être que les conservateurs» (b). - «Quand on veut être le maître des hom

(a) HEINNECCIUS. Elementa juris naturæ et gentium. Lib. 11, § 122.

(b) Supplément aux directions pour la conscience d'un prince, pag. 88.

mes pour soi-même, dit-il ailleurs, ne regardant que sa propre utilité, ses plaisirs et sa gloire...., on est le fléau du genre humain. Quand au contraire on ne veut gouverner les hommes que suivant les vraies règles (a), pour leur propre bien, on est moins leur maître que leur tuteur....; on est bien éloigné de vouloir étendre son autorité » (b).

« Le Gouvernement monarchique, disent les auteurs du Droit public français, est un Gouvernement de père; et le Gouvernement paternel ignore l'usage du pouvoir arbitraire» (c).

Un autre point important de conformité, d'une part entre le Gouvernement du bon père de famille et le Gouvernement du monarque, et d'autre part entre le Gouvernement du père égoïste et le Gouvernement du

(a) Voy. quelles sont ces règles, dans la re part. de cet ouvrage, vol. 1, 11, 111.

(b) Télémaque.

(c) Maximes du Droit public. français, t. 11, chap. 111; ayant pour titre : Que le Royaume de France est un État monarchique, et non pas un Empire despotique. pag. 143.

despote, c'est que les deux premiers conçoivent que, par la nature de leurs fonctions et de leurs devoirs, ils sont obligés de donner tous leurs soins à instruire leurs enfans, à exercer leur raison, à étendre chaque jour leurs connaissances et leurs lumières, à affermir et fortifier leur caractère, à exciter en eux l'émulation, l'énergie, l'activité, le courage, à leur inspirer le désir de se rendre utiles à eux-mêmes, à leurs familles, à la société, à faire naître en eux l'amour de la patrie, de l'humanité; en un mot, à développer dans leur cœur le germe de toutes les vertus publiques et privées: tandis que le père indigne et le despote tiennent encore tous deux en ceci une conduite diamétralement opposée; l'un néglige entièrement l'éducation de ses enfans, et leur donne l'exemple des vices plutôt que celui des vertus; et l'autre pousse même le mal encore plus loin, parce que les hommes avides qui l'approchent parviennent facilement à lui persuader que ses peuples sont pour lui des ennemis implacables et dangereux, et que, pour les tenir dans la subordination, il faut nécessairement les dé

grader, les rendre pauvres et misérables: il cherche donc en effet à les maintenir ou à les plonger dans l'ignorance et la barbarie, dans la misère et la pauvreté.

Le bon père et le monarque sacrifieraient tout, même leur vie, pour le bien-être de leur famille : l'égoïste renoncerait à tous les siens pour diminuer ses charges, pour donner davantage à ses prodigalités, à ses vains plaisirs; et le despote, enchérissant sur lui, verserait le sang de ses peuples par un pur caprice, ou sur un simple soupçon et dans l'espérance de se débarrasser de ses craintes. Caligula souhaitait que le peuple romain n'eût qu'une seule tête, afin de la pouvoir abattre d'un seul coup (a).

Néron avait résolu de perdre le sénat et le peuple romain, de réduire Rome en cendres, et de transporter ailleurs le siége de l'empire. Suivant Eutrope, il fit mettre le feu dans cette ville, afin de se donner la représentation de l'embrasement de Troye (b) et l'on raconte

(a) SUETONE. In vita Caligul. liv. iv, cap. xxx.
(b) Voy. Sommaire de l'Histoire romaine. Liv. vII.

qu'en Asie un roi de Pégu conçut une haine si violente contre ses sujets qu'il leur défendit, sous peine de la vie, de cultiver la terre, pendant trois années entières, de sorte que la famine réduisit ses misérables sujets à se tuer les uns les autres, et à se nourrir de leur propre chair (a).

Les résultats de deux administrations si différentes dans leur esprit et leurs principes, doivent sans doute être bien opposés; et ils le sont en effet. Sous la première, la famille, ou le peuple, s'élève, s'agrandit et prospère : sous la seconde, l'une et l'autre s'abaissent, dégénèrent, s'avilissent, périclitent et déclinent promptement vers leur ruine. L'État s'appauvrit et dépérit infailliblement : pourrait-il être autrement, lorsque la plus grande partie, la presque totalité des sujets tombent dans le dénuement et le besoin...?

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L'attachement des peuples est le plus ferme appui des empires; ils s'affaiblissent à mesure que le Gouvernement s'y rend formidable» (b).

(a) JEAN MOQUET, Itinér. liv. iv.
(b) DENYS d'HALYCARNASSE, lib. v1.

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