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Et de plus, si le nombre des membres de ce Corps est illimité, si du roi seul dépend d'en créer de nouveaux chaque jour, qu'y aura-t-il de plus facile que de recourir à l'usage de cette faculté, lorsqu'on aura le projet de faire adopter une loi d'une haute importance, et qui même pourra peut-être altérer essentiellement la constitution de l'État jusque dans ses bases? Selon toute apparence, les élus d'une date récente, éblouis, dévoués et trompés par le sentiment de la reconnaissance, en cas de doute et même hors de ce cas, feront aisément pencher la balance (a).

En Angleterre comme en France, le nombre des Pairs n'est pas limité. «Il y a même, dit Blackstone, un exemple sous la reine Anne,

(a) Ceci était écrit avant l'Ordonnance du 5 mars 1819, laquelle a précédé la discussion à la Chambre des Pairs, de la Loi relative aux Elections. Cette Ordonnance contient institution et nomination de cinquante-neuf Pairs, dérogation formelle à la disposition de l'art. 1er de l'Ordonnance du 25 août 1817, et autorisation à ces Pairs de prendre immédiatement séance dans la Chambre, lors méme qu'ils n'auraient pas encore institué le majorat exigé par l'article précité. (Voy. le Moniteur du samedi 6 mars 1819, n° 65.)

de douze Pairs faits à-la-fois : ce qui donna lieu, sous le règne de Georges I, à un bill passé dans la Chambre des pairs, et qui fut appuyé par le ministère d'alors, pour limiter le nombre des pairs. On pensait fortifier de beaucoup la constitution en empêchant le roi de se servir d'une telle prérogative pour gagner la prépondérance dans cette auguste assemblée, en y introduisant à sa volonté, un nombre illimité de nouveaux lords. Mais le bill ne plut pas à la Chambre basse, qui le rejeta; les membres qui y avaient la principale influence, voulaient que les avenues conduisant à l'autre Chambre, demeurassent libres et faciles » (a).

Et si dans un tel état de choses, le ministère peut en outre, avec une sorte de légalité apparente, exercer de mille manières une influence, soit ouverte et ostensible, soit indirecte et cachée, dans celle des deux Chambres qui peut encore être considérée comme un Corps représentatif; si avec cela les emplois

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(a) Commentaires sur les Lois anglaises, t. chap. 1. Traduction de M. N. M. Chompré. Tome V.

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mêmes de la magistrature, de l'ordre judiciaire, ne sont pas davantage réputés rigoureusement incompatibles avec ceux qui peuvent émaner du ministère ou y conduire; si encore les attributions de cette puissance judiciaire se trouvent cumulées et confondues avec celles de la puissance exécutive ou de la puissance législative, quoique les attributions de ces trois puissances soient si essentiellement distinctes de leur nature, qu'elles ne devraient jamais être ni exercées de la même manière, ni réunies dans les mêmes mains; si les magistrats, quoique étant inamovibles, ne peuvent cependant attendre leur nomination, leur avancement que des hommes entre les mains de qui repose de droit ou de fait l'exercice des deux premières puissances, ou seulement de l'une des deux; comment le désordre ne seraitil pas grand? comment les inconvéniens ne seraient-ils pas graves et nombreux, et les dangers imminens...? La justice sera bientôt corrompue ou asservie; les formes les plus solennelles ne seront plus qu'un piège; la responsabilité ministérielle sera évidemment feinte et illusoire; la représentation elle-même,

quelque exagérée qu'elle soit dans son opposition, ne sera qu'un vain simulacre, la monarchié qu'un fantôme; et les principes les plus certains d'organisation, ceux du Droit philosophique et moral les plus incontestables et les plus sacrés, ne seront nullement respectés.

Or, dans un gouvernement despotique pur et simple, si la crainte et la terreur sont nécessaires pour contenir dans l'obéissance et la soumission des esclaves stupides et insubordonnés, si sous ce rapport ces mobiles sont l'unique ressort du gouvernement, d'une autre part, la crainte aussi peut quelquefois contenir le despote dans de certaines bornes. Sa volonté étant, ainsi que nous l'avons vu plus haut, la loi suprême, tout le mal qui se commet dans son empire ne peut être attribué qu'à lui; et son peuple en effet le rend souvent seul responsable des événemens mêmes qui sont placés par la nature des choses hors du cercle et bien au-dessus de la puissance et de la prévoyance humaine (a).

Mais lorsque des Institutions plus ou moins

(a) Voy. ci-des., vol. iv, tit. 1, § 1, art. 5, p. 318-esuiv.

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tromper les yeux vulgaires et masquer le despotisme, lorsque le tyran qui l'exerce peut facilement se croire à l'abri derrière les retranchemens dont une politique peu éclairée lui a suggéré la pensée, et dont il est parvenu à s'environner, son audace s'accroît, bientôt elle ne connaît plus de bornes; ce dernier frein que pouvait lui inspirer la crainte, ne le retient plus, et les coups qu'il porte alors à la société tout entière, sont d'autant plus rudes, les plaies qu'il lui fait, d'autant plus profondes et plus cuisantes, qu'il se flatte que ces méfaits n'attireront pas sur lui de réaction, que peutêtre même en effet il n'en sera pas considéré comme le véritable auteur. Nous le répétons donc ici avec M. de Montesquieu : « Il n'y a véritablement pas de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice, lorsqu'on va, pour ainsi dire, noyer des malheureux sur la planche même sur laquelle ils s'étaient sauvés....

«Le principe de la monarchie se corrompt lorsque des ames singulièrement basses tirent vanité de la grandeur que paraît avoir leur

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