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appâts propres à exciter leur ambition et à capter leurs suffrages. Mille moyens seront mis en usage pour fasciner leurs yeux, pour égarer leur raison, leur patriotisme, leur vertu, pour saper et détruire insensiblement toute leur indépendance morale (a).

Un assez grand nombre d'exemples nous font voir que toujours les Corps institués d'après de semblables vues, sont tombés bientôt dans le dernier degré de l'avilissement et du déshonneur.

« Le sénat de Rome, après le passage du Rubicon, se réfugia dans le camp de Pompée, qu'il nomma son vengeur et son appui.

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Après la bataille de Pharsale, il ordonna des prières publiques pour remercier les

(a) Un Roi qui veut exercer une influence indirecte quelconque dans l'une ou l'autre des Chambres législatives, s'il est permis de comparer les petites choses aux grandes, ressemble à un banquier qui payerait un grand nombre d'agens et de commis, non pour lui faire connaître la véritable situation de ses affaires, mais uniquement, au contraire, pour lui dérober la vérité, pour approuver d'avance et favoriser sans aucun examen ses projets, ses spéculations les plus hasardeuses et les plus propres à l'entraîner à sa ruine.

Dieux de la victoire qu'ils avaient accordée à César. Ainsi l'heureux vainqueur fut déclaré le père de cette même patrie qui, pendant le triomphe de son rival, l'avait flétri comme coupable de trahison.

Qu'on se rappelle que la même Compagnie qui consacra, par un sénatus-consulte, l'expulsion des Tarquins, fit reconnaître la loi regia en faveur d'Auguste, et plaça au rang des dieux Héliogabale, Néron, et Caligula » (a).

Caligula n'avait que projeté de faire son cheval consul; Néron fit ses chevaux sénateurs, de même que le roi de Siam donne à ses éléphans favorisés les mêmes titres qu'il donne aux Grands de sa Cour.

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Domitien convoqua le sénat pour lui faire décider à quelle sauce il ferait cuire un turbot dont on lui avait fait présent; et César ne pouvait cacher le mépris que lui-même avait conçu pour le sénat. Au rapport de Tacite, il ne sortait jamais de ses assemblées qu'il ne s'écriât à peu près comme Tibère

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(a) Princip. étern. de polit. constit., t. 11, liv. 1, ch. 11.

depuis lui; «Oh! hommes nés pour la servitude»: O homines ad servitutem nati (a)!

Sous ce dernier empereur, le même Corps tomba dans un état de bassesse qui ne peut s'exprimer; les sénateurs allaient en effet au devant de la servitude; et, pendant la faveur de Séjan, les plus illustres d'entre eux faisaient le métier de délateurs.

M. de Montesquieu, dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, dit à ce sujet : « Il me semble que je vois plusieurs causes de cet esprit de servitude qui régnait pour lors dans le sénat. Après que César eut vaincu le parti de la république, les amis et les ennemis qu'il avait dans le sénat concou rurent également à ôter toutes les bornes que les lois avaient mises à sa puissance, et à lui déférer des honneurs excessifs. Les uns cherchaient à lui plaire, les autres à le rendre odieux. Dion nous dit que quelques - uns allerent jusqu'à proposer qu'il lui fût permis de jouir de toutes les femmes qu'il lui plai

(a) ANNAL. lib. 1x.

rait (a). Cela fit qu'il ne se défia point du sénat et qu'il y fut assassiné; mais cela fit que, dans les règnes suivans, il n'y eut paint de flatterie qui fût sans exemple, et qui pût révolter les esprits....

aussi

« Auguste avait ôté au peuple la puissance de faire des lois, et celle de juger les crimes publics; mais il lui avait laissé, ou du moins avait paru lui laisser, celle d'élire les magistrats. Tibère, qui craignait les assemblées d'un peuple si nombreux, lui ôta encore ce privilége, et le donna au sénat, c'est-à-dire, à lui-même (b) :, or on ne saurait croire combien cette décadence du pouvoir du peuple avilit l'ame des Grands. Lorsque le peuple disposait des dignités, les magistrats qui les briguaient faisaient bien des bassesses; mais elles étaient jointes à une certaine magnificence qui les cachait, soit qu'ils donnassent des jeux ou de certains repas au peuple, soit qu'ils lui distribuassent de l'argent ou des

(a) Voy. ci-dessus, 1o part., vol. I, pag. 69; et a part. vol. iv, pag. 302, note (a).

(6) TACITE, Annal. liv.

I.

- DION,

liv. LVI.

grains quoique le motif fût bas, le moyen avait quelque chose de noble, parce qu'il convient toujours à un grand homme d'obtenir, par des libéralités, la faveur du peuple (a). Mais, lorsque le peuple n'eut plus rien à donner, et que le prince, au nom du sénat, disposa de tous les emplois, on les demanda, et on les obtint par des voies indignes; la flatterie, l'infamie, les crimes furent des arts nécessaires pour parvenir.

<< Il ne paraît pourtant point que Tibère voulût avilir le sénat il ne se plaignait de rien tant que du penchant qui entraînait ce Corps à la servitude; toute sa vie est pleine de ses dégoûts là-dessus mais il était comme la plupart des hommes, il voulait des choses contradictoires; sa politique générale n'était point d'accord avec ses passions particulières.

(a) Un homme véritablement grand a-t-il donc besoin de briguer la faveur du peuple? ne doit-il pas l'obtenir par ses vertus et ses talens? L'assertion contraire ne peut être soutenue en thèse générale; si elle a quelque chose de vrai, ce ne peut être au contraire que dans quelques circonstances particulières, comme, par exemple, dans un état de désordre et d'anarchie. Voy. l'Appendice, liv. 1, note 21.

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