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1315, aux termes duquel « tous escholiers de toutes Universitez de France » échappent au droit d'aubaine, et contre celui de Louis XII, De privilegiis scholarum, en date du 31 août 14981.

Les ambassadeurs, envoyés, résidents et autres ministres accrédités et présents sur le sol français, devaient-ils être exempts du droit d'aubaine?

En faveur de la négative, on invoquait tout d'abord le motif déjà allégué contre le privilège des écoliers : à savoir que les immunités accordées à l'ambassadeur, à raison de ses fonctions diplomatiques, n'ont de raison d'être que pendant la durée de sa vie et doivent nécessairement prendre fin avec elle; et à ce motif on joignait certaines décisions empruntées au droit romain, d'où il résultait qu'un legatus ne peut acquérir de biens «< in ea provincia in qua legatione fungitur2. »

C'était jouer sur les mots. Le legatus dont parlent les lois romaines n'est pas un ambassadeur étranger, mais bien un citoyen romain chargé de représenter dans les provinces le gouvernement de César et de les administrer en son nom s'il lui est interdit d'y acquérir des biens, ce n'est pas par application d'un droit d'aubaine, qui n'existait pas à Rome, mais parce qu'il importait de protéger les administrés contre la corruption et contre les exactions des fonctionnaires romains. D'ailleurs, si l'argument avait eu quelque valeur, il eût abouti à refuser aux ambassadeurs étrangers le droit d'acquérir des biens entre-vifs sur le territoire français, et, même en le prenant à la lettre, il ne prouve nullement que la faculté de transmettre, qui constitue le droit d'aubaine dans son acception technique, leur ait été refusée.

Aussi l'exemption des ambassadeurs et des personnes de

' Rebuffe, Tractatus de scholasticorum privilegiis; Lebret, De la souveraineté du roi, 1. II, ch. 11; Choppin, Droit du domaine de la couronne, 1. I, tit. 11.

2 Lex Acilia repetundarum, c. 24.

leur suite semble-t-elle avoir été généralement admise dans notre ancien droit', tout au moins en ce qui concerne les objets mobiliers. Quant aux immeubles et aux rentes constituées possédées par un ambassadeur étranger en France, la jurisprudence (arrêt du 14 janvier 1747) les soumettait au droit d'aubaine.

Il va sans dire au surplus que l'immunité dont jouissait à ce point de vue l'ambassadeur pouvait également, et à plus forte raison, être réclamée par le souverain qu'il représentait sur notre territoire; on décidait assez communément qu'il n'était pas sujet au droit d'aubaine, au moins quant à ses meubles.

D'autres difficultés avaient surgi sur le point de savoir si tel acte est de sa nature un acte de disposition entre-vifs, accessible par conséquent aux étrangers, ou un acte de disposition à cause de mort, appartenant au jus civile et frappé par le droit d'aubaine.

On s'était demandé notamment si deux époux étrangers peuvent valablement se faire un don mutuel. Certains auteurs y voyaient une libéralité entre-vifs, parfaite dès le jour où elle intervient et ne pouvant être révoquée que par un accord de volontés, dès lors permise aux étrangers3. D'autres, au contraire, leur défendaient le don mutuel, comme constituant une donation à cause de mort, faite en vue de la mort de l'un des époux et subordonnée à cette

mort'.

Et une discussion analogue s'était élevée sur la validité de la donation de tous biens présents et à venir faite par un aubain dans son contrat de mariage.

1 Nouveau Denisart, t. II, vo Aubaine, § 7, no 7; Demangeat, op. p. 226.

cit.,

* Lefèvre de la Planche, Traité du domaine, 1. VI, ch. V, no 13; Voy. cependant, Ancien Denisart, vo Aubaine, nos 46 et s.

3 Embert, Enchiridion, f. 102; Bacquet, II, ch. 17.

• Pothier, Traité des personnes, part. I, tit. II, sect. 2o. 5 V. notamment Bacquet et Pothier, loc. cit.

Les droits patrimoniaux intellectuels étaient loin d'avoir, avant 1789, l'importance qu'ils ont aujourd'hui. Dans tous les cas, la protection légale paraît s'être limitée dans cette période aux œuvres littéraires publiées en France. L'auteur, même étranger, pouvait se faire privilégier pour un livre édité dans notre pays; le hollandais Grotius obtint un privilège de 15 ans pour son Jus belli et pacis, publié à Paris en 1625; mais il semble bien que les œuvres qui avaient vu le jour à l'étranger étaient, par cela seul, considérées comme tombées dans le domaine public et soustraites à tout monopole; telle est tout au moins la solution qui se dégage d'un arrêt du Parlement du 15 mars 1586, portant annulation d'un privilège accordé aux œuvres de Sénèque, que les amis de Muret, son annotateur, avaient déjà fait imprimer à Rome, après sa mort'. Peut-être cependant, les arrêts du 30 août 1777, en soumettant tout livre imprimé à l'obtention d'un privilège, eurent-ils pour effet d'atténuer dans une certaine mesure cette jurisprudence: il est difficile de ne pas voir dans la solution qu'ils consacrent un pas vers l'assimilation du national et de l'étranger, au point de vue de la garantie des droits d'auteur.

Enfin, quand nous aurons dit que, sous l'ancien droit monarchique français, l'aubain était, en dehors des incapacités dont il vient d'être parlé, privé du bénéfice de la règle actor sequitur forum rei3, obligé de fournir une caution en plaidant comme demandeur devant un tribunal

1 Un arrêt du conseil du roi, en date du 14 mars 1583, avait également décidé qu'un recueil de jurisprudence canonique édité à l'étranger pouvait être réimprimé à Paris, sans qu'on dût avoir égard à aucun privilège. Paquy, Du droit des auteurs et des artistes au point de vue international (thèse de Paris), 1884, p. 12.

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* Paquy, op. cit., p. 13; Darras, Du droit des auteurs et des artistes dans les rapports internationaux, no 128, p. 178 et s. Voy. cependant Bastide, L'Union de Berne de 1886 et la protection internationale des droits des auteurs et des artistes (thèse de Dijon), 1889, p. 7.. 3 Ord. d'Orléans de 1560, art. 3.

français, soumis à la contrainte par corps en matière civile, même après que l'ordonnance de 1667 en eût affranchi les régnicoles, enfin, incapable de se soustraire, par une cession de biens, aux poursuites de ses créanciers, nous connaîtrons, dans ses traits généraux, la condition qui était faite à l'étranger, lors de la chute de l'ancien régime.

TITRE V.

LE DROIT INTERMÉDIAIRE.

La Révolution française, imbue des idées humanitaires que la philosophie du xvIII° siècle avait mises à la mode, ne pouvait laisser subsister les déchéances et les incapacités dont l'ancien droit avait frappé les étrangers sur notre territoire; et ses sentiments semblaient d'accord avec l'intérêt de la nation elle-même.

Necker avait démontré, en 1785, dans un écrit célèbre. que les avantages du droit d'aubaine - il produisait à peine quarante mille écus par an étaient bien peu de chose à côté de ses inconvénients économiques et des entraves que ce droit, à la fois « impolitique et sauvage,» apportait au développement de notre commerce: «< Tout ce qui peut détourner les étrangers de venir dépenser leurs revenus dans le royaume et d'échanger ainsi leur argent contre les productions de notre industrie, paraît une disposition aussi déraisonnable que le serait une loi directement opposée à l'exportation de ces mêmes productions. Le droit d'aubaine est encore plus préjudiciable aux nations qui l'exercent qu'aux étrangers dont on usurpe ainsi la fortune; et l'on ne devrait en faire usage ni envers ses

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Bacquet et Pothier, loc. cit. Cf. Ord. de 1673, tit. X, art. 2.

amis, ni envers ses ennemis, ni en temps de paix, ni en temps de guerre1. »

Aussi l'un des premiers actes de l'Assemblée constituante fut-il d'abolir le droit d'aubaine, et de rendre aux étrangers le droit de transmettre à cause de mort, dont ils avaient été si longtemps privés.

Le décret du 6 août 1790, qui réalisa cette réforme importante, est ainsi conçu : « L'Assemblée nationale, consi

1 Necker, De l'administration des finances de la France, Lausanne, 1785,

t. III, p. 226. Dès 1780, le clairvoyant ministre avait soumis à l'appro

bation royale un projet de déclaration portant abolition générale du droit d'aubaine. Ce projet, dont les circonstances firent ajourner l'examen, s'appuyait sur les considérations suivantes :

<< En nous occupant des différents objets de recouvrement qui doivent être confiés à nos nouvelles régies, nous avons reconnu que le droit d'aubaine n'avait jamais été considérable, et qu'il était encore diminué par les traités successifs que nous avons faits avec diverses puissances: que cependant, malgré ces traités, il arrivait souvent que nos officiers du domaine, n'étant pas instruits à temps de la véritable patrie des étrangers qui mourraient dans notre royaume, commençaient des recherches et des procédures inquiétantes, qu'un examen plus éclairé obligeait d'abandonner; qu'il survenait ainsi, contre notre intention, des contestations ou des plaintes, et qu'un pareil inconvénient ne pourrait être absolument prévenu que par un affranchissement général. Nous avons d'ailleurs pensé qu'il serait digne de nos sentiments de justice et d'hospitalité d'effacer entièrement les traces d'un droit qui ne paraît plus applicable aux temps présents, qui contraste avec les mœurs françaises, et qui choque les principes d'une administration éclairée. En effet, comment ces successions éparses, qui de temps à autre échoyent à notre domaine, pourraient-elles être mises en balance avec cette circulation de capitaux, de consommations et d'industrie, qu'il nous est si important de seconder et d'attirer de toutes parts au sein de nos États. Considérant donc que l'heureux climat de la France, ses productions diverses, et cette liberté sage dont nous voulons faire jouir constamment tous ceux qui vivront sous notre gouvernement, sont autant d'avantages qui promettent à notre royaume de nouveaux habitants et de nouvelles richesses, nous ne saurions voir qu'avec peine l'exercice d'un droit qui porterait obstacle à l'influence favorable de ces diverses circonstances, et qui, en répugnant à notre générosité, contrarierait encore nos plus véritables intérêts. A CES CAUSES. Art. 1er Nous éteignons et abolissons, dans l'étendue de nos Etats, le droit d'aubaine, sans que ledit droit puisse être rétabli dans les cas de guerre ou d'hostilité. Art. 2: N'entendons rien changer à l'ordre ordinaire des successions : voulons que les lois, usages et coutumes de nos États, soient gardés et observés à l'égard des étrangers, comme à l'égard de uos propres sujets. »

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