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CHAPITRE II.

DE LA CONDITION DE L'ÉTRANGER EN FRANCE AU POINT DE VUE DU DROIT PUBLIC 1.

Sommaire.

I. L'étranger et les droits publics proprement dits.

II. L'étranger et les droits politiques.

III. L'étranger devant les charges publiques.

Tout Français est investi, dans ses rapports avec le pouvoir social, de droits très importants.

Les uns, que l'on désigne parfois sous le nom de droits de l'homme, employé par les constitutions de l'époque intermédiaire, ou, plus ordinairement sous le nom de droits publics proprement dits, parce que la partie de la charte de 1814 où ils se trouvaient consacrés portait la rubrique : Droit public des Français, correspondent en général aux facultés naturelles que tout homme a reçues avec la vie, et dont il ne saurait dépendre d'un législateur humain de contrarier le développement ou de refuser l'exercice ils se résument en un mot la liberté, et leur protection est le but nécessaire de toute organisation politique".

Les autres impliquent une participation plus ou moins directe au gouvernement et à l'administration du pays : ce sont les droits politiques, que l'on appelle aussi quelquefois droits du citoyen, puisqu'il faut être citoyen pour les exercer, ou encore droits de garantie, puisqu'ils cons

1 V. Garnot, Condition de l'étranger dans le droit public français, Paris, 1885.

2 Cf. notre Leçon d'ouverture du Cours de droit constitutionel, 1884, p.3.

tituent moins de véritables droits, se suffisant à euxmêmes, que la garantie des libertés publiques, qu'une fonction de surveillance et de contrôle sur le pouvoir chargé d'en assurer le respect.

Mais il n'est pas de droit sans devoir. En retour de la protection que la société leur accorde, les Français sont tenus de contribuer, dans la mesure de leurs moyens et de leurs forces, à l'acquittement des dépenses publiques et à la défense du territoire; ils doivent l'impôt; ils doivent le service militaire.

Les étrangers présents sur le territoire français peuventils invoquer les droits publics proprement dits? sont-ils investis des droits politiques dont jouissent nos nationaux? sont-ils astreints aux mêmes charges?

TITRE I.

L'ÉTRANGER ET LES DROITS PUBLICS PROPREMENT DITS.

Les droits publics proprement dits, ayant leur source dans la nature, qui est la même pour tous, Français et étrangers, ne sont pas en général refusés à ces derniers ; et c'est à bon droit que l'étranger se réclamera presque toujours sur notre territoire des principes d'égalité et de liberté sur lesquels repose notre organisation sociale 1.

Liberté individuelle. La liberté individuelle est garantie à l'étranger, c'est-à-dire qu'il ne peut être poursuivi, arrêté, détenu, que dans les cas prévus par la loi française et dans les formes qu'elle prescrit. Et le respect de la liberté individuelle de l'étranger est poussé si loin en France que l'esclave non-Français devient libre en touchant

' Bluntschli, Droit international codifié, § 386 : « Les étrangers ont droit à la protection des lois et coutumes du pays pour leurs personnes, leurs familles et leurs biens. >>

* Charte de 1830, art. 4.

notre sol, alors même que la législation nationale de son maître reconnaîtrait l'esclavage. « Le droit international, dit Bluntschli, ne reconnaît à aucun Etat et à aucun particulier le droit d'avoir des esclaves. Les esclaves étrangers deviennent libres de plein droit en mettant le pied sur le sol d'un Etat libre; l'Etat qui les reçoit est tenu de faire respecter cette liberté '. » Telle était déjà la tradition de notre ancien droit: Fit liber quisquis Galliæ solum tetigerit2, et l'article 1er de la loi des 28 septembre-16 octobre 1791 la confirme expressément : « Tout individu est libre aussitôt qu'il est en France 3. »

L'égalité du national et de l'étranger au point de vue de la liberté individuelle subit cependant trois restrictions qu'il importe de signaler la première concerne l'expulsion de l'étranger résidant ou non en France; une autre est relative à l'extradition des accusés et des malfaiteurs fugitifs; enfin l'étranger coupable d'un crime ou d'un délit encourt dans certains cas des pénalités plus sévères que le délinquant français.

1° Expulsion. L'étranger peut être expulsé du territoire français, par simple mesure administrative, toutes les fois que sa présence paraît dangereuse pour l'ordre public ou pour la sécurité de l'État.

Bluntschli, op. cit. § 361 et s.

2 Bodin, Traité de la République, liv. I, chap. 5 : « La servitude n'a point lieu en ce royaume; jusque-là même que l'esclave d'un étranger est franc et libre sitôt qu'il a mis le pied en France. »

3 De même encore le décret du 27 avril 1848 dispose, dans son art. 7: « Le principe que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche est applicable aux colonies et possessions de la République. » Les prescriptions de ce décret sont obligatoires sur le territoire français pour les étrangers comme pour les nationaux. Cass., 1er décembre 1854 (Sir. 1855. 1. 67, D. P. 1854. 5. 520). Comp. sur les sanctions civiles attachées au décret de 1848, notre tome I, De la nationalité, p. 493 et s.

Voy. sur l'expulsion des étrangers en France, Émile Jamais, dans La Loi des 4 et 5 mars 1881; Garnot, op. cit., p. 45 et s.; Bès de Berc, De l'expulsion des étrangers, Paris, 1888; Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, t. I, p. 257; Féraud-Giraud, dans le

La loi des 3-11 décembre 1849 contient à cet égard les dispositions suivantes : Art. 7: « Le ministre de l'Intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière. - Il aura le même droit à l'égard de l'étranger qui aura obtenu l'autorisation d'établir son domicile en France; mais après un délai de deux mois, la mesure cessera d'avoir effet, si l'autorisation n'a pas été révoquée... Dans les départements frontières, le préfet aura le même droit à l'égard de l'étranger non-résidant, à la charge d'en référer immédiatement au ministre de l'Intérieur. » Art. 8: « Tout étranger qui se serait soustrait à l'exécution des mesures énoncées dans l'article précédent..... ou qui, après être sorti de France par suite de ces mesures, y serait rentré sans la permission du Gouvernement, sera traduit devant les tribunaux et condamné à un emprisonnement d'un mois à six mois. Après l'expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière1. »

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Presque personne aujourd'hui ne conteste aux États souverains le droit d'interdire leur territoire aux étrangers dont les menées ou la conduite seraient une cause de trouble

Journal du droit int. pr., 1890, p. 414 et s.; Arthur Desjardins, L'expulsion des étrangers, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er avril 1882, p. 657 ets., et dans Questions sociales et politiques, Paris, 1893, p. 97 et s. La loi de 1849 n'a pas été promulguée en Algérie; il semble donc que les pouvoirs de l'autorité administrative, relativement à l'expulsion des étrangers, y soient encore déterminés par l'arrêté ministériel du 1er septembre 1834 (art. 15), et par l'ordonnance royale du 15 avril 1845 (art. 31), qui confèrent au gouverneur général le droit d'expulsion, et que l'étranger contrevenant à la mesure prise contre lui doive encourir les peines édictées par l'arrêté du gouverneur général des 14-21 juin 1841, plus rigoureuses que ne le sont les pénalités établies par le législateur de 1849 (Cf. Revue algérienne et tunis. de législ. et de jurisp., 1886. 2. 449, note). Néanmoins la jurisprudence n'hésite pas à déclarer applicables à l'Algérie les dispositions de la loi de 1849. Voy. Alger, 2 octobre 1884 Journal du droitint. pr., 1885, p. 435); 2 décembre 1886 (Revue algérienne, 1886. 2. 449); 10 septembre 1887 (Revue algérienne, 1888. 2. 24 et la note: Journal du droit int. pr., 1888, p. 790); 6 février 1889 (Journ. du droit

ou un objet de scandale '. L'étranger n'est pas chez lui; il n'a pas droit au séjour comme le national; il est un hôte, et à ce titre il est placé sous l'étroite surveillance des autorités locales. A l'État qui le reçoit et qui le tolère, il appartient d'empêcher qu'il ne compromette les intérêts nationaux, qu'il ne viole les lois de l'hospitalité. « Si l'hospi

int. pr., 1891, p. 511, et la critique de cette jurisprudence dans Bès de Berc, op. cit., p. 95 et s. Voy. aussi Féraud-Giraud, dans le Journal du droit int. pr., 1890, p. 427. Dans les autres colonies, la loi du 3 décembre 1849 a été rendue exécutoire par une loi du 29 mai 1874, dont l'article 2 attribue au gouverneur ou au commandant de la colonie le droit qui appartient au ministre sur le territoire de la métropole. Vincent etPénaud, Dictionnaire de droit int. pr., vo Expulsion, nos 25 et s.; Bès de Berc, op. cit., p. 100.

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Vattel, Droit des gens, liv. II, ch. VII, § 94, et ch. VIII, § 100; Martens, Droit des gens, liv. III, ch. 3, no 91; Bluntschli, op. cit., § 383; Dudley-Field, Projet d'un Code international (trad. Rolin), art. 321; Heffter, Le droit international de l'Europe, §§ 33 et 62; P. Fiore, Traité de droit pénal international (trad. Antoine), nos 85 et 99 ter; Nouveau droit international public, 2o éd. (trad. Antoine), t. I, no 85, 87, 489; P. Bernard, Traité théorique et pratique de l'extradition (2o éd. par A. Weiss et P. Louis-Lucas), t. II, pp. 6 et 616; F. de Martens, Traité de droit international (trad. Léo), t. I, p. 447; Bès de Berc, op. cit., p. 9; Arthur Desjardins, Questions sociales et politiques, p. 100 et s. Il convient cependant de citer parmi les adversaires du droit d'expulsion, Pinheiro-Ferreira, notes sur le Droit des gens de Vattel, livre II, ch. VIII, § 100: « Ce n'est, dit cet auteur, que par une flagrante violation des droits imprescriptibles de l'homme que la législation du pays confère au Gouvernement le pouvoir discrétionnaire et sans contrôle de renvoyer du pays l'étranger, de lui en défendre l'entrée. En votant une telle loi, le législateur a abusé de son mandat, qui lui enjoignait de défendre et de protéger les droits naturels de l'homme devenu membre de la société, autant que l'usage en sera compatible avec les droits de tous. Le lien de la cité est la volonté expresse ou tacite de se soumettre à cette seule condition; et cette volonté, l'étranger la manifeste d'une manière encore moins douteuse que la majorité des habitants nés et domiciliés dans le pays. Nulle différence donc entre eux, quant à la jouissance et à l'exercice des droits civils, qui ne sont autre chose que les trois droits naturels de la sûreté, de la liberté et de la propriété, garantis par la loi du pays; car là où il y a identité de raison, il faut qu'il y ait identité de disposition. Voy. aussi Sapey, De la condition des étrangers en France, p. 306, et de Bar, L'expulsion des étrangers (trad. A. Weiss), dans le Journal du droit int. pr., 1886, p. 6 et s.: « L'État qui ouvre libéralement aux étrangers l'accès de son territoire ne doit pas pouvoir leur retirer à son gré le droit de séjour.

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