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DU TITRE VIII DU LIVRE Ier

DU CODE DE COMMERCE,.

PRÉSENTÉS AU CORPS LEGISLATIF

PAR MM. BEGOUEN, FOURCROY et BÉRENGER,
Conseillers d'Etat.

Séance du mercredi 2 septembre.

MESSIEURS,

Nous sommes chargés par S. M. l'Empereur et Roi de vous présenter le titre VIII du livre le du projet de Code de Commerce : ce titre est celui de la Lettre de change et du Billet à ordre.

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Ce mot, la lettre de change, ne peut être prononcé sans se lier aussitôt, par la pensée, au commerce; sans rappeler son influence sur le bonheur des peuples, sur la prospérité, la richesse et la puissance des États.

Le commerce qui, par la distribution du travail, combat l'oisiveté corruptrice des mœurs, qui encourage l'industrie, en fournissant les matières premières aux manufactures, et en procurant la vente de leurs produits; qui fait prospérer l'agriculture, en activant la reproduction

par la consommation; qui a créé la navigation, pár qui le monde s'est agrandi; qui a porté la civilisation dans toutes les parties du globe, et lié l'une à l'autre toutes les nations de la terre.

Le commerce, dont l'importance profondément s'entie a dicté au plus grand homme de l'histoire, au héros pacificateur de l'Europe, ces paroles mémorables, que la paix générale est l'objet de tous ses vœux; mais qu'il· veut, pour la France, du commerce et des colonies; le commerce, dis-je, est redevable à la lettre de change de la plus grande partie de ses progrès et des immenses développements qu'il a acquis depuis quelques siècles.

Dans les temps même où les peuples étaient parvenus à donner aux métaux précieux la forme de monnaie, les frais et les risques du transport indispensable pour solder au dehors les achats ou les hanges, lui imposaient de grandes entraves dans l'intérieur, et le rendaient presque impraticable avec l'étranger.

La lettre de change a été inventée.

Cet évènement, qui forme dans l'histoire du commerce une époque presque comparable à celle de la découverte de la boussole et de l'Amérique, a fait disparaître toutes ces entraves. La lettre de change a affranchi les capitaux mobiliers, elle en a facilité les mouvements et la disposition; elle a créé une somme immense de crédit : le commerce dès-lors n'a plus connu d'autres limites que celles du monde.

Soit que l'Europe ait l'obligation de cette belle conception au génie commercial des Juifs chassés de France et réfugiés en Lombardie, soit qu'il faille la reporter aux Florentins expulsés de leur patrie et retirés en France par suite de leurs divisions intestines, ce contrat si conos

dans sa rédaction, si énergique dans son expression, si simple dans son objet, si fécond en résultats, tient le premier rang parmi les papiers de crédit.

A ce titre, il a fixé l'attention des jurisconsultes les plus distingués.

Leur sagacité s'est exercée à en examiner scrupuleusement l'essence. Dans l'analyse qu'ils en ont faite, ils y ont trouvé réunis le contrat de mandat, et celui de change

ou ente.

C'est de la nature de ces contrats que découlent tous les principes, et que sont dérivées toutes les règles qu'a établies le législateur, relativement à la lettre de change. Les principales sont :

Que celui à l'ordre de qui la lettre est tirée, en transfère la propriété par un endossement régulièrement fait, sans qu'il soit besoin de signification de transport;

Que le tireur et les endosseurs sont tenus de garantir le paiement de la letʼre à l'échéance; comme réciproquement le porteur est obligé de se présenter à ce même terme d'échéance, pour en exiger le paiement;

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Que le porteur qui a fait à l'échéance, à défaut de paiement, les actes prescrits par la loi, peut exercer son recours, c'est-à-dire, répéter son remboursement, de's endosseurs, du tireur, ainsi que des donneurs d'aval, s'il y en a; tous les signataires de la lettre de change étant solidairement garants les uns des autres, et tenus au rem boursement sous cette solidarité.

Tous les commentateurs ont aussi pensé qu'il est du caractère essentiel de la lettre de change qu'il y ait remise d'argent d'un lieu à un autre, c'est-à-dire, qu'elle doit être payable dans un autre lieu que celui où elle a été créée.

L'ordonnance de 1673 ne l'avait pas textuellement prononcé; mais cette opinion unanime des jurisconsultes avait fixé la jurisprudence sur ce point; et quoique plusieurs chambres et tribunaux de commerce, et même quelques tribunaux civils, eussent exprimé le vœu de voir fléchir ce principe devant des considérations d'avantages, de commodité et de facilités pour le commerce intérieur, on a cru devoir au contraire le consacrer par une disposition textuelle. On a pensé que ce contrat, environné par la loi d'une protection si particulière, doit avoir des formes et un caractère qui le distinguent éminemment de tous autres effets négociables.

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Je dois, Messieurs, vous entretenir d'un petit nombre de changements faits à l'ordonnance, indiqués par l'expérience d'un siècle, sollicités par la justice, ou par les besoins du commerce; et d'abord vous remarquerez celui apporté aux dispositions de l'article 16 du titre 5 de l'ordonnance de 1673.

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Cet article relevait, tant envers les endosseurs qu'envers le tireur, le porteur négligent, de la déchéance qu'elle avait prononcée contre lui par l'article 15, et soumettait en conséquence les endosseurs comme le tireur à prouver, en cas de dénégation, que ceux sur qui la lettre était tirée avoient provision à l'échéance.

Il résulte au contraire des dispositions des articles 1 17 et 168 du projet de loi, qu'en cas de protêt tardivement fait par le porteur, la déchéance qu'il a encourue est fatale et sans retour à l'égard des endosseurs.

Pour établir la justice de cette disposition, il suffit de considérer que si d'une part le tireur contracte l'obligation de faire trouver les fonds à l'échéance dans le lieu où la lettre doit être payée, le porteur de son côté contracte

non moins rigoureusement celle de se présenter à cette époque pour les recevoir.

De la combinaison de ces deux obligations dérivent les droits de tous les signataires.

Si le protêt a été fait en temps utile, le porteur exerce son recours contre les endosseurs et le tireur, dans les formes et les délais prescrits.

Si, au contraire, le protêt a été tardivement fait, le porteur n'a plus d'action ni contre le tireur ni contre les endosseurs; sa déchéance, en ce cas, était expressément prononcée par l'article 15 de l'ordonnance.

Cependant, il est de toute justice que le porteur soit relevé de cette déchéance, à l'égard du tireur, si ce dernier ne prouve pas que celui sur qui la lettre était tirée,' lui était redevable ou avait provision au temps où elle aurait dû être protestée.

Rien n'est plus juste à son égard; car, le tireur en livrant la lettre de change, en a reçu la valeur, il a pris l'obligation personnelle d'en faire trouver les fonds à l'échéance, chez celui sur qui il a tiré. S'il ne l'a pas fait, le porteur ne lui a pu porter aucun préjudice par le retard du protêt ; il profiterait au contraire très injustement de la déchéance prononcée contre le porteur; et le montant de la lettre de change, dont il aurait reçu le prix sans la payer, serait de sa part un véritable vol.

Il n'en est pas de même des endosseurs; et s'il est juste,' si tel est le texte et le vœu de la loi, que le tireur qui justifie avoir fait la provision soit libéré, la conséquence rigoureuse et de droit, est que les endosseurs soient déchargés sans être astreints à faire cette preuve; parceque chacun d'eux a payé la lettre de change en l'acquérant ;

Parceque la garantie solidaire des endosseurs avec le

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